From: Francis Feeley <Francis.Feeley@u-grenoble3.fr>
Subject: THE GRENOBLE CONFERENCE,
11-12 JANVIER 2002...
21 NOVEMBER 2001
GRENOBLE, FRANCE
DEAR COLLEAGUES :
WE ARE WORKING NIGHT AND DAY IN GRENOBLE
TO PREPARE FOR YOU OUR
INTERNATIONAL COLLOQUIUM NEXT
JANUARY 11 AND 12. MANY DIVERSE VIEWPOINTS
CONTINUE TO ARRIVE AT OUR GRENOBLE
RESEARCH CENTER, AND THEY HAVE CERTAINLY
PROVIDED MUCH "FOOD FOR THOUGHT".
BELOW IS THE COPY OF A RECENT MESSAGE
FROM OUR COLLEAGUE AT PARIS IV, WHO
SENT A STATEMENT WRITTEN BY THE
REKNOWN FRENCH HISTORIAN, JACQUES JULLIARD.
WE HOPE THAT YOU WILL TAKE TIME TO
READ M. JULLIARD'S ARTICLE WHICH WAS
SENT TO OUR CENTER, AND WE ALSO
HOPE THAT IN JANUARY YOU WILL COME TO
GRENOBLE AND JOIN THE INTERNATIONAL
GROUP OF SCHOLARS AND ACTIVISTS, SUCH AS:
PIERRE BOURDIEU (COLLEGE DE FRANCE)
SUSAN GEORGE (ATTAC-PARIS)
DIANA JOHNSTONE (PARIS)
EDWARD HERMAN (PENNSYLVANIA)
RICHARD DU BOFF (PENNSYLVANIA)
CHRISTIAN DE BRIE (LE MONDE DIPLOMATIQUE)
DAN SCHILLER (UNIVERSITY OF ILLINOIS)
SERGE HALIMI (LE MONDE DIPLOMATIQUE)
MICHAEL PARENTI (BERKELEY)
JOSE BOVE (CONFEDERATION DES PAYSANNES)
BERTELL OLLMAN (NEW YORK UNIVERSITY)
MICHAEL ALBERT (Z MAGAZINE)
... AND, IN ADDITION, MORE THAN 40
OTHER ACTIVISTS AND SPECIALISTS IN THE
SOCIAL SCIENCES FROM AROUND THE
WORLD WILL GATHER IN GRENOBLE ON JANUARY 11
AND 12 TO DISCUSS THE HISTORIC ISSUES
INVOLVING THE CAUSES AND EFFECTS OF
GLOBALIZATION AND AMERICAN FOREIGN
POLICY.
WE HOPE TO SEE YOU THERE, AND NATURALLY WE EXTEND THIS INVITATION TO M. JULLIARD, AS WELL.
AS AWAYS,
FRANCIS McCOLLUM FEELEY
__________________________
From: "E.Thevenard" <evth@wanadoo.fr>
To: <francis.feeley@u-grenoble3.fr>
Subject: Tr: Misere de l'antiamericanisme
Date: Sat, 17 Nov 2001
Cher collègue,
Je livre ce point de vue, à
ajouter à votre abondant dossier sur Sept 11.
Cordialement
E. Thevenard
université Paris IV
___________________________
Par JACQUES JULLIARD
Jacques Julliard est directeur
delegue de la redaction du Nouvel Observateur.
Dernier ouvrage paru: <La
Faute aux elites> (Gallimard).
Le mardi 13 novembre 2001
Pourquoi faut-il que depuis le debut
du siecle, une fois passel'episode glorieux de l'affaire Dreyfus, les intellectuels
francais se soient mis a choisir systematiquement le camp des ennemis de
la liberte? Avec l'irruption de 'hyperterrorisme, le 11 septembre, la question
est posee de nouveau avec acuite. Un tel entetement dans l'erreur, avec
il est vrai quelques exceptions, demande explication. Mais il faut savoir
demeurer un moment dans la perplexite, de peur de prendre trop vite son
parti de comportements aussi obscenes. Voyons la chose. Apres le fracas
du World Trade Center, il ne se passe pas trois jours que ne retentisse
a tous les coins de l'univers une
seconde serie d'explosions: celle
de l'antiamericanisme intellectuel. A vrai dire, rien de nouveau dans celui-ci.
J'avais cru pouvoir naguere definir l'antiamericanisme comme le socialisme
des imbeciles. Je me trompais.
Ou plutot, ma definition, que je
croyais fort large, etait encore trop restrictive. Il y manquait la grande
complainte de la frustration. Avec l'effondrement du marxisme, cette vieille
chanson qui, un siecle durant, avait berce le cour des intellectuels, l'antiamericanisme
etait devenu la valeur refuge de presque toute la classe eduquee, le negatif
de toutes les esperances passees et - qui sait? - la pierre d'attente pour
de nouvelles illusions.
Misere. Misere de la cause unique.
Misere des <anti>. Misere de <l'antisme>. On aurait pu penser que
devant la barbarie de l'agression et le malheur americain, une sourdine
aurait ete mise au grand bastringue antimoderniste.
D'autant plus que pour des gens
qui se percoivent eux-memes comme les fils des lumieres, le fanatisme islamiste
offrait a point nomme un derivatif tres convenable. Eh bien non! C'est
le contraire qui se produisit. Le malheur des Americains fit le bonheur
de la classe discuteuse. Il y aura toujours au bord de la mer des pilleurs
d'epaves, et dans les fourgons des armees des goujats d'intendance transformes
en detrousseurs de cadavres. Salauds
d'Americains! Il fallait, pour etre
frappes de la sorte, que leurs crimes fussent bien abominables. La ou l'homme
de la rue se contentait de danser sur les ruines (<ils ne l'ont pas
vole>), l'intellectuel, en homme du savoir, introduisait une regle de proportionnalite.
Il raffinait: le chatiment des Americains est a l'exacte mesure de leurs
forfaits. Loin de les faire prendre en pitie, ce cataclysme urbain les
accuse.
Oh! C'est la une vieille histoire,
vieille comme l'Ancien testament. Quand Job, homme prospere et craignant
Dieu, est injustement frappe par Dieu lui-meme, ses amis, qui lui veulent
du bien, naturellement, accourent pour
la curee! <Ton histoire
n'est pas claire, mon ami Job. Descends en toi-meme, mon frere. Cherche
bien. Dis-toi la verite. Dis-la nous. Si Dieu te chatie autant, c'est que
tu as beaucoup peche.> Ah, les braves gens!
Vous croyez peut-etre que j'exagere?
Que je brode? Que j'allegorise? Je vous renvoie une fois pour toutes et
a toutes fins de verification, aux immenses rhapsodies publiees dans le
Monde sous la plume d'Arundhati Roy,
la celebre romanciere indienne,
de Jean Baudrillard, l'illustre philosophe francais, de John Le Carre,
que l'on ne presente pas. Pensez aussi au manifeste des 113 intellectuels
francais d'extreme gauche, parmi lesquels Pierre
Vidal-Naquet. Tous le proclament
a l'envi: l'Amerique est toute-puissante. Donc l'Amerique est toute coupable,
et Ben Laden n'est rien d'autre que le fleau de Dieu. C'est d'ailleurs
ce que proclame lui-meme ce grand fantome blanc aux yeux enfievres, a la
barbe prophetique, si mediatique dans sa longue tunique d'innocence. On
vous accordera qu'un fleau n'est jamais sympathique et que lui et ses hommes
pourraient bien trouver quelque plaisir pervers, exagere, dans l'accomplissement
de leur mission <sacrificielle> (sic), mais enfin la politique est la
forme moderne de la tragedie et l'Histoire n'est pas une partie de plaisir.
Nous voila revenus, a l'aide d'un grand deploiement semiologique, a un
decryptage de signes, figures, prodiges et catastrophes qu'un Bossuet n'eut
pas renie, sauf a le tirer de l'Ecriture sainte au lieu de l'ecriture savante.
Apres Job, nous en sommes a abuchodonosor. A y bien penser, c'est
tout de meme un stupefiant delire logique que celui dans lequel il ne saurait
y avoir de victime innocente; dans lequel toute victime est <quelque
part> un coupable, et tout assassin un justicier. Quand on pose une relation
d'identite entre toute la misere du monde et la toute-puissance americaine,
on ne profere pas seulement une anerie. On se met sur une pente dangereuse,
ou le communisme comme le fascisme nous ont precedes. Lorsque Jean Baudrillard,
qu'il faut tout de meme que je cite ici, ecrit que <c'est elle [la superpuissance
americaine] qui de par son insupportable puissance, a fomente toute cette
violence infuse depar le monde, et donc cette imagination terroriste (sans
le savoir) qui nous habite tous>, il signifie en francais courant que non
seulement les Americains sont responsables du terrorisme qui les frappe,
mais aussi de cette connivence avec le terrorisme qui est en nous. De tels
propos, une fois debarrasses de cette fureur glacee qui les habite, et
qui est censee les exonerer de leur outrance, ne relevent pas seulement
de la diabolisation la plus
detestable. Ils tendent aussi a
accrediter une idee indefendable, et tout simplement fausse: que l'Amerique
exerce sur le monde entier une toute-puissance.
L'hegemonie americaine sur le monde
d'aujourd'hui est bien inferieure a celle des Anglais au XIXe siecle ou
de Rome au debut de notre ere. Mais surtout, attribuer aux Etats-Unis la
responsabilite de la misere au Mozambique ou en Afghanistan releve d'une
logique delirante. C'est le sous-developpement, non l'industrialisation,
qui explique la
persistance de la misere. A ceux
qui voient dans la modernisation je ne sais quelle peste bubonique en train
de ruiner le tiers-monde, je conseille pourtant de mediter ce fait, passe
un peu inapercu. C'est au lendemain du
sommet de Genes (20-22 juillet 2001)
que la Chine a officialise son adhesion a l'Organisation mondiale du commerce
(OMC).
Mais laissons cela. Nous avons conscience
que tout nouveau progres des echanges a travers le monde entraine, au milieu
de tant de consequences benefiques, de redoutables bouleversements, des
injustices nouvelles
a la place des anciennes. Je trouve
seulement curieux que certains ne voient de solutions a ce probleme que
dans la destruction des instruments de regulation, quand il faudrait a
la fois renforcer et democratiser ces instruments. Ou plutot non: pas si
curieux que cela. Historiquement, la haine de l'Amerique s'identifie, des
la fin du XIXe siecle, avec la haine du progres et notamment du progres
technique chez les intellectuels. Voyez Renan; voyez plus tard Georges
Duhamel, et avec eux la longue cohorte de ceux qui, a la difference des
prophetes du progres, des deologues à Marx, en passant par Auguste
Comte mais aussi Victor Hugo, voient dans le passage de la chandelle a
l'electricite... un recul des lumieres! Si, comme l'a justement souligne
Francois Furet, la republique des Lettres est
si spontanement aristocratique et
si visceralement hostile a la bourgeoisie, ce n'est pas principalement
parce que celle-ci est synonyme de philistinisme et de contentement de
soi: c'est parce qu'elle est porteuse d'une revolution
economique et technique qui condamne,
croit-elle, son cher humanisme litteraire. D'ou la tendance de intelligentsia
francaise a faire bloc avec l'ancienne aristocratie dominante, quitte,
pour la frime, a faire semblant
de passer aux Barbares: je veux
dire le proletariat. Car un homme, un seul, avait reussi a guerir provisoirement
l'intelligentsia francaise de sa technophobie, de son misoneisme, en un
mot de sa haine du progres dont
l'antiamericanisme n'est que l'une
des facettes: cet homme, c'est Karl Marx.
Pourquoi cela? Parce que Marx - c'est
la son coup de genie - a lie la philosophie du proletariat a la philosophie
du progres. En epousant la premiere, l'intellectuel philanthrope se trouve
comme malgre lui associe a la seconde: le voila devenu intellectuel progressiste.
La suite est connue. Elle est triste comme les histoires d'amour. Il
a fallu - et il a suffi - que le
marxisme s'effondre pour que le progressisme des intellectuels s'effondre
avec lui. 'effet modernisateur de Marx n'a pas survecu a l'imposture de
ses sectateurs. Rappelez-vous Orgon. Des
qu'il a la preuve que Tartuffe -
a ses yeux l'incarnation du Bien - en veut a sa femme et a sa fortune,
il renonce au Bien en renoncant a Tartuffe. Il pouvait se dire: ce n'est
qu'un imposteur. Mais non: l'identite Tartufe-homme de Bien est si indissociable
en son esprit qu'il a ce mot, l'un des plus droles de notre litterature:
<C'en est fait: je enonce a tous les gens de Bien.>
Il y a de l'Orgon dans l'intellectuel progressiste. Il suffit qu'un mur s'effondre sous ses yeux pour qu'il renonce a 'architecture. En s'eloignant du marxisme, il abjure le progres. Le voila qui se vautre avec delices dans les charmes 'un passe dont il ne s'etait separe qu'a regret. C'est la grande derive antiprogressiste du dernier quart du iecle, le retour a la posture romantique et passeiste de jadis. A bas la technique! A bas Mammon! A bas le rogres! A bas l'Amerique. A peine a-t-il cesse de vendre l'Humanite Dimanche dans son HLM de banlieue, 'ex-intellectuel progressiste court rejoindre Byron sur les ruines de Missolonghi. Il y a encore une chose. Il y a une erniere chose que je dis a regret, mais qu'il y aurait de la lachete a ne pas dire. C'est que lesintellectuels n'aiment pas la liberte. Ou alors, s'ils l'aiment, c'est avec tant de conditions ou sous tant d'oripeaux, que la Belle, ecouragee, prefere aller voir ailleurs. Je ne vous ferai pas la liste, interminable, des ecrivains, artistes, savants qui, u cours du siecle maudit que nous venons de quitter, ont pactise avec les ennemis de la liberte, fascisme et azisme, stalinisme et maoisme. Une page de ce journal n'y suffirait pas. Quels sont ceux qui ont resiste a la entation d'un ordre nouveau, antidemocratique? Parmi les grands, je ne vois guere qu'Aron a droite et Camus a auche.
Alors, quand je vois que les choses
recommencent, ou risquent de recommencer, je me sens pris d'un leger
ecouragement. Une desexperiences les plus melancoliques que fait l'historien,
c'est de decouvrir qu'il n'y a pas de econs de l'Histoire. Ou plutot
si: il y a bien des lecons de l'Histoire, mais elles ne servent jamais
a rien; elles sont definitivement hors d'usage, nous voici comme des serviteurs
inutiles. Hier, ce qui fascinait les intellectuels dans le ocialisme
autoritaire, nous le voyons bien maintenant, ce n'etait pas le socialisme,
helas, c'etait l'autorite.
Demain, ce qui les fascinera dans
le terrorisme anticapitaliste, ce ne sera pas l'anticapitalisme, ce sera
la terreur. Une fois de plus. Quand je vois les intellectuels, sous les
eternels pretextes de lutte contre la ploutocratie, contre l'Amerique abhorree
et son allie Israel, de la lutte aux cotes de tous les misereux du monde,
preparer par issements successifs de l'esprit, leur ralliement aux nouvelles
tyrannies, je revis un vieux cauchemar. Et quand je vois par surcroit les
eternels cloportes envoyer de la poudre blanche a leurs voisins, comme
sous l'Occupation ils envoyaient des lettres anonymes a la prefecture de
police, je me dis que tout est a recommencer. Comme il est dit a la fin
de Huis Clos: Eh bien! Recommencons.
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