Atelier 11, article 6


© Keith Dixon :
(excerpt du livre, Les évangélistes du marché, Paris: Raisons d’Agir Éditions, 1998)

L’Adam Smith Institute.

Fondé en 1977 par deux anciens étudiants de l’université de St Andrews (Ecosse), l’Adam Smith Institute est le plus "américain" des think tanks britanniques; d’abord par les liens étroits entre Butler et Pirie, ses deux principaux animateurs, et leurs homoloques américains à l’Heritage Foundation où les deux Britanniques ont fait leurs premières armes (d’ailleurs l’un des frères Butler est aujourd’hui vice-président d’Heritage), ensuite par les méthodes de travail adoptées par l’ASI. En effet, l’ASI travaille par réseau, faisant appel à un nombre impressionnant de collaborateurs britanniques et américains : il a, en conformité avec les pratiques d’Heritage, constitué un vivier d’intervenants néo-libéraux qui peuvent mettre leurs compétences à la disposition de ceux qui le demandent. Ainsi, depuis 1987, l’ASI tient une conférence annuelle sur les problèmes pratiques inhérents à la politique de privatisation qui attire des centaines de participants, parmi lesquels de plus en plus de dirigeants des anciens pays de l’Est.

Plus médiatique que les autres think tanks britanniques, l’ASI soigne une image inconoclaste et non-conformiste tout en faisant appel aux mêmes théoriciens que les autres officines néo-libérales (Hayek fut président d’honneur de l’ASI, Friedman et Buchanan ont largement inspiré et soutenu leurs travaux). Dans la période la plus récente, le néo-travaillisme d’Anthony Blair a trouvé un soutien enthousiaste de la part des activistes néo-libéraux de l’ASI.

En dehors des conférences et des séminaires qu’il organise régulièrement, l’ASI publie de nombreux petits livres et pamphlets destinés surtout à promouvoir la déréglementation et la privatisation dans tous les domaines de l’activité économique. Le Manuel de privatisation, de Butler et Pirie, publié en 1989, est conçu comme une aide pratique pour ceux qui, partout dans le monde, se posent la question de comment privatiser.

Quelques mois après le virage monétariste du gouvernement Callaghan imposé par le FMI, un nouvel acteur apparut dans le petit monde des thinks tanks britanniques. L’Adam Smith Institute (ASI) fut créé en Grande-Bretagne en 1977, après avoir été conçu aux États-Unis en 1976. En effet, les deux Britanniques responsables de la création de l’ASI avaient aiguisé leurs armes intellectuelles aux États-Unis. Après des études de philosopnie à l’université de St. Andrews, Madesen Pirie et Eamonn Butler avaient quitté le Royaume-Uni pour travailler au très conservateur Republican Study Committee sous la direction du sénateur de l’Illinois, Edward Feulner, avant de suivre ce dernier à l’Heritage Foundation, dont il fut l’un des fondateurs en 1973. Des trois principaux think tanks néo-libéraux britanniques, l’ASI a entretenu (et continue aujourd’hui à entretenir) les rapports les plus proches avec les États-Unis et le réseau néo-libéral américain. L’un des frères Butler, Stuart, qui fut également étudiant à St Andrews et à l’origine de la création de l’ASI, resta d’ailleurs aux États-Unis et est aujourd’hui vice-président de l’Heritage Foundation et responsable de son gourpe d’étude sur la politique intérieure. Madsen Pirie et Eamonn Buter continuent à paraître régulièrement dans la liste des auteurs de publications d’Heritage.

On autait tort cependant de voir dans l’ASI simplement un cheval de Troie du néo-libéralisme à l’américaine ou de réduire son rôle, comme certains chercheurs l’ont fait(*) à celui d’un relais de la CIA. Butler et Pirie sont des révolutionnaires internationalistes néo-libéraux, et présentent sans doute à ce titre un intérêt non-négligeable pour les services secrets américains. Mais là n’est pas l’essentiel. Leur internatinoalisme les met aussi à l’aise parmi les conservateurs américains que parmi leurs homologues britanniques : ils ont apporté leur contribution à la révolution conservatrice des deux côtés de l’Atlantique. Leur carrière politique débuta en Écosse à la fin des années soixante, aujourd’hui ils lorgnent vers les ex-pays de l’Est et se vantent d’être très écoutés par l’élite dirigeante de plusieurs de ces derniers. Leur parcours n’a rien à envier à leur homologues du Comintern.

Leurs premières activités politiques se déroulèrent à la fin des années soixante au sein de la puissante association des étudiants conservateurs de l’université de St Andrews en Écosse, dans laquelle ils réussirent à promouvoir toutes les causes de la droite ultra conservatrice de l’époque. Ainsi, ils proposèrent avec succès le nom d’Enoch Powell comme président honoraire de leur association, au milieu du scandale provoqué par ses discours racistes dans les grandes villes industrielles des Midlands anglaises. Au moment où d’autres milieux étudiants britanniques recevaient avec un peu de retard les leçons du mai français, ils organisèrent, entre autres, une célébration pour l’anniversaire de la déclaration unilatérale d’indépendance de la Rhodésie, destinée à mieux asseoir la dominatioin blanche dans cette colonie britannique. A l’époque, ces jeunes radicaux conservateurs souffraient encore de la maladie infantile des révolutionnaires et montraient une incapacité certaine à distinguer l’essentiel de l’accessoire. Ils n’avaient pas encore appris à mettre une sourdine aux idées xénophobes, synonymes d’isolement idéologique, pour se concacrer à l’essentiel, à savoir la subversion radicale des institutions et des idées du consensus social-démocrate.

De leurs années américaines, Pirie et Butler apprirent à organiser leurs activités intellectuelles autour d’objectifs stratégiques, et à utiliser un réseau de contacts et d’appuis intellectuels (et financiers?) qu’ils déployèrent avec succès lors de leur retour à Londres en 1977. On ne sera pas surpris de trouver de nouveau von Hayek parmis les intervenants actifs à l’ASI, ansi que les penseurs américains du public choice, tel Buchanan. L’ASI est devenu le vecteur le plus important des théories de l’université de Virginie (et ensuite de l’université George Mason) en Grande-Bretagne, Pirie devait d’ailleurs lui consacrer un livre, Micropolitics, publié en 1988 par l’ASI.

Riches de leur expérience à l’Heritage Foundation, les deux animateurs de l’ASI ne lésinèrent pas sur leurs interventions auprès des médias britanniques et assez rapidement se creusèrent une niche comme les "policy engineers" (techniciens de la politique gourvernementale) les plus énergiques sur la scène néo-liberale britannique. Avec ses allures de Dr Foldingue, et ses interventions provocatrices, Pirie devint la coqueluche de certains talk shows télévisuels des années quatre-vingt.

L’ambition de l’ASI fut d’occuper le même rôle en Grande-Bretagne que l’Heritage Foundation aux États-Unis, fournissant aux politiciens, de préférence de droite, documents et analyses facilement assimilables, mais attirant l’attention des décideurs au préalable par des interventions bien menées auprès des médias. Il faut sans doute faire remarquer que les finances de l’ASI étaient sans commune mesure avec celles d’Heritage et limitaient donc sérieusement cette ambition ; néanmoins, le soutien financier en provenance de quelques entreprises (non-explicitées dans leurs comptes) et l’appui, sans compter, du milliardaire néo-libéral Jimmy Goldsmith étaient suffisants pour assurer le confort des deux permanents et l’organisation régulière de séminaires internationaux.

Pirie et Butler espéraient occuper un créneau assez distinct de l’IEA et du CPS : ils considéraient que leur priorité n’était pas de mener la bataille des idées, mais plutôt de faire des propositions pratiques de mise en oeuvre d’idées essentiellement élaborées ailleurs. Qui plus est, ils se spécialisèrent assez rapidement dans la promotion de mesures pratiques de privatisation et de dérégulation, dans tous les domaines imaginables.

Avec l’ASI on est très loin de la neutralité politique proclamée par l’Institute of Economic Affairs : on a affaire ici à des combattants politiques, des permanents de la révolution néo-libérale qui se définissent eux-même comme des activistes (scholar activists). Pour cette raison, l’ASI n’est sans doute pas très bien vu par les deux autres think tanks de la droite néo-liberale : trop remuant et trop porté sur une auto-publicité forcenée, l’ASI fait tache dans un milieu qui se spécialise dans la persuasion plutôt discrète. Néanmoins l’ASI occupe le même espace que les autres organisation-soeurs du néo-libéralisme britannique, s’inspirant des mêmes "maîtres", puisant souvent dans le même vivier d’intervenants universitaires. En se préoccupant des aspects concrets (les "nuts and bolts" comme ils aiment à le répéter) de la mise en oeuvre de politiques radicales de droite, les activistes de l’ASI remplirent une fonction essentielle au sein du dispositif intellectuel néo-libéral à partir des années quatre-vingt. Copiant, par exemple, l’initiative américaine de l’Heritage Foundation qui publia son Mandate for Leadership une semaine après la victoire de Reagan en 1980, l’ASI publia à son tour en 1985 son Omega File, 435 pages de conseils de "spécialistes" adressés au gouvernement conservateur, pour le maintenir dans une ligne toujours aussi radicale et surtout pour prévenir tout ralentissement éventuel des réformes transformatrices.

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