PB :Vous évoquez un autre phénomène, celui
de mécènat. En France, pour des raisons historiques, le mécènat
ne faisait pas partie de la tradition nationale, et les rapports avec le
monde des entrepirses était sout haute surveillance. Sous un certain
nombre d’influences très diverses, parmi lesquelles les encouragements
du gouvernement socialiste qui, non content de tratailler à la réhabilitation
de l’entrepirse et du profit, encourageait très directement les
chercheurs et les artistes à solliciter les fonds privés,
tout s’est inversé.
Là, je peut parler de mon expérience. Il ya a une vigtaine
d’années, voulant faire un travail sur la photographie, j’avais
accepté l’aide de Kodak, pas tellement pour l’atgent (il s’agissait
d’une somme dérisoire), mais pour les informations, statistiques
notamment, que l’entreprise était seule à détenir.
Mon initiative a suscité une réprobation extraordinaire.
J’ai répondu : "Attendez de voir mon livre! Si ce que j’écris
porte la marque Kodak, vous serez en droit de hurler." Et les mêmes
qui s’indignaient à l’époque sont aujourd’hui absolument
sand défense devant le mécénat. On dit que les organismes
qui n’ont pas été exposés aux microbes ont des défenses
immunitaires faibles....
Le mécénat est à la mode. Il y a des sociétés
de relations publiques, par exemple, qui sont chargées d’aider les
entreprises à faire le meilleur placement de leurs investissements
symboliques et qui fournissent leurs services pour l’établissement
de contacts avec le monde de l’art ou de la science.
En face, la conscience est nulle, ou quasiment. Les gens vont en ordre
dispersé, sans réflexion collective. La même chose
est vraie face au commandes d’État (ce que nous appelons les "appels
d’offre"). Les chercheurs, faute de stratégie collective, s’exposent
à se voir imposer leurs objets, leurs problématiques et leurs
méthodes par leurs commanditaires. Or, nous sommes dans une situation
très semblable à celle des peintres du Quattrocento qui devaient
lutter pour obtenir la liberté de choisir sinon le sujet, du moins
la "manière". Peut-être parce que, en tant qu’artiste, vous
êtes plus exposé, et depuis plus longtemps, à ces menaces,
et aussi parce que votre propore action vous a amené à élaborer
des défenses cojtre les stratégies, de plus en plus subtiles,
des enterpirses pour subordonneer our séduire les artistes, vous
portez un regard particuliérement lucide sur les menaces que le
nouvel ordre économique fait peser sur l’autonomie du l’ensemble
des "créateurs" intellectuels. On peut redoutyer, en effet, que
le recours au mécénat pour financer l’art, la littérature
et la science n’installe peu à peu les artistes et les savants dans
une relation de dépendance matérielle et mentale à
l’égard des [iossamcxe économiques et des contraintes du
marché. On peut craindre, en tout cas, qu’il ne justifie la démissiion
des instances pubgliques qui peuvent prendre prétexte de l’arrivée
des mécènes privés pour se retirer et suspendere leurs
aide. Avec ce résultat extraordinaire que ce sont toujours les citoyens
que, à travers les exemptions d’impôts, financent l’art et
la science, et, par surcroît, l’effet symbolique qui s’exerce sur
eux dans la mesure où ce financement apparaît comme un effet
de la générosité désintéressée
des entrepirses. Il y a là un mcanisme extrêmement pervers
qui fait que nous contribuons à payer notere propre mystification...
Mais il foudrait analyser qussi les effets des échanges matériels
et symboliques qui s’instaurent de plus en plus souvent entre les entreprises
et certaines catégories de producteurs intellectuels, à travers
les demandes d’"interventioins", "expertises", "conseil"ou "conférences"grassement
rémunérés, et tous les contacts formels ou informels
dans le cadre de missions, de commissions, d’associations ou de fondations.
Ainsi, par exemple, les entreprises ont réussi, au mons en France,
à placer sous leur dépendance bon nombre de journalistes,
surtout de télévision, en luer offrant ce que dans l’argot
du milieu, on appelle des "ménages", c’est-à-dire des participations,
très bien payées, à l’animation de débats,
de stages de communication. Et beaucoup d’intellectuels médiatiques
sont entrés dans le show business des conérences destinées
aux cadres qui leur permettent de gagner en une soirée l’équivalent
d’un mois de salaire. Il n’est pas facile de mesureer l’effet, sans doute
très insidieux, de ce genre de pratiques, mais il est peu probable
qu’elles tendent à accroître l’indépendance à
l’égard des valeurs d’argent et de profit, congtre lesquelles se
sont constitués, initialement, les univers littéraires et
artistiques.
HH :Je crois qu’il est important de distinguer l’idée traditionnelle du mécénat de maneuvres de relations pubiques qui se parent de ce terme. En invoquant le nom de Mécène, les entreprises d’aujourd’hui se donnent une aura d’altruisme. Le terme américain de sponsoring explique mieux qu’il y a en réalité un échange de biens, des biens financiers de la part du sponor, des biens symboliques de la part du sponsorisé. La plupart des hommes d’affaires sont plus directs quand ils parlent à leurs pairs. Alain-Dominique Perrin, le président de Cartier, par exemple, dit clairement qu’il dépense l’argent de Cartier pour des buts qui n’ont rien à faire avec l’amour de l’art.
PB :Il dit en toutes lettres : "C’est pour la séduction de l’opinion publique"?
HH :Oui. Selon ses propres termes(*) : "Le mécénat n’est pas seulement une formidagle outil de communication, mais beaucoup plus que ça : c’est un outil de séduction d’opinion." Les contribuables payent ce que les entreprises récupèrent à travers les exemptions fiscales pour leurs "dons", et c’est véritablement nous qui subventionnons leur porpagande. Et ces frais de séduction ne servent pas seulement le marketing des produits, comme les montres et les bijoux dans le cas de Cartier. Il est plus important pour les sponsors de créer un climat politique favorable à leurs intérêts en ce qui concerne par exemple les impôts, la réglementation du travail ou de la santé, les contraintes écologuques ou l’exportation de leurs produits.
PB :Oui, j’ai lu autrefois un article où l’on rappelait qu’aux États-Unis, dans les entreprises, on justifiait ce type de pratique par ce que l’on appelait la check account theory, la théory de compte en banque (symbolique). Une fondation qui fait des dons accumule du capital symbolique de reconnaissance ; ensuite la bonne image qu’elle s’est ainsi assurée (et qui est souvent évaluée en dollars, sous le chef de good will, dans les bilans des entreprises) lui pocurera des profits indirects, lui permettra par exemple de dissumler certaines actions, etc.
HH : Le but stratégique, pour citer M. Perrin, est de "neutraliser les ctitiques".
PB :Dans le monde de la haute couture, on sait bien que la présentation annuelle des nouvelles collections assure aux courturiers, chaque année, l’équivalent gratuit de centaines de pages de publicité. Il en va de même des prix littéraires. Dans tous les cas, il s’agit de dominer la presse et de l’obliger à ecrire gratuitement en faveur des entreprises. Les firmes qui investissent dans le mécénat, se servent de la presse et l’obligent à les célébrer, à les nommer, etc. De manière très générale, c’est sans doute par l’intermédiaire de la presse, de la séduction qu’elle exerce sur les producteurs, surtout les plus hétéronomes, et de la contribution qu’elle apporte au succès commerciaql des oeuvres, et aussi par l’intermédiaire des marchands de biensculturels (éditeurs, directerus de galerie, entre autres) que l’emprise de l’économie s’exerce sur la productioin culturelle. C’est surtout à travers le journalismeque la logique commerciale, contre laquelle se sont contruits tous les univers autonomes, artistique, littéraire, scientifique, s’impose aujourd’hui à ces univers : domination foncièrement funeste puisqu’elle favorise les produits et les producteurs les plus directement soumis à la demande commerciale, comme les "philosophe journalistes" dont parlait Wittgenstein.
(*)Alain-Dominique Perrin, "Le mécénat français
: la fin d’un préjugé", interview de Sandra d’Aboville, Galeries
Magazine, No.15, Paris, octobre-novembre 1986, p.74. (HH)
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