"Tu es ce que tu manges."
--Brillat-Savarin
This article describes four aspects of McDonald's phenomenal rise
in the American fast-food industry after the Second World War :
1)
its unique franchise system ; 2) its aggressive marketing
techniques ; 3) its labor relations ; and 4)
its public relations. In conclusion we will evaluate the consequences
of its rapid international expansion in the period of neo-liberalism.
Introduction : le contexte historique
"I stand for the values of freedom [...] even if free-market economics
was not the most efficient system, I'd still be in favor of it, because
of
the human values it represents of choice, challenge and risk. "
--Milton Friedman, auteur de Capitalism and Freedom
(University of Chicago Press, 1962).
Après des débuts modestes en 1954, McDonald's a connu
une croissance régulière jusqu'à la fin de 1980, atteignant
5,213 unités de restauration sur le territoire des États-Unis
au 31 décembre de cette même année. L'accélération
libérale de l'ère reaganienne provoque le véritable
décollage de McDonald's, qui dépasse aujourd'hui les 12.000
unités aux États-Unis et plus encore à l'étranger,
débordant les prévisions les plus folles de son fondateur,
Ray Kroc, qui, avant sa mort en 1984, rêvait d'avoir édifier
pour l'an 2000 un empire de 20.000 McDonald's à travers le monde.
Aujourd'hui, Michael Quinlan, le président actuel de McDonald's,
rêve d'une Amérique où " personne n'est à plus
de 4 minutes d'un Big Mac ". Une stratégie qui n'est pas un secret
: mettre en place un McDonald's pour 25.000 habitants ; ce qui ne représente
pas moins de 240.000 unités pour les six milliards de clients potentiels
de la planète.
Selon le rapport des actionnaires de la fin du premier trimestre 1999,
McDonald's confirme l'existence de 24.955 restaurants pour 115 pays desservis,
avec un revenu dépassant annuellement 30 milliards de dollars, qui
dégagent un profit s'élevant à plus de 1,5 milliards
de dollars. A part une perte de 15 % en Amérique latine (conséquence
de la crise économique qui a affecté le Brésil), les
trois autres zones de l'empire McDonald's – États-Unis, Europe,
Asie-- ont vu pour le premier trimestre 1999 leur chiffre d'affaire augmente
de 12 %.
Le phénomène McDonald's relativement récent doit
être perçu dans un contexte économique capitaliste
de monopole, ou l'entreprise, nouveau concentre de pouvoir, peut s'établir
ou elle veut, quand elle veut, pour la durée qu'elle souhaite. Il
résulte de cette façon d'accéder au marché
une mise en cause et un affaiblissement de la souveraineté des États.
Par exemple, moins de dix entreprises multinationales contrôlent
la totalité du marché alimentaire mondial. Quatre de ces
sociétés contrôlent 90 % du marché à
l'exportation pour le blé, le mais, le café, le thé,
les ananas, le coton, le tabac, le jute et les produits forestiers. (Ces
quatre sociétés contrôlent également le stockage,
le transport, mais aussi les chaînes de transformation alimentaire
de ces produits.) 90 % de l'abattage de bœuf aux États-Unis est
entre les mains de quatre autres grandes sociétés. Deux sociétés
seulement dominent 65 % de tout le marché de céréales
transformées pour le petit déjeuner. Les 500 plus grandes
sociétés réalisent actuellement 42 % du chiffre d'affaire
mondial, avec plus de 10.000 milliards de dollars, ce qui représente
les deux-tiers de la totalité du commerce mondial. Les 50 plus grandes
banques et institutions financières de la planète gèrent
60 % (20.000 milliards de dollars) du total annuel du marché monétaire
mondial. Dans ce contexte, où des industries gigantesques comme
General Motors avec son chiffre d'affaire de plus de 133 milliards de dollars
(1996), McDonald's apparaît comme un petit enfant, avec seulement
30 milliards de dollars de chiffre d'affaire !
Ray Kroc est âgé de 53 ans à l'ouverture de son
premier restaurant franchise. Fils d'un immigre tchèque de Chicago,
il quitte l'école à 16 ans ; trop jeune, il doit falsifier
son âge pour réussir à s'enrôler dans l'armée
durant la première guerre mondiale. Il se trouve dans la même
compagnie qu'un autre futur grand entrepreneur, Walt Disney, qui lui aussi
a du tricher sur son âge pour devenir soldat. Ni l'un ni l'autre
ne feront partie des opérations de combat, pour cause de fin de
guerre.
Une santé précaire évitera à Kroc de servir
pendant la deuxième guerre mondiale. Néanmoins sa santé
ne l'empêchera pas de profiter du boom économique qui accompagne
aux États-Unis ces années de guerre et d'après-guerre.
A cette époque, il vend des gobelets en carton dans la région
de Chicago.
La première fois que Ray Kroc entend parler de la réussite
exceptionnelle du restaurant des frères McDonald's, spécialistes
des " hamburgers ", il est représentant en équipement et
matériel de restauration pour le compte d'une société
basée à Chicago. En 1954, il organise une visite à
San Bernadino en Californie chez les frères McDonalds. Il en revient
très impressionné. " Je me suis senti comme une sorte de
Newton, ayant reçu une pomme de terre sur la tête ! "
Cette histoire est raconté dans une curieuse autobiographie,
Griding it Out. Quand il rencontre Maurice et Richard McDonald en Californie,
il existe déjà, depuis plus de vingt ans, dans la région
de Los Angeles, des " drive-in ", où les clients sont servis dans
leur voiture. Les menus sont presque toujours identiques : bœuf, porc ou
poulet grillé. Les restaurateurs entrent en compétition moins
par l'originalité et la qualité de la nourriture que par
la présence et par les tenues vestimentaires plus ou moins sexy
de ces jeunes serveuses d'un nouveau genre, les " carhops ", qui " sautillent
" de voiture en voiture, parfois en patins à roulettes, prestation
originale pour attirer le client.
Kroc évoque sa première rencontre avec les frères
McDonalds, " my future mentors " ! " Je fus enchanté par leur gentillesse
et leur ouverture d'esprit. La rencontre a été extrêmement
cordiale. Il m'ont inspiré confiance dès le début.
" Ces sentiments n'empêcheront pas Ray Kroc de faire construire,
face au restaurant de Maurice et Richard McDonald, un McDo concurrent,
qui les réduira à la faillite ; alors qu'ils n'avaient cédé
à Kroc l'enseigne McDonald's qu'a la condition expresse de conserver
leur établissement d'origine.
En 1926, Maurice McDonald quitte Manchester (New Hampshire), pour s'installer
à Holywood, ou il travaille comme machiniste dans un studio de cinéma.
Son frère Richard le rejoint l'année suivante, et en 1932,
les deux frères décident de monter leur propre affaire. Ils
ouvrent un cinéma à Glendora (Californie), mais la crise
économique ne leur facilite pas les choses. Ayant par contre remarqué
qu’un petit " hotdog stand ", situé en face du cinéma, ne
désemplit pas, ils décident de fermer le cinéma pour
ouvrir en 1937 un " drive-in restaurant ", spécialisé dans
les grillades, au sud de Los Angeles, à Santa Anita, à proximité
d'un grand hippodrome. Cette fois la formule réussit ; et, deux
ans plus tard, ils investissent dans un restaurant plus grand à
San Bernadino, à l'est de Los Angeles, non loin du Désert
Mojave. Les neuf années suivantes,l'affaire prospère, basée
sur le modèle classique alors des " carhops ", qui attire particulièrement
la clientèle adolescente. Après la Deuxième Guerre
mondiale, les frères McDonalds calculent qu'ils gagneraient encore
plus en rationalisant leur méthode de production ; ainsi va naître
le prototype du " fast food ".
En dépit d'un parking toujours plein, ils n'augmentent guère
leurs bénéfices. En 1948, ils ferment leur restaurant, pourtant
rentable, et réorganisent radicalement leur façon de faire
à partir des principes suivants : 1) le menu est réduit à
trois éléments – hamburgers, frites, boissons; 2) le parking
où les clients consommaient dans leurs voitures est complètement
supprimé; 3) les serveuses sont également supprimées,
et remplacées par une équipe exclusivement masculine.
Derrière ce prototype du " fast food ", la logique de Maurice
McDonald repose sur trois points : a) offrir un menu type, préparé
aussi rapidement que possible selon les méthodes industrielles du
travail à la chaîne; b) accélérer la rotation
de la clientèle, en contraignant les conducteurs, aussitôt
servis, à quitter les lieux le plus rapidement possible pour aller
avaler leur hamburger ailleurs; c) augmenter la rentabilité en éliminant
les jeunes qui restaient tourner autour des serveuses. Ainsi, le premier
" fast food " décidait de s'adresser à une clientèle
familiale bien ciblée, plus rentable qu'une jeunesse moins apte
à consommer vite et bien.
Cette extrême rationalisation de la préparation du produit
fut raffinée par les frères McDonalds grâce à
l'utilisation d'équipements de cuisine spécialement conçus
pour eux ; ce qui leur permit de vendre le hamburger pour le prix dérisoire
de 15 cents. D'ou le fameux slogan : " Buy 'em by the bag ". (Depuis novembre
1998, McDonald's est capable de servir un hamburger-frites-Coca en 45 secondes
: 11 secondes pour le pain grillé, 20 secondes pour le ketchup et
les cornichons, 14 secondes pour la cuisson de la viande. Grâce à
de nouvelles techniques, 10 secondes ont été gagnées
en un demi siècle, depuis le premier McDonald's !).
Au printemps 1955, dans la ville même où émerge
la pensée neo-libérale de Milton Friedman, le " gourou "
du marché libre, et de ses collègues de la " Chicago School
of Economics ", Ray Kroc entreprend d'illustrer cette doctrine en créant
la " McDonald's Systems, Incorporated ". Au cours des années suivantes,
les " Chicago Boys " établiront leur réputation en endoctrinant
une génération d'étudiants grâce au dogme du
" free market ", que les succès de Ray Kroc ne font que confirmer.
1) Le système de franchise : une intarissable vache à lait...
"We are not basically in the food business. We are in the real
estate business. The only reason we sell fifteen-cent hamburgers
is because they are the greatest producer of revenue from
which our tenants [McDonald's franchisees] can pay us our rent. "
--Harry Sonneborn,
President de McDonald's System,Inc. (1955-1967),
cité par John Love (199).
En 1955, à la création de McDonald's System, Inc, plus
d'une douzaine d'entreprises ont déjà développé
un système de franchise dans l'industrie de " fast foods ". L'apport
de Kroc consista essentiellement en trois innovations destinées
à doter McDonald's d'une organisation beaucoup plus centralisée.
1)Par une intervention directe sur la sélection et le contrôle
du franchisé; 2) par un contrôle absolu sur chacun des fournisseurs
sélectionnés; 3) par un système de location, qui laisse
à McDonald's System, Inc. le contrôle de l'ensemble de ses
sites.
Alors que des contemporains de McDonald's tels que Burger King, Burger
Chef, Dairy Queen, Kentucky Fried Chicken ou Chicken Delight se contentaient
d'appliquer les méthodes de franchise employées dans d'autres
industries, l'état-major de McDonald's développa un système
diffèrent et innovant. Dans le système classique, une entreprise
vend un droit exclusif pour une région précise. Souvent,
l'acheteur revend à son tour ses droits d'exploitation. Ce système
implique une indépendance locale du franchisé, qui a pour
seule contrainte de payer un pourcentage à chaque niveau d'intermédiaire.
L'intérêt de ces intermédiaires est d'obtenir un pourcentage
maximum, et non de privilégier l'image de marque du franchiseur.
Par conséquent, la qualité du produit est souvent limitée
par la recherche d'un profit à court terme. McDonald's System, Inc.
s'inscrit au contraire dans une stratégie à long terme, où
l'image de marque est sacrée. Chez McDonald's, un franchisé
droit faire ses preuves avant d'avoir la possibilité d'ouvrir un
autre site.
Ainsi, McDonald's élimine systématiquement tout intermédiaire
spéculatif, et met en place un contrôle direct sur chacun
de ses franchisés. En même temps, l'approvisionnement est
regroupé et le stockage limité, avec pour conséquence
directe des frais de fonctionnement réduits au maximum, ce qui permet
des tarifs extrêmement compétitifs.
Autre clef du succès pour les franchisés : l'emplacement.
Depuis toujours, McDonald's traque le lieu idéal pour l'implantation
de son futur site. Dans les années 50 aux États-Unis, avec
l'expansion des banlieues, les seuls concurrents étaient les stations-service
des compagnies pétrolières. Ray Kroc voyageait toujours avec
sous le bras son guide, Editor and Publisher Market Guide (index
de tous les noms des journaux publiés aux États-Unis, comportant
la description socio-économique de chaque ville et village.) Selon
ses proches, c'était son livre de chevet.
Une fois qu'il avait repéré un site intéressant,
Kroc négociait avec le propriétaire un contrat de location
pour 20 ans, à loyer fixe. Puis il relouait aussitôt au franchisé
sélectionné, avec une plus value de 20 à 40 % sur
le loyer. (Déjà un profit garanti !) Les banques locales
ne lui faisant guère confiance, il s'arrangeait pour que le propriétaire
du terrain emprunte (le terrain servant de caution) la somme nécessaire
à l'édification des bâtiments de restauration, et cela
en fonction d’indications précises.
Le franchisé pouvait alors investir les lieux. À un certain
niveau de chiffre d'affaire, le loyer n'était plus fixe, mais devenait
proportionnel au résultât des ventes, soit habituellement
entre 6 et 20 %. S'ajoutait à cela l'obligation pour le franchisé
de payer 5 % supplémentaires pour la marque, et encore 4,5 % pour
les frais de publicité. Il faut savoir que le franchisé devait
mettre à la disposition de McDonald's, Inc. une caution de 15 000
dollars qu'il ne pouvait récupérer que 5 ans avant la fin
du contrat, c'est-à-dire 15 ans plus tard.
Ceci permettait à McDonald de dégager les capitaux nécessaires
à ses investissements marketing. En effet, grâce à
ce système de franchise, McDonald's ne produit rien, à part
sa marque. Par contre, il impose au franchisé son choix en matière
de fournisseurs et inspecte régulièrement chaque restaurant
pour s'assurer qu'aucune règle de fonctionnement n'est violée.
Mais il ne fabrique lui même ni les hamburgers, ni les salades, ni
les petits cadeaux pour les enfants. Ses " Bigmachins " sont conçus
par ses propres experts en marketing, mais c'est le franchisé qui
les fabrique. Ainsi la santé de McDonald's dépend du bon
fonctionnement de ses franchisés, sur lesquels il prélève
sa rente.
À noter qu'a partir de 1960, McDonald's a changé sa stratégie,
en commençant à acheter ses sites, plutôt qu'en renégociant
ses contrats de location. De cette façon, il s'assure un plus grand
profit à long terme, en raison des prévisibles plus-values
immobilières. Vers 1980, il possédait directement 69 % environ
de ses sites aux États-Unis, et aujourd'hui presque tous.
2) Techniques de marketing : la fabrique à désirs
"Remember that children exert a major influence when it
comes to choosing a restaurant, which means that you must
do everything possible to make children love Ronald and
McDonald's. "
--Extrait de l’Operators’ Manual de chez
McDonald's.
Selon des anthropologues, 70% des achats alimentaires d'une famille
sont déterminés par les enfants. La " fabrique à désirs
" offre un travail à plein temps à une armée de spécialistes
de McDonald's System, Inc. " Je suis ouvert à tout moyen susceptible
d'aider McDonald's à dominer le marché " : ainsi s'exprimait
Michael Quinlan devant ses actionnaires à l'assemblée annuelle
de 1995. " Bien que leader sur le marché, nous fournissons moins
de 1% de la population mondiale pour un jour donne ". Il reste donc 99
% de la population mondiale qui n'a pas mange chez McDonald's...
Aux États-Unis, 7 % environ de la population fréquente
quotidiennement un restaurant McDonald's. Les analystes de marketing concluent
que McDonald's draine essentiellement trois catégories de consommateurs
: 1) les divorcés et les parents célibataires qui n'ont pas
le temps ou l'envie de préparer les repas. 2) les familles à
deux revenues, où ni le mari ni la femme ne sont disponibles pour
faire la cuisine à la maison. 3) les enfants entre 2 et 8 ans. Cette
dernière catégorie bénéficie de la majorité
du 1,8 milliard de dollars du budget publicitaire annuel. Cet investissement
est justifié, car a) si les enfants sont séduits par McDonald's,
les adultes les accompagneront et deviendront consommateurs et b) si les
jeunes enfants prennent l'habitude de fréquenter McDonald's, plus
tard ils y retourneront par habitude (où qu'ils soient dans le monde).
a. Propreté, efficacité, et habitude
La formule mise au point par McDonald's pour fidéliser le consommateur
repose sur la standardisation de la production et de la distribution, strictement
contrôlées au niveau central.
Selon The Operators' Manual -- gros volume de 600 pages -- le
" Big Mac " doit avoir une belle apparence, toujours la même. Tous
les stades de la fabrication sont soigneusement surveillés. Les
normes imposées sont les suivantes : la croûte du pain doit
mesurer 16 mm d'épaisseur ; son diamètre doit être
de 9,5 cm ; sa hauteur de 4,1 cm ; et son poids, après cuisson,
de 638 grammes. Il est grillé pendant précisément
35 secondes.
Il faut que sa texture soit molle, et qu'il soit toujours de la même
couleur. La viande doit subir le même traitement pour avoir toujours
les mêmes caractéristiques. Elle est hachée et surgelée
avec un taux constant de matière grasse, car en raison de sa température
de cuisson, elle s'assécherait trop vite et réduirait beaucoup
trop. Le résultat assure au sandwich une couleur toujours identique
; il n'a aucun goût ni odeur, mais reste agréable à
regarder ; la viande dépasse légèrement, histoire
de faire croire qu'il y en a beaucoup... Tout cela en 45 secondes !
b. Vulnérabilité enfantine
Mais la clef principale du succès de McDonald's est sa façon
de cibler les enfants, à partir du sport et du cinéma. En
1996, McDonald's et Walt Disney Productions ont signé un accord
pour dix ans, selon lequel McDonald's détient l'exclusivité
des droits sur l'utilisation des films de Walt Disney lors de ses promotions
mondiales. Cet accord, a-t-on fait remarquer, représente la plus
grande alliance marketing jamais conclue. En janvier 1999, McDonald's a
ouvert un restaurant Eurodisney, dans les environs de Paris, avec un parc
inspiré de Léonard de Vinci. Plus de 40 % des McDonald's
dans le monde disposent aujourd'hui de parcs, dans lesquels se trouvent
souvent des figurines créés par McDonald's, comme le " Mayor
McCheese ", le " Hamburglar ", " l'Officer Big Mac " ou la "Grimace ",
qui engloutit milkshake sur milkshake.
Mais la plus grande réussite de McDonald's est l'introduction
du clown Ronald. " Ronald McDonald " a été créé
en 1960, tout d'abord dans la région de Washington, D.C., où
son succès fut immédiat, et permit une augmentation du chiffre
d'affaire de 30%. Peu après, Ronald McDonald devint une personnalité
internationale. L'impact du clown se traduit en chiffres éloquents
: Ronald McDonald est aujourd'hui plus connu des enfants du monde entier
que le Père Noël, et les " Golden Arches " que la croix chrétienne.
La réussite publicitaire de McDonald's pose problème
à certains nutritionnistes, qui considèrent le " Big Mac
" vendu dans le monde entier comme un gadget de luxe, susceptible de remplacer
la nourriture traditionnelle et plus saine des sociétés agraires
plus pauvres. Selon un anthropologue, " grâce à une publicité
sophistiquée employant des symboles spécifiques d'une certaine
culture, la consommation publique de tels produits alimentaires et boissons
devient le moyen privilégié de s'identifier au mode de vie
et à la puissance américaine. Les conséquences négatives
de ce comportement pour le long terme ne sont pas encore bien connues,
mais, selon toute probabilité, il modifiera profondément
le mode d'alimentation traditionnel d'une grande partie de la population
de ces sociétés agraires pauvres. "
3) Gestion des ressources humaines : A la recherche du parfait larbin...
"We sold them a dream and paid them as little as possible."
--Ray Kroc (Grinding it Out, 110)
Ray Kroc n'était pas très porté sur l'école
et il n’a obtenu aucun diplôme de fin d’études secondaires.
Comme il l’a écrit dans son autobiographie, les jeunes feraient
mieux d’être au travail qu'a l'école. " Il y a trop de bacheliers,
et pas assez de bouchers. " Son fameux slogan, emprunté au Colonel
Sanders, le fondateur de la chaîne de " fast food " Kentucky Fried
Chicken, était : " KISS ", acronyme de la formule " Keep It Simple,
Stupid. " (Espèce d'idiot, ne complique pas les choses !).
Soixante-six pour cent des 1,5 millions de salariés de McDonald's
ont moins de 21 ans, et une bonne moitié de ces derniers en ont
moins de dix-huit. La rotation annuelle du personnel est en moyenne trois
à quatre fois plus élevée que celle de l'industrie
alimentaire. En 1989, cette rotation a dépassé 190 % aux
États-Unis ; et a même parfois dépassé ce niveau.
En Grande Bretagne, environ 80 % des salariés sont à temps
partiel, avec une moyenne de 20 heures par semaine. L'équipe à
plein temps est le noyau de l'entreprise. Ils ont fait leurs preuves en
manifestant des " attitudes positives ", un " esprit d'équipe "
et une aptitude à " en mettre un coup " pendant les heures de pointe.
Les managers de McDonald's cultivent un sentiment quasi-religieux. L'image
de marque " McDo " est la valeur suprême. Les salariés en
contact avec la clientèle doivent apparaître comme des jeunes
Américains typiques, des " McDonald's boys ". Ils doivent exprimer
" sincérité, enthousiasme, confiance et sens de l'humour
". Tout est dans l'apparence, et l'apparence doit être uniforme :
le même visage, le même sourire, le même physique.
Soixante-dix pour cent des ventes journalières de McDonald's
se réalisent sur une durée de 4 heures. McDonald's essaie
de changer les habitudes alimentaires pour attirer plus de consommateurs
pendant les heures creuses par des tarifs réduits. L'accélération
des cadences imposée pendant les heures de pointe, introduite d'abord
aux États-Unis et maintenant généralisée, accroît
la pression sur les salariés, exposes aux risques de cuisines bondées.
Selon les propos d'un salarié, le travail est alors comme un combat
sans merci dans un sous-marin surpeuplé. C'est dans ces moments
que l'équipe encourt le plus d’accidents.
Au début des années 1970, il y eut près de 400
tentatives d'organisation syndicale dans divers restaurants McDonald's.
McDonald's engagea comme chef du personnel John Cook, dont la contribution
essentielle fut de monter une " flying squad " (escouade volante) de managers
McDo expérimentés, équipe " musclée " prête
à faire une descente dans tout restaurant où se profile le
risque d'une organisation syndicale. Grâce à l'efficacité
de cette stratégie anti-syndicale, toutes les tentatives restèrent
vaines, et de nos jours le syndicalisme est entièrement absent de
l'empire McDonald's.
Chez McDonald's les salaires tournent autour du salaire minimum, et
sont parfois inférieurs au minimum légal. En 1972, McDonald's
a donné 250.000 dollars pour la compagne électorale de Richard
Nixon, et en même temps fit pression sur le Congrès pour faire
voter à Washington la loi connue sous le nom " McDonald Bill ".
Si elle avait été votée, cette loi se proposait de
supprimer le salaire minimum pour certaines catégories de salariés.
Plus d'un demi-million d'Américains travaillent pour McDonald's.
Selon John Love, le biographe officiel de McDonald's, " l'incidence de
McDonald's sur la classe ouvrière américaine dépasse
de beaucoup le chiffre de ses effectifs, car il forme à leur premier
job un grand nombre de lycéens ". En effet, on estime que plus que
10 % de l'ensemble des salariés américains ont travaillé
au moins une fois dans leur vie dans un restaurant McDonald's.
4) Image de marque : les relations publiques...
"The reason Japanese people are so short and have yellow skins
is because they have eaten nothing but fish and rice for two
thousand years [...] if we eat McDonald's hamburgers and
potatoes for a thousand years we will become taller, our skin
become white and our hair blonde. "
--Den Fujita, Président de McDonald's Japon.
Actuellement, 33 millions de personnes dans le monde mangent tous les
jours exactement la même chose, de la même façon : un
hamburger dans un McDonald's. L'industrie du fast-food est en pleine expansion.
D'un bout du monde à l'autre, les jeunes boivent du Coca-Cola, mangent
des frites et des hamburgers McDonald's, ou Wendy's, ou Burger King, ou
Quick. Au Japon, par exemple, pour la première fois depuis 2000
ans, les gens consomment davantage de bœuf que de riz. Depuis 1996 McDonald's
est présent en Inde, où la majorité de la population
regarde les vaches comme des animaux sacrés. Ce qui rend McDonald's
unique, c'est 1) son rôle de pionnier du fast-food à partir
de 1954; et 2) la réussite exceptionnelle de son entreprise dont
le revenu atteint 30 milliards de dollars par an, avec un budget publicitaire
annuel de 2 milliards de dollars.
L'entreprise protège son image avec vigilance. Elle s'est acquis
une réputation redoutable en attaquant en justice les petites entreprises
et les individus qui ont osé la critiquer, ou utiliser une marque
voisine. La seule menace d'un procès avec McDonald's a contraint
de grandes entreprises ou des médias tels que le New York Times,
le Washington Post, NBC, etc. à accepter de faire des excuses
publiques à McDonald's.
La " London Greenpeace " est l'exemple d'une entreprise ayant refuse
de faire de telles excuses. À l'automne 1990, quelques membres de
Greenpeace distribuèrent des tracts devant un McDonald's. Les six
pages du feuillet, intitulé " What's Wrong with McDonald's ? ",
proposaient aux clients un critique systématique de l'impact de
McDonald's sur l'environnement, de ses conditions de travail et des dangers
alimentaires que McDonald's cherche à étouffer.
Deux des six membres de London Greenpeace ayant refusé de faire
des excuses à McDonald's pour ce tract, McDonald's porta plainte
devant la 35ème Cour Royale de Justice, présidée
par sir Roger Bell. Ce procès fut le plus long de l'histoire de
la justice britannique : 314 jours au total, sans compter les procédures
d'appels.
En juin 1997, le président Bell rendit son verdict. Plusieurs
des accusations contenues dans le tract furent jugées fausses par
la Cour : 1) que McDonald's ait contribué à la déforestation
des zones tropicales; 2) que McDonald's ait menti sur le fait qu'il utilise
du papier recycle; 3) qu'il soit responsable de la dégradation croissante
des quartiers avoisinant ses restaurants par les papiers sales et autres
déchets; 4) que, en encourageant la consommation de bœuf, McDonald's
contribue à la croissance de l'industrie de la viande, et, par conséquent,
de façon significative, à l'émission de gaz de méthane
dans l'atmosphère.
Mais sur les points cruciaux soulevés par le tract, la Cour
de Justice donna satisfaction à Greenpeace. Le Président
Bell considéra comme justifiées les accusations suivantes
: a) que l'alimentation de McDonald's, en cas de consommation régulière,
présente des risques de cancer du sein et de l'intestin; b) que
l'entreprise exploite les enfants, en ciblant sur eux les 2 milliards de
dollars annuels de son budget publicitaire, "pour les pousser à
faire pression sur leurs parents et à les harceler pour se faire
amener au McDonald's "; c) que McDonald's est " reconnu responsable de
pratiques cruelles dans l'élevage et l'abattage de certains des
animaux utilisés pour produire son approvisionnement "; et d) qu'il
est suffisamment démontré que McDonald's est " fortement
opposé à toute idée d'organisation syndicale. "
Dans son verdict final, le Président Bell ramena de 120 000
livres sterling à 60 000 l'estimation des dommages subis par McDonald's.
Les accusés de Greenpeace, Helen Steel et David Morris, font actuellement
appel, ce qui va demander encore 2 ou 3 ans. Selon un article récent
du International Herald Tribune (1er avril 1999) la Cour
d'Appel a encore réduit l'estimation des dommages à 40 000
livres. Steel et Morris maintiennent la procédure d'appel, en dépit
des assurances données par McDonald's comme quoi l'entreprise renonce
au bénéfice de ces dommages.
Ce procès a déclenché une avalanche d'informations
sur de nombreux sites internet, en particulier <www.mcspotlight> et
<www.mclibel>. En février 1997, 200 salariées sont tombées
malades dans l'usine vietnamienne McDonald-Disney, qui produit les jouets
publicitaires pour les " Happy Meals " de McDonald's. Dans cette usine,
plusieurs centaines de femmes, âgées d'environ 17 ans, travaillent
de 9 à 10 heures par jour, 7 jours par semaine, pour 6 cents de
l'heure. Alors que trois de ces femmes avaient été hospitalisées
à la suite d'une intoxication chimique, Brad Ball, le premier vice-président
de McDonald's déclara au même moment que les figurines " Happy
Meals " des " 101 Dalmatiens " avaient été le plus grand
succès de toute l'histoire de McDonald's. " En nous embarquant dans
notre nouvelle alliance globale avec Disney, " ajouta-t-il, " nous prévoyons
de vivre 10 années inoubliables d'extraordinaires divertissements
familiaux où les consommateurs savoureront la magie de Disney chez
McDonald's exclusivement. "
Plus récemment, en France, McDonald's est redevenu un lieu de
résistance. Le 12 août 1999, à Millau, le chantier
d'un nouveau restaurant McDonald's a été saccagé par
200 militants anti-McDonald's à l'initiative conjointe du Syndicat
des producteurs de lait de brebis de Roquefort et de la Confédération
paysanne. Le propriétaire, qui a déjà deux restaurants
McDonald's dans la ville, a exprimé ainsi son incompréhension
: " Les capitaux, les produits et les fournisseurs sont français.
Seule l'enseigne est américaine. " Mais pour les militants qui ont
cassé les vitres, arraché les tuiles, et détruit une
structure à peine achevée, McDonald's est le symbole d'une
" alimentation banalisée ", de la " mondialisation et son travail
d'indifférenciation des viandes ".
Conclusion : Réflexions et contradictions
"You can fool all the people some of the time,
and some of the people all the time, but you can't
fool all the people all the time."
--Abraham Lincoln
Malgré les proclamations des néo-libéraux, tel
Milton Friedman et l'École de Chicago, les écrits d'Adam
Smith ont valeur de document historique, mais non d'analyse du monde actuel.
L'illusion comme quoi l'égoïsme individuel peut être
converti par la fameuse " main invisible " en un comportement socialement
constructif s'inscrit, au XVIIIe siècle, dans la polémique
contre le mercantilisme -- alors que l'État fait alliance avec les
grands négociants contre l'intérêt public. Pour remédier
à la corruption officielle, Adam Smith propose le capitalisme du
" laissez-faire ", théorie qui suppose que les forces du marché
soient gouvernées par la demande. Mais aujourd'hui, à l'ère
du capitalisme de monopole, les marchés ne sont plus gouvernés
par la demande. En fait, c'est le contraire qui se produit et McDonald's
est un exemple flagrant de ce renversement.
Quel est l'avenir de McDonald's ? Finira-t-il par s'autodétruire
? Selon certains analystes, McDonald's risque en effet d'être victime
de sa propre stratégie de croissance, car de plus en plus de sites
ont été construits dans des aires déjà saturées
par McDonald's lui même. La contradiction interne consiste en ce
que la recherche d'un profit maximum extrait de la rente immobilière
de McDonald's System, Inc. l'incite à multiplier les sites de restauration,
ce qui réduit la clientèle et les potentialités commerciales
de chaque franchisé. Actuellement, McDonald's paye discrètement
à certains de ses franchisés le montant correspondant à
la perte de clientèle due à la construction de nouveaux sites
à proximité.
Une analyse différente, moins optimiste, affirme que, la capacité
de McDonald's à " produire du désir " étant pratiquement
illimitée, il faut organiser une résistance collective au
niveau local. Le professeur Richard Falk, de l'Université de Princeton,
soutient ce point de vue ; il décrit un mouvement de mondialisation
issu de la base, impliquant des groupes locaux de citoyens et des institutions
alternatives, émergeant à travers le monde pour satisfaire
les besoins primaires, préserver les traditions locales, la vie
religieuse et culturelle, l'environnement et la dignité humaine.
Ces groupes, malgré leur grande diversité, sont reliés
par des intérêts communs. Ces communautés peuvent être
fondées sur un critère géographique, ethnique ou autre,
ou sur un objectif précis comme la préservation d'espèces
en
danger.
Selon cette analyse, une société civile globale commence
à prendre forme ; elle constitue la seule force capable d'arrêter
la dégradation de la diversité environnementale, y compris
la nôtre. Aujourd'hui, McDonald's est obsédé par la
croissance. " La croissance ou la mort ", tel est le slogan actuel des
grandes entreprise comme McDonald's. Cette dynamique ne peut être
ignorée. Cela signifie " la croissance ou la mort " pour nous tous.
Le développement d'une conscience collective, attentive aux besoins
authentiques de la communauté, est la seule alternative crédible
aux techniques de marketing sophistiquées, qui laissent dans leur
sillage des communautés dévastées et des individus
vidés de leur identité.
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