Atelier 3, article 1


© Francis Feeley :
(article publié dans Sources, septembre 1999)
 
      Pensée unique, assiette unique : McDonald's, un nouveau 'Way of Life' ?

 

                                                                                                             "Tu es ce que tu manges."
                                                                                                                                        --Brillat-Savarin

This article describes four aspects of McDonald's phenomenal rise in the American fast-food industry after the Second World War : 1) its unique franchise system ; 2) its aggressive marketing techniques ; 3) its labor relations ; and 4) its public relations. In conclusion we will evaluate the consequences of its rapid international expansion in the period of neo-liberalism.
 
 

Introduction : le contexte historique

                                                             "I stand for the values of freedom [...] even if free-market economics 
                                                             was not the most efficient system, I'd still be in favor of it, because of 
                                                             the human values it represents of choice, challenge and risk. "
                                                                              --Milton Friedman, auteur de Capitalism and Freedom
                                                                                                             (University of Chicago Press, 1962).
 
 

Après des débuts modestes en 1954, McDonald's a connu une croissance régulière jusqu'à la fin de 1980, atteignant 5,213 unités de restauration sur le territoire des États-Unis au 31 décembre de cette même année. L'accélération libérale de l'ère reaganienne provoque le véritable décollage de McDonald's, qui dépasse aujourd'hui les 12.000 unités aux États-Unis et plus encore à l'étranger, débordant les prévisions les plus folles de son fondateur, Ray Kroc, qui, avant sa mort en 1984, rêvait d'avoir édifier pour l'an 2000 un empire de 20.000 McDonald's à travers le monde. Aujourd'hui, Michael Quinlan, le président actuel de McDonald's, rêve d'une Amérique où " personne n'est à plus de 4 minutes d'un Big Mac ". Une stratégie qui n'est pas un secret : mettre en place un McDonald's pour 25.000 habitants ; ce qui ne représente pas moins de 240.000 unités pour les six milliards de clients potentiels de la planète.
Selon le rapport des actionnaires de la fin du premier trimestre 1999, McDonald's confirme l'existence de 24.955 restaurants pour 115 pays desservis, avec un revenu dépassant annuellement 30 milliards de dollars, qui dégagent un profit s'élevant à plus de 1,5 milliards de dollars. A part une perte de 15 % en Amérique latine (conséquence de la crise économique qui a affecté le Brésil), les trois autres zones de l'empire McDonald's – États-Unis, Europe, Asie-- ont vu pour le premier trimestre 1999 leur chiffre d'affaire augmente de 12 %.
Le phénomène McDonald's relativement récent doit être perçu dans un contexte économique capitaliste de monopole, ou l'entreprise, nouveau concentre de pouvoir, peut s'établir ou elle veut, quand elle veut, pour la durée qu'elle souhaite. Il résulte de cette façon d'accéder au marché une mise en cause et un affaiblissement de la souveraineté des États. Par exemple, moins de dix entreprises multinationales contrôlent la totalité du marché alimentaire mondial. Quatre de ces sociétés contrôlent 90 % du marché à l'exportation pour le blé, le mais, le café, le thé, les ananas, le coton, le tabac, le jute et les produits forestiers. (Ces quatre sociétés contrôlent également le stockage, le transport, mais aussi les chaînes de transformation alimentaire de ces produits.) 90 % de l'abattage de bœuf aux États-Unis est entre les mains de quatre autres grandes sociétés. Deux sociétés seulement dominent 65 % de tout le marché de céréales transformées pour le petit déjeuner. Les 500 plus grandes sociétés réalisent actuellement 42 % du chiffre d'affaire mondial, avec plus de 10.000 milliards de dollars, ce qui représente les deux-tiers de la totalité du commerce mondial. Les 50 plus grandes banques et institutions financières de la planète gèrent 60 % (20.000 milliards de dollars) du total annuel du marché monétaire mondial. Dans ce contexte, où des industries gigantesques comme General Motors avec son chiffre d'affaire de plus de 133 milliards de dollars (1996), McDonald's apparaît comme un petit enfant, avec seulement 30 milliards de dollars de chiffre d'affaire !
Ray Kroc est âgé de 53 ans à l'ouverture de son premier restaurant franchise. Fils d'un immigre tchèque de Chicago, il quitte l'école à 16 ans ; trop jeune, il doit falsifier son âge pour réussir à s'enrôler dans l'armée durant la première guerre mondiale. Il se trouve dans la même compagnie qu'un autre futur grand entrepreneur, Walt Disney, qui lui aussi a du tricher sur son âge pour devenir soldat. Ni l'un ni l'autre ne feront partie des opérations de combat, pour cause de fin de guerre.
Une santé précaire évitera à Kroc de servir pendant la deuxième guerre mondiale. Néanmoins sa santé ne l'empêchera pas de profiter du boom économique qui accompagne aux États-Unis ces années de guerre et d'après-guerre. A cette époque, il vend des gobelets en carton dans la région de Chicago.
La première fois que Ray Kroc entend parler de la réussite exceptionnelle du restaurant des frères McDonald's, spécialistes des " hamburgers ", il est représentant en équipement et matériel de restauration pour le compte d'une société basée à Chicago. En 1954, il organise une visite à San Bernadino en Californie chez les frères McDonalds. Il en revient très impressionné. " Je me suis senti comme une sorte de Newton, ayant reçu une pomme de terre sur la tête ! "
Cette histoire est raconté dans une curieuse autobiographie, Griding it Out. Quand il rencontre Maurice et Richard McDonald en Californie, il existe déjà, depuis plus de vingt ans, dans la région de Los Angeles, des " drive-in ", où les clients sont servis dans leur voiture. Les menus sont presque toujours identiques : bœuf, porc ou poulet grillé. Les restaurateurs entrent en compétition moins par l'originalité et la qualité de la nourriture que par la présence et par les tenues vestimentaires plus ou moins sexy de ces jeunes serveuses d'un nouveau genre, les " carhops ", qui " sautillent " de voiture en voiture, parfois en patins à roulettes, prestation originale pour attirer le client. 
Kroc évoque sa première rencontre avec les frères McDonalds, " my future mentors " ! " Je fus enchanté par leur gentillesse et leur ouverture d'esprit. La rencontre a été extrêmement cordiale. Il m'ont inspiré confiance dès le début. " Ces sentiments n'empêcheront pas Ray Kroc de faire construire, face au restaurant de Maurice et Richard McDonald, un McDo concurrent, qui les réduira à la faillite ; alors qu'ils n'avaient cédé à Kroc l'enseigne McDonald's qu'a la condition expresse de conserver leur établissement d'origine.
En 1926, Maurice McDonald quitte Manchester (New Hampshire), pour s'installer à Holywood, ou il travaille comme machiniste dans un studio de cinéma. Son frère Richard le rejoint l'année suivante, et en 1932, les deux frères décident de monter leur propre affaire. Ils ouvrent un cinéma à Glendora (Californie), mais la crise économique ne leur facilite pas les choses. Ayant par contre remarqué qu’un petit " hotdog stand ", situé en face du cinéma, ne désemplit pas, ils décident de fermer le cinéma pour ouvrir en 1937 un " drive-in restaurant ", spécialisé dans les grillades, au sud de Los Angeles, à Santa Anita, à proximité d'un grand hippodrome. Cette fois la formule réussit ; et, deux ans plus tard, ils investissent dans un restaurant plus grand à San Bernadino, à l'est de Los Angeles, non loin du Désert Mojave. Les neuf années suivantes,l'affaire prospère, basée sur le modèle classique alors des " carhops ", qui attire particulièrement la clientèle adolescente. Après la Deuxième Guerre mondiale, les frères McDonalds calculent qu'ils gagneraient encore plus en rationalisant leur méthode de production ; ainsi va naître le prototype du " fast food ".
En dépit d'un parking toujours plein, ils n'augmentent guère leurs bénéfices. En 1948, ils ferment leur restaurant, pourtant rentable, et réorganisent radicalement leur façon de faire à partir des principes suivants : 1) le menu est réduit à trois éléments – hamburgers, frites, boissons; 2) le parking où les clients consommaient dans leurs voitures est complètement supprimé; 3) les serveuses sont également supprimées, et remplacées par une équipe exclusivement masculine.
Derrière ce prototype du " fast food ", la logique de Maurice McDonald repose sur trois points : a) offrir un menu type, préparé aussi rapidement que possible selon les méthodes industrielles du travail à la chaîne; b) accélérer la rotation de la clientèle, en contraignant les conducteurs, aussitôt servis, à quitter les lieux le plus rapidement possible pour aller avaler leur hamburger ailleurs; c) augmenter la rentabilité en éliminant les jeunes qui restaient tourner autour des serveuses. Ainsi, le premier " fast food " décidait de s'adresser à une clientèle familiale bien ciblée, plus rentable qu'une jeunesse moins apte à consommer vite et bien. 
Cette extrême rationalisation de la préparation du produit fut raffinée par les frères McDonalds grâce à l'utilisation d'équipements de cuisine spécialement conçus pour eux ; ce qui leur permit de vendre le hamburger pour le prix dérisoire de 15 cents. D'ou le fameux slogan : " Buy 'em by the bag ". (Depuis novembre 1998, McDonald's est capable de servir un hamburger-frites-Coca en 45 secondes : 11 secondes pour le pain grillé, 20 secondes pour le ketchup et les cornichons, 14 secondes pour la cuisson de la viande. Grâce à de nouvelles techniques, 10 secondes ont été gagnées en un demi siècle, depuis le premier McDonald's !).
Au printemps 1955, dans la ville même où émerge la pensée neo-libérale de Milton Friedman, le " gourou " du marché libre, et de ses collègues de la " Chicago School of Economics ", Ray Kroc entreprend d'illustrer cette doctrine en créant la " McDonald's Systems, Incorporated ". Au cours des années suivantes, les " Chicago Boys " établiront leur réputation en endoctrinant une génération d'étudiants grâce au dogme du " free market ", que les succès de Ray Kroc ne font que confirmer.

1) Le système de franchise : une intarissable vache à lait...

                                                                  "We are not basically in the food business. We are in the real 
                                                                  estate business. The only reason we sell fifteen-cent hamburgers
                                                                  is  because they are the greatest producer of revenue from 
                                                                  which our tenants [McDonald's franchisees] can pay us our rent. "
                                                                                      --Harry Sonneborn, 
                                                                                      President de McDonald's System,Inc. (1955-1967), 
                                                                                      cité par John Love (199).

En 1955, à la création de McDonald's System, Inc, plus d'une douzaine d'entreprises ont déjà développé un système de franchise dans l'industrie de " fast foods ". L'apport de Kroc consista essentiellement en trois innovations destinées à doter McDonald's d'une organisation beaucoup plus centralisée. 1)Par une intervention directe sur la sélection et le contrôle du franchisé; 2) par un contrôle absolu sur chacun des fournisseurs sélectionnés; 3) par un système de location, qui laisse à McDonald's System, Inc. le contrôle de l'ensemble de ses sites. 
Alors que des contemporains de McDonald's tels que Burger King, Burger Chef, Dairy Queen, Kentucky Fried Chicken ou Chicken Delight se contentaient d'appliquer les méthodes de franchise employées dans d'autres industries, l'état-major de McDonald's développa un système diffèrent et innovant. Dans le système classique, une entreprise vend un droit exclusif pour une région précise. Souvent, l'acheteur revend à son tour ses droits d'exploitation. Ce système implique une indépendance locale du franchisé, qui a pour seule contrainte de payer un pourcentage à chaque niveau d'intermédiaire. L'intérêt de ces intermédiaires est d'obtenir un pourcentage maximum, et non de privilégier l'image de marque du franchiseur. Par conséquent, la qualité du produit est souvent limitée par la recherche d'un profit à court terme. McDonald's System, Inc. s'inscrit au contraire dans une stratégie à long terme, où l'image de marque est sacrée. Chez McDonald's, un franchisé droit faire ses preuves avant d'avoir la possibilité d'ouvrir un autre site.
Ainsi, McDonald's élimine systématiquement tout intermédiaire spéculatif, et met en place un contrôle direct sur chacun de ses franchisés. En même temps, l'approvisionnement est regroupé et le stockage limité, avec pour conséquence directe des frais de fonctionnement réduits au maximum, ce qui permet des tarifs extrêmement compétitifs.
Autre clef du succès pour les franchisés : l'emplacement. Depuis toujours, McDonald's traque le lieu idéal pour l'implantation de son futur site. Dans les années 50 aux États-Unis, avec l'expansion des banlieues, les seuls concurrents étaient les stations-service des compagnies pétrolières. Ray Kroc voyageait toujours avec sous le bras son guide, Editor and Publisher Market Guide (index de tous les noms des journaux publiés aux États-Unis, comportant la description socio-économique de chaque ville et village.) Selon ses proches, c'était son livre de chevet.
Une fois qu'il avait repéré un site intéressant, Kroc négociait avec le propriétaire un contrat de location pour 20 ans, à loyer fixe. Puis il relouait aussitôt au franchisé sélectionné, avec une plus value de 20 à 40 % sur le loyer. (Déjà un profit garanti !) Les banques locales ne lui faisant guère confiance, il s'arrangeait pour que le propriétaire du terrain emprunte (le terrain servant de caution) la somme nécessaire à l'édification des bâtiments de restauration, et cela en fonction d’indications précises.
Le franchisé pouvait alors investir les lieux. À un certain niveau de chiffre d'affaire, le loyer n'était plus fixe, mais devenait proportionnel au résultât des ventes, soit habituellement entre 6 et 20 %. S'ajoutait à cela l'obligation pour le franchisé de payer 5 % supplémentaires pour la marque, et encore 4,5 % pour les frais de publicité. Il faut savoir que le franchisé devait mettre à la disposition de McDonald's, Inc. une caution de 15 000 dollars qu'il ne pouvait récupérer que 5 ans avant la fin du contrat, c'est-à-dire 15 ans plus tard.
Ceci permettait à McDonald de dégager les capitaux nécessaires à ses investissements marketing. En effet, grâce à ce système de franchise, McDonald's ne produit rien, à part sa marque. Par contre, il impose au franchisé son choix en matière de fournisseurs et inspecte régulièrement chaque restaurant pour s'assurer qu'aucune règle de fonctionnement n'est violée. Mais il ne fabrique lui même ni les hamburgers, ni les salades, ni les petits cadeaux pour les enfants. Ses " Bigmachins " sont conçus par ses propres experts en marketing, mais c'est le franchisé qui les fabrique. Ainsi la santé de McDonald's dépend du bon fonctionnement de ses franchisés, sur lesquels il prélève sa rente.
À noter qu'a partir de 1960, McDonald's a changé sa stratégie, en commençant à acheter ses sites, plutôt qu'en renégociant ses contrats de location. De cette façon, il s'assure un plus grand profit à long terme, en raison des prévisibles plus-values immobilières. Vers 1980, il possédait directement 69 % environ de ses sites aux États-Unis, et aujourd'hui presque tous. 

2) Techniques de marketing : la fabrique à désirs

                                                                    "Remember that children exert a major influence when it 
                                                                    comes to choosing a restaurant, which means that you must 
                                                                    do everything possible to make children love Ronald and 
                                                                    McDonald's. "
                                                                                                 --Extrait de l’Operators’ Manual de chez 
                                                                                                    McDonald's.

Selon des anthropologues, 70% des achats alimentaires d'une famille sont déterminés par les enfants. La " fabrique à désirs " offre un travail à plein temps à une armée de spécialistes de McDonald's System, Inc. " Je suis ouvert à tout moyen susceptible d'aider McDonald's à dominer le marché " : ainsi s'exprimait Michael Quinlan devant ses actionnaires à l'assemblée annuelle de 1995. " Bien que leader sur le marché, nous fournissons moins de 1% de la population mondiale pour un jour donne ". Il reste donc 99 % de la population mondiale qui n'a pas mange chez McDonald's... 
Aux États-Unis, 7 % environ de la population fréquente quotidiennement un restaurant McDonald's. Les analystes de marketing concluent que McDonald's draine essentiellement trois catégories de consommateurs : 1) les divorcés et les parents célibataires qui n'ont pas le temps ou l'envie de préparer les repas. 2) les familles à deux revenues, où ni le mari ni la femme ne sont disponibles pour faire la cuisine à la maison. 3) les enfants entre 2 et 8 ans. Cette dernière catégorie bénéficie de la majorité du 1,8 milliard de dollars du budget publicitaire annuel. Cet investissement est justifié, car a) si les enfants sont séduits par McDonald's, les adultes les accompagneront et deviendront consommateurs et b) si les jeunes enfants prennent l'habitude de fréquenter McDonald's, plus tard ils y retourneront par habitude (où qu'ils soient dans le monde).

a. Propreté, efficacité, et habitude

La formule mise au point par McDonald's pour fidéliser le consommateur repose sur la standardisation de la production et de la distribution, strictement contrôlées au niveau central.
Selon The Operators' Manual -- gros volume de 600 pages -- le " Big Mac " doit avoir une belle apparence, toujours la même. Tous les stades de la fabrication sont soigneusement surveillés. Les normes imposées sont les suivantes : la croûte du pain doit mesurer 16 mm d'épaisseur ; son diamètre doit être de 9,5 cm ; sa hauteur de 4,1 cm ; et son poids, après cuisson, de 638 grammes. Il est grillé pendant précisément 35 secondes.
Il faut que sa texture soit molle, et qu'il soit toujours de la même couleur. La viande doit subir le même traitement pour avoir toujours les mêmes caractéristiques. Elle est hachée et surgelée avec un taux constant de matière grasse, car en raison de sa température de cuisson, elle s'assécherait trop vite et réduirait beaucoup trop. Le résultat assure au sandwich une couleur toujours identique ; il n'a aucun goût ni odeur, mais reste agréable à regarder ; la viande dépasse légèrement, histoire de faire croire qu'il y en a beaucoup... Tout cela en 45 secondes !

b. Vulnérabilité enfantine

Mais la clef principale du succès de McDonald's est sa façon de cibler les enfants, à partir du sport et du cinéma. En 1996, McDonald's et Walt Disney Productions ont signé un accord pour dix ans, selon lequel McDonald's détient l'exclusivité des droits sur l'utilisation des films de Walt Disney lors de ses promotions mondiales. Cet accord, a-t-on fait remarquer, représente la plus grande alliance marketing jamais conclue. En janvier 1999, McDonald's a ouvert un restaurant Eurodisney, dans les environs de Paris, avec un parc inspiré de Léonard de Vinci. Plus de 40 % des McDonald's dans le monde disposent aujourd'hui de parcs, dans lesquels se trouvent souvent des figurines créés par McDonald's, comme le " Mayor McCheese ", le " Hamburglar ", " l'Officer Big Mac " ou la "Grimace ", qui engloutit milkshake sur milkshake.
Mais la plus grande réussite de McDonald's est l'introduction du clown Ronald. " Ronald McDonald " a été créé en 1960, tout d'abord dans la région de Washington, D.C., où son succès fut immédiat, et permit une augmentation du chiffre d'affaire de 30%. Peu après, Ronald McDonald devint une personnalité internationale. L'impact du clown se traduit en chiffres éloquents : Ronald McDonald est aujourd'hui plus connu des enfants du monde entier que le Père Noël, et les " Golden Arches " que la croix chrétienne. 
La réussite publicitaire de McDonald's pose problème à certains nutritionnistes, qui considèrent le " Big Mac " vendu dans le monde entier comme un gadget de luxe, susceptible de remplacer la nourriture traditionnelle et plus saine des sociétés agraires plus pauvres. Selon un anthropologue, " grâce à une publicité sophistiquée employant des symboles spécifiques d'une certaine culture, la consommation publique de tels produits alimentaires et boissons devient le moyen privilégié de s'identifier au mode de vie et à la puissance américaine. Les conséquences négatives de ce comportement pour le long terme ne sont pas encore bien connues, mais, selon toute probabilité, il modifiera profondément le mode d'alimentation traditionnel d'une grande partie de la population de ces sociétés agraires pauvres. "

3) Gestion des ressources humaines : A la recherche du parfait larbin...

                                                                 "We sold them a dream and paid them as little as possible."
                                                                                                   --Ray Kroc (Grinding it Out, 110)

Ray Kroc n'était pas très porté sur l'école et il n’a obtenu aucun diplôme de fin d’études secondaires. Comme il l’a écrit dans son autobiographie, les jeunes feraient mieux d’être au travail qu'a l'école. " Il y a trop de bacheliers, et pas assez de bouchers. " Son fameux slogan, emprunté au Colonel Sanders, le fondateur de la chaîne de " fast food " Kentucky Fried Chicken, était : " KISS ", acronyme de la formule " Keep It Simple, Stupid. " (Espèce d'idiot, ne complique pas les choses !).
Soixante-six pour cent des 1,5 millions de salariés de McDonald's ont moins de 21 ans, et une bonne moitié de ces derniers en ont moins de dix-huit. La rotation annuelle du personnel est en moyenne trois à quatre fois plus élevée que celle de l'industrie alimentaire. En 1989, cette rotation a dépassé 190 % aux États-Unis ; et a même parfois dépassé ce niveau. En Grande Bretagne, environ 80 % des salariés sont à temps partiel, avec une moyenne de 20 heures par semaine. L'équipe à plein temps est le noyau de l'entreprise. Ils ont fait leurs preuves en manifestant des " attitudes positives ", un " esprit d'équipe " et une aptitude à " en mettre un coup " pendant les heures de pointe. Les managers de McDonald's cultivent un sentiment quasi-religieux. L'image de marque " McDo " est la valeur suprême. Les salariés en contact avec la clientèle doivent apparaître comme des jeunes Américains typiques, des " McDonald's boys ". Ils doivent exprimer " sincérité, enthousiasme, confiance et sens de l'humour ". Tout est dans l'apparence, et l'apparence doit être uniforme : le même visage, le même sourire, le même physique. 
Soixante-dix pour cent des ventes journalières de McDonald's se réalisent sur une durée de 4 heures. McDonald's essaie de changer les habitudes alimentaires pour attirer plus de consommateurs pendant les heures creuses par des tarifs réduits. L'accélération des cadences imposée pendant les heures de pointe, introduite d'abord aux États-Unis et maintenant généralisée, accroît la pression sur les salariés, exposes aux risques de cuisines bondées. Selon les propos d'un salarié, le travail est alors comme un combat sans merci dans un sous-marin surpeuplé. C'est dans ces moments que l'équipe encourt le plus d’accidents.
Au début des années 1970, il y eut près de 400 tentatives d'organisation syndicale dans divers restaurants McDonald's. McDonald's engagea comme chef du personnel John Cook, dont la contribution essentielle fut de monter une " flying squad " (escouade volante) de managers McDo expérimentés, équipe " musclée " prête à faire une descente dans tout restaurant où se profile le risque d'une organisation syndicale. Grâce à l'efficacité de cette stratégie anti-syndicale, toutes les tentatives restèrent vaines, et de nos jours le syndicalisme est entièrement absent de l'empire McDonald's.
Chez McDonald's les salaires tournent autour du salaire minimum, et sont parfois inférieurs au minimum légal. En 1972, McDonald's a donné 250.000 dollars pour la compagne électorale de Richard Nixon, et en même temps fit pression sur le Congrès pour faire voter à Washington la loi connue sous le nom " McDonald Bill ". Si elle avait été votée, cette loi se proposait de supprimer le salaire minimum pour certaines catégories de salariés.
Plus d'un demi-million d'Américains travaillent pour McDonald's. Selon John Love, le biographe officiel de McDonald's, " l'incidence de McDonald's sur la classe ouvrière américaine dépasse de beaucoup le chiffre de ses effectifs, car il forme à leur premier job un grand nombre de lycéens ". En effet, on estime que plus que 10 % de l'ensemble des salariés américains ont travaillé au moins une fois dans leur vie dans un restaurant McDonald's. 

4) Image de marque : les relations publiques... 

                                                                    "The reason Japanese people are so short and have yellow skins 
                                                                    is because they have eaten nothing but fish and rice for two 
                                                                    thousand years [...] if we eat McDonald's hamburgers and 
                                                                    potatoes for a thousand years we will become taller, our skin 
                                                                    become white and our hair blonde. "
                                                                                                 --Den Fujita, Président de McDonald's Japon.

Actuellement, 33 millions de personnes dans le monde mangent tous les jours exactement la même chose, de la même façon : un hamburger dans un McDonald's. L'industrie du fast-food est en pleine expansion. D'un bout du monde à l'autre, les jeunes boivent du Coca-Cola, mangent des frites et des hamburgers McDonald's, ou Wendy's, ou Burger King, ou Quick. Au Japon, par exemple, pour la première fois depuis 2000 ans, les gens consomment davantage de bœuf que de riz. Depuis 1996 McDonald's est présent en Inde, où la majorité de la population regarde les vaches comme des animaux sacrés. Ce qui rend McDonald's unique, c'est 1) son rôle de pionnier du fast-food à partir de 1954; et 2) la réussite exceptionnelle de son entreprise dont le revenu atteint 30 milliards de dollars par an, avec un budget publicitaire annuel de 2 milliards de dollars.
L'entreprise protège son image avec vigilance. Elle s'est acquis une réputation redoutable en attaquant en justice les petites entreprises et les individus qui ont osé la critiquer, ou utiliser une marque voisine. La seule menace d'un procès avec McDonald's a contraint de grandes entreprises ou des médias tels que le New York Times, le Washington Post, NBC, etc. à accepter de faire des excuses publiques à McDonald's.
La " London Greenpeace " est l'exemple d'une entreprise ayant refuse de faire de telles excuses. À l'automne 1990, quelques membres de Greenpeace distribuèrent des tracts devant un McDonald's. Les six pages du feuillet, intitulé " What's Wrong with McDonald's ? ", proposaient aux clients un critique systématique de l'impact de McDonald's sur l'environnement, de ses conditions de travail et des dangers alimentaires que McDonald's cherche à étouffer.
Deux des six membres de London Greenpeace ayant refusé de faire des excuses à McDonald's pour ce tract, McDonald's porta plainte devant la 35ème Cour Royale de Justice, présidée par sir Roger Bell. Ce procès fut le plus long de l'histoire de la justice britannique : 314 jours au total, sans compter les procédures d'appels.
En juin 1997, le président Bell rendit son verdict. Plusieurs des accusations contenues dans le tract furent jugées fausses par la Cour : 1) que McDonald's ait contribué à la déforestation des zones tropicales; 2) que McDonald's ait menti sur le fait qu'il utilise du papier recycle; 3) qu'il soit responsable de la dégradation croissante des quartiers avoisinant ses restaurants par les papiers sales et autres déchets; 4) que, en encourageant la consommation de bœuf, McDonald's contribue à la croissance de l'industrie de la viande, et, par conséquent, de façon significative, à l'émission de gaz de méthane dans l'atmosphère. 
Mais sur les points cruciaux soulevés par le tract, la Cour de Justice donna satisfaction à Greenpeace. Le Président Bell considéra comme justifiées les accusations suivantes : a) que l'alimentation de McDonald's, en cas de consommation régulière, présente des risques de cancer du sein et de l'intestin; b) que l'entreprise exploite les enfants, en ciblant sur eux les 2 milliards de dollars annuels de son budget publicitaire, "pour les pousser à faire pression sur leurs parents et à les harceler pour se faire amener au McDonald's "; c) que McDonald's est " reconnu responsable de pratiques cruelles dans l'élevage et l'abattage de certains des animaux utilisés pour produire son approvisionnement "; et d) qu'il est suffisamment démontré que McDonald's est " fortement opposé à toute idée d'organisation syndicale. " 
Dans son verdict final, le Président Bell ramena de 120 000 livres sterling à 60 000 l'estimation des dommages subis par McDonald's. Les accusés de Greenpeace, Helen Steel et David Morris, font actuellement appel, ce qui va demander encore 2 ou 3 ans. Selon un article récent du International Herald Tribune (1er avril 1999) la Cour d'Appel a encore réduit l'estimation des dommages à 40 000 livres. Steel et Morris maintiennent la procédure d'appel, en dépit des assurances données par McDonald's comme quoi l'entreprise renonce au bénéfice de ces dommages.
Ce procès a déclenché une avalanche d'informations sur de nombreux sites internet, en particulier <www.mcspotlight> et <www.mclibel>. En février 1997, 200 salariées sont tombées malades dans l'usine vietnamienne McDonald-Disney, qui produit les jouets publicitaires pour les " Happy Meals " de McDonald's. Dans cette usine, plusieurs centaines de femmes, âgées d'environ 17 ans, travaillent de 9 à 10 heures par jour, 7 jours par semaine, pour 6 cents de l'heure. Alors que trois de ces femmes avaient été hospitalisées à la suite d'une intoxication chimique, Brad Ball, le premier vice-président de McDonald's déclara au même moment que les figurines " Happy Meals " des " 101 Dalmatiens " avaient été le plus grand succès de toute l'histoire de McDonald's. " En nous embarquant dans notre nouvelle alliance globale avec Disney, " ajouta-t-il, " nous prévoyons de vivre 10 années inoubliables d'extraordinaires divertissements familiaux où les consommateurs savoureront la magie de Disney chez McDonald's exclusivement. " 
Plus récemment, en France, McDonald's est redevenu un lieu de résistance. Le 12 août 1999, à Millau, le chantier d'un nouveau restaurant McDonald's a été saccagé par 200 militants anti-McDonald's à l'initiative conjointe du Syndicat des producteurs de lait de brebis de Roquefort et de la Confédération paysanne. Le propriétaire, qui a déjà deux restaurants McDonald's dans la ville, a exprimé ainsi son incompréhension : " Les capitaux, les produits et les fournisseurs sont français. Seule l'enseigne est américaine. " Mais pour les militants qui ont cassé les vitres, arraché les tuiles, et détruit une structure à peine achevée, McDonald's est le symbole d'une " alimentation banalisée ", de la " mondialisation et son travail d'indifférenciation des viandes ". 

Conclusion : Réflexions et contradictions

                                                                                            "You can fool all the people some of the time, 
                                                                                            and some of the people all the time, but you can't 
                                                                                            fool all the people all the time."
                                                                                                                             --Abraham Lincoln

Malgré les proclamations des néo-libéraux, tel Milton Friedman et l'École de Chicago, les écrits d'Adam Smith ont valeur de document historique, mais non d'analyse du monde actuel. L'illusion comme quoi l'égoïsme individuel peut être converti par la fameuse " main invisible " en un comportement socialement constructif s'inscrit, au XVIIIe siècle, dans la polémique contre le mercantilisme -- alors que l'État fait alliance avec les grands négociants contre l'intérêt public. Pour remédier à la corruption officielle, Adam Smith propose le capitalisme du " laissez-faire ", théorie qui suppose que les forces du marché soient gouvernées par la demande. Mais aujourd'hui, à l'ère du capitalisme de monopole, les marchés ne sont plus gouvernés par la demande. En fait, c'est le contraire qui se produit et McDonald's est un exemple flagrant de ce renversement. 
Quel est l'avenir de McDonald's ? Finira-t-il par s'autodétruire ? Selon certains analystes, McDonald's risque en effet d'être victime de sa propre stratégie de croissance, car de plus en plus de sites ont été construits dans des aires déjà saturées par McDonald's lui même. La contradiction interne consiste en ce que la recherche d'un profit maximum extrait de la rente immobilière de McDonald's System, Inc. l'incite à multiplier les sites de restauration, ce qui réduit la clientèle et les potentialités commerciales de chaque franchisé. Actuellement, McDonald's paye discrètement à certains de ses franchisés le montant correspondant à la perte de clientèle due à la construction de nouveaux sites à proximité. 
Une analyse différente, moins optimiste, affirme que, la capacité de McDonald's à " produire du désir " étant pratiquement illimitée, il faut organiser une résistance collective au niveau local. Le professeur Richard Falk, de l'Université de Princeton, soutient ce point de vue ; il décrit un mouvement de mondialisation issu de la base, impliquant des groupes locaux de citoyens et des institutions alternatives, émergeant à travers le monde pour satisfaire les besoins primaires, préserver les traditions locales, la vie religieuse et culturelle, l'environnement et la dignité humaine. Ces groupes, malgré leur grande diversité, sont reliés par des intérêts communs. Ces communautés peuvent être fondées sur un critère géographique, ethnique ou autre, ou sur un objectif précis comme la préservation d'espèces en danger. 
Selon cette analyse, une société civile globale commence à prendre forme ; elle constitue la seule force capable d'arrêter la dégradation de la diversité environnementale, y compris la nôtre. Aujourd'hui, McDonald's est obsédé par la croissance. " La croissance ou la mort ", tel est le slogan actuel des grandes entreprise comme McDonald's. Cette dynamique ne peut être ignorée. Cela signifie " la croissance ou la mort " pour nous tous. Le développement d'une conscience collective, attentive aux besoins authentiques de la communauté, est la seule alternative crédible aux techniques de marketing sophistiquées, qui laissent dans leur sillage des communautés dévastées et des individus vidés de leur identité. 

Bibliographie

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Articles :

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