Atelier 5, article 1


© Marianne Debouzy :
(Le Monde, 01/02/00)

"Les employeurs voudraient créer des Disneyland de l’entreprise"
par Marianne Debouzy avec Laurence Caramel

--"Des salariés qui dorment dans leur entreprise, y regardent la télé, s’y font masser et y trouvent bar, cuisine et salle de sport.... L’environnement dans certaines start-up n’a plus grand-chose à voir avec l’entreprise "à papa". Assistons-nous à l’apparition d’une nouvelle organisation du travail?

"Oui et non. Non, car on peut considérer que tout ce confort mis à la disposition des salariés est une pratique récurrente. A chaque fois qu’il y a eu pénurie de main d’oeuvre qualifiée, les entrepreneurs américains ont cherché à fidéliser et à fixer leurs salariés. Au XIXe siécle, lors de la première révolution industrielle, les entrepreneurs du textile de la Nouvelle Angleterre ont attiré une main-d’oeuvre féminine en leur proposant d’habiter dans des pensionnats où elle serait surveillée et protégée.

"Cette idée des company towns, c’est-à-dire des villes contruites autour d’une usine ou d’une mine, est aujourd’hui reprise pour qualifier ces nouvelles entriprises. Dans un article paru le 10 janvier dernier, le magazine Fortune parlait des "new company towns" pour décrire ces firmes qui veulent prendre en charge tous les aspects de la vie de leurs salariés. Donc ce phénomène n’est pas nouveau, même si sa forme est nouvelle.

"En revanche, il me semble que ces entreprise répondent à une évolution sociale aux Etats-Unis, qui est une tendance à la professionnalisation de toute la vie. C’est certainement ainsi que l’on fait carrière, mais cela implique aussi un désinteéressement pour toute autre forme de socialbilité, et en particulier poiur la politique. Qnad on travaille couxe heures par hour, même dans une cage dorée, il est difficile de tourver le temps de s’invetir dans autgre chose. Jadis, les sociologues parlaient de "la vie au travail" et de "la vie hors travail", aujourd’hui il ne semble plus exisxter de "hors travail".

--Cela est-il inquiétant?

"Les États-Unis vont à contrecourant d’une tendance qui se généralise partout ailleurs, à savoir la réductgion du temps de travail. On y travaille de plus en plus, il exite une sorte de frénésie du surmenage. Je crois que ces extraordinaires progrès technoogiques dont profitent les stqart-up s’accompagnent d’une régression sociale. Le progrès va, pour moi, dans le sens d’une autonomie croissante de l’individu et non pas dans celui d’une dépendance grandissante vis-à-vis de son employeur ni dans l’idée que l’essentiel de la vie doit se dérouler sur le lieu de travail. Or le lien entre l’entreprise et le salarié devient énorme même si, en apparence, il s’inscrit dans une sorte de monde enchanté du travail, où le caractère festif et ludique est très présent.

"Les employeurs voudraient créer des sortes de Disneyland de l’entreprise, ce qui renvoie, d’une autre manière, à une évolution plus profonde de la société américaine, qui ne cesse de se fragmenter et de s’organiser, des parcs à thème et maintenant des entreprises où les salariés pervent vivre en vase clos. Ces différentes enclaves ne sont pas des territoires libérés dont parlaient les hippies dans les années 60, des lieux où les gens s’émancipent, mais qu co0ntraire des espaces planifiés par des entrepreneurs qui enferment différentes catégories de citoyens.

--Parleriez-vous d’un retour du paternalisme?"

Dans son livre L’Economie mondialisée, l’ancien minisre du tgravail de Bill Clinton, Robert Reich, distingue deux catgégories de travailleurs : les manipulagteurs de symboles et les autres. Ces nouvelles entreprises de développent essentiellement autour des manipulateurs de symboles, c’est-à-dire les concepteurs de logiciels, la publicité, la communication.... Il s’agit d’un travail intellectuel effectué par des salariés qualifiés et qui s’investissent pour la plupart avec plaisir dans leur métier.

"L’effacement de la hiérarchie joue une rôle important et l’idée qui prédomine est davantage celle d’une commaunauté où tout le monde travaille de façon coopérative. En cela le terme de paternalisme n’est plus tout à fait adéquat. Même si la start-up reprend le vieux cliché de l’entreprise-famille, le chef d’entreprise n’incarne plus le "père" de ses salariés, par rapport auxquels il n’est d’ailleurs souvent pas beaucoup plus agé.

"Le parternalisme renvoie histroriquement à une relation patron-ouvrier, dans un rapport de domination, où le salarié restera attaché à l’entreprise toute sa vie active. Ici, le système d’encadrement proposé charche à encadrer les cadres eux-mêmes. Par contre, il ya a bien un objectif commjun dans la création des ces environnements protecteurs : inciter les gens à travailer davantage et les rendre plus proformants. D’une certaine façon on peut y voir une "manipulation" des manipulateurs de symboles.

--Après le ras-le-bol des cadres des années 90, s’agit-il d’un retour en force de l’entreprise?

"Il y a certainement deux générations qui se croisent, celle des années 80 et 90, du ras-le-bol de l’entreprise, du blues des cols blancs, et celle qui arrive fascinée par les richesses d’innovation des nouvelles technologies. Mais il he faut pas non plus oublier que la propérité américaine vient après une période de vaches maigres et que, dans cette boulimie de travfail, il y a aussi l’idée qu’il faut saisir l’occasion, car nul se siat si l’extraordinaire valorisation des start-up durera encore longtemps. Qui sait si, dans dix ans, ces cadres n’éprouveront pas la même lassitude que leurs aînés qui, avant de prendre lerus distances vis-à-vis de l’entreprise, s’étaient eux aussi senti une âme de pionniers."

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