Hélène
Cherrucresco
DE
LA RECHERCHE FRANÇAISE. . .
…
du peu qu’il en reste
et
du pire qui l’attend encore
Bonjour,
Je m’appelle Hélène, Hélène Cherrucresco
Née en France, en juin 2003
Mon adresse :
<HELENECHERRUCRESCO@WANADOO.FR>
Profession :
chercheuse ; de ces fous qui ont l’audace d’affirmer qu’une
recherche
scientifique de qualité doit se faire sans les pressions de l’industrie
privée
ou des militaires. De ces fossiles à blouse blanche pour qui aucune
recherche
finalisée à but lucratif ne peut se
substituer à la
recherche civile. De ces professeurs Tournesol qui soutiennent que la
recherche
publique doit être aussi l’affaire du public.
Dois-je ajouter que j’ai déjà une petite
notoriété dans les milieux de la recherche et de la presse ?
Mais avant tout chose, j’ai décidé de vous
écrire.
Bien
amicalement,
Hélène
P.S. Ah !
J’oubliais. Mon no, est l’anagramme de « chercheurs en
colère ».
____________________
TABLE DE MATIERE
1. Introduction…………………………………….……………………………...…………………9
2. Recherche
publique française comment ça marche
?.........................................15
3. 1958-2002
: des projets fondateurs aux projets destructeurs…………….............20
4. De la
vraie part du civil dans le budget de la recherche
et
de son asphyxie récente………………………………………………….….......……25
5. Les
repreneurs de la recherche publique civile………………………………..........….32
6. Séance de
travaux pratiques………………………………………………….……….....…43
6.1
Spatial public l'explosion en vol d'une ambition…………….………................43
6.2
L'archéologie préventive………………………………………..……………...........47
6.3
Le mauvais exemple britannique……………………………….………...............50
7. Que faire
?.....................................................................................................54
7.1 Rétablir
une recherche publique au service du public……….…….................56
7.2
Créer une recherche publique européenne…………………………............……58
7.3
Démocratiser la politique scientifique………………………..……..............……60
ANNEXE : Le glossaire
d'Hélène………………………………………………………........….65
1
INTRODUCTION
p.9
La recherche
publique civile française est en danger de
mort. Avec elle> c'est un fondement de la culture française qui
sombrera.
L'avenir de notre pays se joue sous nos yeux. Il ne passe pas seulement
par les
plans sociaux, la restructuration de l'enseignement, de la médecine,
des
transports. Il passe aussi par la remise en cause de notre appareil de
recherche. Pour des raisons qui tiennent à la fois de l'idéologie et
de la
soumission à de prétendues « lois » du marché, notre
gouvernement le
vend par appartements à des repreneurs bien identifiés. C'est une
tendance
lourde, qui met en péril plus que les chercheurs eux-mêmes. Une
tendance qui a
timidement commencé dans les années 90, sous le gouvernement de Lionel
Jospin,
et qui connaît une amplification brutale avec celui de Jean-Pierre
Raffarin.
Elle se conjugue avec une politique d'économies réalisées sur toutes
les
missions du secteur public.
J'écris ce
livre comme on sonne l'alarme, parce que
j'aime ce qui fait la folie et la grandeur de l'esprit humain:
comprendre,
apprendre, découvrir, communiquer. Quelle légitimité ai-je pour le
faire?
Nulle autre que celle que m'ont donnée mes actions récentes. Voici d'où
je
viens.
12 mai 2003.
Le Figaro publie un texte qui
ressemble à une fuite bien orchestrée un «conseil stratégique de
l'innovation
(CSI)», dirigé par un certain Philippe Pouletty,
propose une refonte totale du système public de recherche français. Cet
article
fait suite à une campagne de dénigrement systématique, sous la férule
du
journal La Recherche> entre autres. Mais au fait, qui
saurait me dire
ce qu'est le CSI? Une rapide enquête me fait découvrir un puissant
groupe de
pression, un véritable cauchemar. Les grèves contre la réforme des
retraites
battent leur plein en mai 2003, personne ne pense à la recherche. À qui
parler
de ce que je viens d'apprendre? Les médias ont bien d'autres chats à
fouetter.
Un juin
caniculaire se traîne. La loi sur les retraites
est adoptée laissant un goût d'amertume. Chez moi, sur une feuille, les
lettres
de CHERCHEURS EN COLÈRE composent tout d'un coup une anagramme
: HÉLÊNE CHERRUCRESCO.
Une femme, évidemment. Une femme qui offrira l'abri de son nom à
des
chercheurs bien décidés à alerter l'opinion publique. Juin 2003, je
viens de
naître!
Je passe mon
premier été à enquêter et à écrire. À la
rentrée, je suis armée de quelques papiers explosifs. Le premier, un
des plus
importants, concerne le système des Fondations, et dénonce le groupe de
pression de l'industrie biotechnologique. J'ai passé des heures à le
peaufiner
et à le vérifier. J'ai également assemblé une liste de près de 300
adresses
électroniques de journalistes scientifiques.
Le 16
septembre 2003, dans un état d'excitation
invraisemblable, j'envoie ce premier missile. Je ne sais naturellement
pas ce
qu'il va déclencher, mais j'ai le sentiment de commencer la résistance.
Dans les
jours qui suivent, je suis totalement dépassée
par son succès. Les courriels envoyés à Hélène s'accumulent. Mes
interlocuteurs s'enthousiasment, approuvent ma démarche, certains
journalistes
de la presse généraliste et magazine demandent à être ajoutés à ma
liste,
proposent de me rencontrer. Je décide de refuser interviews et débats.
Je dois
à tout prix déjouer les pièges de la médiatisation, j'ai un peu peur,
aussi.
Par jeu et provocation, je tutoie mes interlocuteurs. Ce tutoiement a
immédiatement une force symbolique que je ne soupçonnais pas, et
contribue à
attiser haine ou sympathie.
La semaine
suivante, j'envoie un texte sur le montant des
droits universitaires que la nouvelle loi va rendre exorbitants au fil
des
années à venir. À ma grande stupéfaction, je découvre que depuis
l'envoi de mon
premier «papier » les sites Internet de notre ministre, Claudie
Haigneré, et
d'une partie du groupe de pression des biotechnologies ont été modifiés
pour
faire disparaître les preuves de leurs accointances. Par prudence,
j'en avais
fait une copie. Bravache, je propose à ceux qui en feront la demande de
l'envoyer sur disque compact. Je le poste des villes où je passe pour
mes missions,
Rennes, Toulouse, Grenoble, Paris.
Dès lors, les
textes se succèdent à un rythme régulier.
Les premiers résultats ne se font pas attendre : chaque fois que je
braque mon
projecteur sur un point particulier de la recherche ou de
l'enseignement,
plusieurs journaux me relaient. Les journalistes de leur côté
vérifient,
recoupent, réclament des éclaircissements, je réponds avec acharnement.
On me
propose de discuter avec des députés, avec M. Pouletty
lui-même. Refus. Une personnalité de la télévision me demande en
mariage éclat
de rire, moment de bonheur et de décompression.
Novembre
2003. La recherche est devenue un sujet central
dans toute la presse. Les journalistes ont parfaitement compris que
son déclin
est celui du pays. Hélène y est-elle pour quelque chose? Le
gouvernement sent
ce frémissement et accélère le processus de mise à bas. Le vote du
budget est
une catastrophe, les crédits sont en baisse, les postes précaires se
multiplient. Une grève étudiante se déclenche. Les motifs? Le nouveau
système
d'enseignement supérieur et l'autonomie des universités. À la radio, à
la
télévision, les étudiants donnent des chiffres sur les montants futurs
des
inscriptions ce sont les miens. Le Point me cite nommément
pour la première
fois.
Fin décembre,
rien ne va plus : des bruits persistants
font état d'un prochain démantèlement des établissements publics
scientifiques
et techniques. Sans doute pour préparer l'opinion à l'idée qu'ils ne
sont pas
rentables, le gouvernement en organise l'asphyxie financière. Seize
millions
d'euros manquent à l'appel pour payer les salaires de 2003 au CNRS. Le
conseil
d'administration qui doit présenter le budget 2004 est ajourné. La
pétition « Sauvons
la Recherche publique » qui réunit plusieurs milliers de signatures
crée
l'événement. Les journalistes, prêts depuis longtemps, relaient de
façon
massive la crise de la recherche.
L'opinion est
maintenant au fait du problème. Mais
l'aspect flnancier sur lequel se
cristallise le débat
ne me satisfait pas il n'est que l'outil d'un démantèlement à~enir. Je décide donc decrire
Up
livre, un livre qui servii~a de cheval de
Troie.
2
RECHERCHE
PUBLIQUE FRANÇAISE
COMMENT
ÇA MARCHE?
p. 15
Sauver la
recherche publique (voir glossaire,
p.65)
civile française, tel est, vous l'avez compris, mon souhait le plus
vif. Mais
au juste, comment est-elle organisée? Je vais, pour que les choses
soient bien
claires, vous la décrire rapidement. D'abord ses missions, ensuite ses
moyens.
Sa première
mission, fondamentale, est de produire des
connaissances et du savoir. Une mission qui ne saurait évidemment
être
gouvernée par quelque intérêt privé, et ne peut se réaliser qu'en
laissant les
acteurs de la recherche travailler patiemment et sans pressions
extérieures
même et surtout Si les résultats demandent
du temps.
Sa deuxième
mission, essentielle, est la diffusion du
savoir. Entre chercheurs elle se fait via les colloques et les
publications. Mais il est aussi du devoir des scientifiques de
transmettre
leurs connaissances et leurs découvertes tant aux étudiants qu'à la
société
civile. Et cela de la façon la plus variée et accessible possible
enseignements, encadrement des jeunes ingénieurs et docteurs, débats
citoyens, cafés des sciences, fête de la
science, livres de
vulgarisation...
Naturellement,
les chercheurs savent qu'une partie de
leur travail doit trouver des applications. La troisième mission de la
recherche est donc une mission de valorisation (voir
glossaire) qui peut
être marchande ou non. Elle est non marchande lorsque la production
d'un
chercheur est donnée à la communauté internationale sous la forme de
publications scientifiques ou qu'elle sert de base à d'autres activités
non
marchandes (culturelles, médicales, ou tous autres services et
consommations
hors marché). Les théorèmes montrés à la fin du xxème
siècle par L. Lafforgue, dernière médaille
Fields
(l'équivalent du Nobel pour les mathématiques) obtenue par un
chercheur du
CNRS, font maintenant partie du patrimoine commun de l'humanité. La
valorisation est marchande lorsqu'elle conduit à des applications
industrielles. Elle passe alors par la prise de brevet (voir
glossaire)
dont il me paraît évident que les retombées doivent profiter non
seulement à l'intérêt
privé mais aussi à l'intérêt public dès lors que les recherches
initiales
étaient financées par le secteur public.
Ces missions
de la recherche publique civile sont fondamentales
et mon ordre de présentation n'est pas anodin. Quelles sont les
structures qui
permettent de les mener à bien?
- Au premier
rang viennent les
établissements d'enseignement supérieur (universités, grandes
écoles...). Ils
définissent leur politique de recherche, et peuvent financer leurs
laboratoires. Leurs personnels de recherche ont statutairement deux
missions :
une d'enseignement et une de recherche. On les appelle les
enseignants-chercheurs. Ils sont près de 52000, assistés de 40000
autres
enseignants, et ont des charges administratives ou d'organisation des
enseignements qui limitent d'autant leur temps de recherche.
- Neuf
établissements publics
scientifiques et technologiques (EPST) emploient des chercheurs à
plein temps
sur des statuts de fonctionnaires (voir glossaire) depuis
1984, comme
les enseignants-chercheurs. Leur organisation est relativement
démocratique ils
disposent de comités scientifiques et d'organes d'évaluation où ils
sont
largement représentés par des chercheurs qu'ils ont élus. Ils couvrent
l'ensemble des champs disciplinaires, de la sécurité des transports à
l'agronomie, en passant par la santé, le langage, l'astronomie, la
démographie,
etc. Le CNRS, plus grand EPST, Il 600 chercheurs, est le seul organisme
de
recherche totalement pluridisciplinaire au monde. Il est reconnu
internationalement
dans tous les domaines.
- Seize
établissements publics
à caractère industriel et commercial (EPIC), tels le CEA pour l'énergie
atomique,
le CNES pour le spatial. Les personnels y ont une grille de salaire
avantageuse
mais pas de statut de fonctionnaire.
- Deux Fonds,
le Fonds
National de la Science et le Fonds de la Recherche Technologique. Ils
distribuent l'argent spontanément ou par appels d'offres sur des sujets
qu'ils
définissent eux-mêmes et dont ils évaluent eux-mêmes les résultats. Ils
ont
pour mission un pilotage direct de la recherche par le ministère.
- Trois
Fondations consacrées
à la recherche médicale, le centre d'étude du polymorphisme humain,
les
instituts Curie et Pasteur.
Les députés
et les sénateurs interviennent naturellement
dans la gestion de ces organismes. Ils le font en votant le budget et
en
décidant des priorités, c'est-à-dire de la quantité d'argent que chaque
structure se verra octroyer. Ainsi, la représentation nationale oriente
les
priorités, mais ne décide pas des recherches à mener.
Les
chercheurs appartiennent à des laboratoires de
recherche, qui dépendent eux-mêmes des organismes de recherche
présentés plus
haut. Ces laboratoires ont souvent plusieurs tutelles : Université et
CNRS ou INSERM-CNRS-Université... Des
chercheurs d'un établissement
(voir glossaire) peuvent être détachés dans
un autre.
Ce mélange qui paraît un peu complexe est en fait un gage de souplesse.
Il
témoigne de la richesse du système français et se retrouve d'ailleurs
dans la
plupart des instances : Comité national des Universités,
-Comité national de la recherche
scientifique, conseils scientifiques ou d'administration, où l'on
trouve aux
côtés des enseignants-chercheurs des chercheurs des EPST et des EPIC,
des
industriels... beaucoup de membres de ces comités ou commissions étant
élus
par le monde de la recherche.
Mais la vertu
cardinale de la structure française reste
avant tout son système d'évaluation des chercheurs, des équipes, des
laboratoires et des projets. En raison de la complexité des recherches,
seuls
les « pairs» ont les capacités de procéder à ces expertises. Pour cela,
le
chercheur soumet un texte à un comité d'évaluation qui établit un
rapport. Sur
la foi de ce rapport se décident le
financement d'un
projet, l'avancement d'un chercheur... En France, ces rapports ont la
particularité d'être presque systématiquement rendus publics, et les
noms des
rapporteurs connus. Chaque chercheur public est ainsi évalué tous les
deux ans.
De façon très détaillée - avec son laboratoire - puis, en alternance,
de façon
moins poussée.
J'insiste
l'évaluation à tous les niveaux est une caractéristique du
métier de
chercheur public. Elle est transparente. Elle n'est pas anonyme. Elle
est menée
par les pairs. Ces structures où l'on trouve de nombreux élus et où les
projets
- comme les personnels - sont évalués publiquement rendent
excessivement
difficile à toute instance, fût-elle gouvernementale, le pilotage
autocratique
et limitent efficacement les risques de copinage, l'influence du
mandarinat,
les querelles de chapelles.
Le dernier
instrument qui fait la qualité et l'originalité
du système français est le statut de fonctionnaire. Ses avantages sont
évidents
et enviés par la communauté scientifique internationale, mais
s'agissant de la
recherche, ils revêtent des atouts spécifiques : il faut parfois plus
de dix
ans pour qu'un travail aboutisse. Grâce à cette sécurité de l'emploi,
les
chercheurs ont a priori l'esprit serein pour défricher des pistes
nouvelles.
Ils le font souvent, pas assez souvent sans doute. Cette sécurité de
l'emploi
est l'un des facteurs déterminants qui font qu'en dépit de moyens
inférieurs la
France tient encore le haut du pavé face aux grandes puissances de
recherche> les USA ou le Japon. L'autre facteur essentiel est la
liberté
qu'ont les chercheurs français àdéterminer
les voies
prometteuses de leur travail. Cette sécurité et cette liberté entrent
pour
beaucoup dans l'attractivité du métier en dépit d'un niveau de
rémunération
parmi les plus faibles des pays occidentaux.
C'est tout ce
système qui subit depuis quelques années
des attaques sans précédent, d'une intensité décuplée depuis
l'avènement du
gouvernement Raffarin. Au bénéfice de qui et comment, c'est ce que
nous allons
examiner maintenant.
3
1958-2002 : DES PROJETS
FONDATEURS
AUX
PROJETS DESTRUCTEURS
p. 20
Prenons
maintenant un peu de recul et penchons-nous sur
l'histoire de l'appareil public de recherche français. Entre 1958 et
2002, il a
vécu deux phases fondamentales : une de construction, et une de
démantèlement.
La phase de
construction comporte deux étapes. On doit la
première à Charles de Gaulle en 1958. Il considérait la recherche
comme l'un
des moyens de rétablir la grandeur du pays, tant dans le domaine
militaire que
dans le domaine civil. C'est de cette époque que datent les «grands
programmes». Ils ont abouti aux réalisations spectaculaires de
l'armement
nucléaire, du développement des fusées intercontinentales, de
l'Airbus, du
nucléaire civil, etc.
La seconde
étape date de l'élection de François Mitterrand
à la présidence de la République en 1981 et de l'arrivée d'une majorité
de
gauche au Parlement. La loi d'orientation qui définit les missions du
service
public de recherche a été votée dans le prolongement des Assises
nationales de
la recherche de 1981. Puis vinrent les décrets d'organisation des EPST
et la
titularisation des personnels contractuels. La loi prévoyait une
croissance
annuelle du financement de la recherche de 17 %! Elle a été abandonnée
dès
l'année suivante, étouffée par la politique de rigueur. Ainsi
l'héritage de la
gauche des années 80 est principalement institutionnel : c'est sur lui
que
reposent encore aujourd'hui la structure et le fonctionnement de notre
service
public de recherche.
Voyons
maintenant la phase de démantèlement. La première
attaque contre l'organisation de la recherche publique française est
portée par
le gouvernement de Jacques Chirac de 1986 lorsque le ministre Main Devaquet suspend brutalement le fonctionnement
des
instances scientifiques du CNRS en prétendant les remplacer par des
comités
d'experts nommés par lui-même. La résistance des personnels et des
étudiants
déjoue cette réforme.
La deuxième
attaque sérieuse date du gouvernement de
Lionel Jospin, sous la pression des stratégies néolibérales. À sa
nomination
au poste de ministre de la recherche et de l'enseignement, Claude Mlègre tente de détruire les instances
démocratiques du
CNRS. Il estime que la recherche publique doit être plus directement
influencée par les volontés gouvernementales, et davantage servir les
intérêts
de l'industrie. Comment s'y prendre? Son dispositif est à plusieurs
étages. Le
plus important est le «projet de loi sur l'innovation (voir
glossaire)
et la recherche», examiné par le Conseil supérieur de la recherche et
de la
technologie en septembre 1998, puis par l'Assemblée nationale en
janvier
1999.11 ouvre la boite de Pandore par l'intermédiaire de plusieurs
dispositions
1)
Dispositions sur
l'essaimage des personnels de recherche vers les entreprises.
Les personnels
de recherche sont autorisés à quitter le service public pendant six ans
pour
participer à la création d'une entreprise qui valorise leurs travaux.
Ils sont
autorisés à apporter leur concours scientifique àcette
dite entreprise et à participer à son capital dans la limite de 15 %
tout en
continuant à travailler dans le service public. Enfin, ils sont
autorisés à
être membres du conseil d'administration d'une entreprise.
2)
Dispositions sur le
couplage entre recherche publique et entreprises.
Les procédures
de création de filiales communes aux EPST, aux universités et aux
entreprises
sont allégées; les EPST peuvent cotiser aux Assedic et créer des
«incubateurs»,
c'est-à-dire des structures qui permettent de mettre à la disposition
d'entreprises
des locaux et des moyens matériels et humains. Les universités peuvent
créer
des services d'activités commerciales, avec des règles de gestion
assouplies.
Ce texte
résonne immédiatement comme une déclaration de
guerre contre les chercheurs publics. Il propose en effet que des
recherches
effectuées dans le domaine public, avec l'argent public, fournissent
des
bénéfices à des groupes privés. Pour y arriver, on crée les structures
d'intéressement. Cela, en langage juridique, s'appelle de la
prévarication. À
l'instar de ce qui se passe aux USA, un chercheur qui a fait une
découverte
dans un laboratoire public, payé sur fonds publics, peut privatiser sa
découverte, monter une start-up, déguisée sous le nom d'« incubateur»,
et en
tirer pour lui seul les bénéfices. Il ne perd pas son poste : il le
monopolise
six ans, empêchant un jeune chercheur de l'occuper.
Selon Claude
Allègre, l'expertise rémunérée est une
bonne chose. Selon
moi, c'est un véritable scandale : les chercheurs publics n'ont en
aucun cas à
profiter des conditions du statut public pour s'enrichir. Selon Claude Miègre, le brevet est un élément majeur de
l'évaluation
d'un chercheur. Selon moi, le brevet n'a d'intérêt que dans le cadre de
la
recherche privée. Les fruits de toute découverte faite dans le domaine
public
doivent profiter au public. De par sa fonction même, le brevet
restreint la
diffusion du savoir et se trouve donc en contradiction avec les
missions de la
recherche publique.
Dans la
deuxième partie de ses propositions, Claude
Allègre permet aux établissements publics de cotiser aux Assedic: la
porte est
ouverte à l'embauche de personnels sur statuts privés. Une profonde
mutation
est en route, puisqu'il faut trouver des fonds propres, qui
proviendront
essentiellement des contrats industriels. C'est ainsi qu'au cours des
années 90
s'opère un basculement dans de nombreux
laboratoires, la part des postes précaires sur statut privé excède
celle des
fonctionnaires.
Le
mécontentement culmine en 1999. Contre l'avis du
ministre, les syndicats organisent une consultation nationale. Devant
cette
fronde, le gouvernement nomme deux députés pour diligenter une
commission d'enquête
«sur la mobilité (voir glossaire) et les échanges des
personnels des
organismes de recherche fondamentale et de l'enseignement supérieur;
sur
l'ensemble des mesures permettant une meilleure synergie (voir
glossaire)
entre les organismes de recherche et les établissements d'enseignement
supérieur; sur les procédures de recrutement et d'évaluation; sur les
structures
des unités de recherche et les jeunes chercheurs». Le champ
d'investigation de
cette commission en dit long sur les intentions gouvernementales.
La loi sur
l'innovation finit par être votée fin 1999.
Elle est encore en vigueur. Les «incubateurs» voient le jour. Agacé de
ne
pouvoir prendre facilement des décisions arbitraires, ou de ne pouvoir
à
loisir piloter la recherche, le ministre crée un «Fonds national pour
la
Science» et un «Fonds de Recherche et Technologie» qui ne sont alors
qu'expérimentaux. Voici leur mode de fonctionnement : conseil
scientifique
entièrement nommé par le ministre, décisions anonymes, attribution des
crédits
sans concertation, «soit spontanément, soit en réponse à des appels à
propositions». Une «expérience» qui deviendra pérenne sous le
gouvernement
Raffarin, qui les dotera de 400 millions d'euros en 2003.
4
DE LA
VRAIE PART DU CIVIL
DANS LE
BUDGET DE LA RECHERCHE
ET DE
SON ASPHYXIE RÉCENTE
p.25
« Les
crédits baissent », disent les personnels de
recherche. «Pas du tout! répond le
gouvernement. Au
contraire, ils augmentent!» Mais au fait, combien coûte notre recherche
?
Est-elle au-dessus des moyens de la France ?
Pour répondre
à cette délicate question, je vais partir
du Produit intérieur brut (PIB), environ i 500 milliards d'euros par an
depuis
l'an 2000. Il était deux fois moindre
quarante ans en
arrière. Il a augmenté de 0,8% en 2002 (12 milliards d'euros). Sauf
pendant le
gouvernement de Jacques Chirac de 1986 à 1988, la part du PIB consacré
à la
recherche (privée et publique) a connu une progression quasi continue
de 1960 à
1990, passant de 1,15% en 1960 à 2,42% en 1990. Depuis, en revanche,
elle a
connu une érosion lente pendant le gouvernement Jospin (2,40% en
1994), puis
dramatique par la suite (2,23 % en 2002). La modernité du gouvernement
de
Jean-Pierre Raffarin a consisté en la matière à un retour au niveau des
années
70. Je parle donc bien d'une réduction de l'effort de recherche de
la France.
L'astuce qui
permet cette année à Claudie Haigneré de
parler d'une augmentation consiste à regarder la somme d'argent
consacrée à la
recherche, et non son pourcentage. En effet, puisque le PIB augmente,
une part
rognée de ce PIB peut donner tout de même un peu plus d'euros. C'est
ainsi
qu'on peut affirmer sans mentir que, depuis 1995, la France a augmenté
sa dépense
de recherche de 2,4 % en euro constant par an. Notre ministre
parle donc
bien d'une augmentation de la dépense de recherche de la
France.
Pour
relativiser ces 2,4 % d'augmentation de la dépense
de recherche, il est bon de les comparer aux autres pays. Pour
l'ensemble de
l'OCDE> ce taux atteint 4,7% et 3,7% pour l'Union européenne. À
l'exception
du Royaume-Uni, il est supérieur dans tous les grands pays développés :
Italie
2,7; Japon 2,8 (entre 1996 et 2001); Pays-Bas 2,9; États-Unis 5,4;
Canada 5,6;
Espagne 6,5. Pour plusieurs autres pays de l'Union européenne, il est
encore
plus soutenu Norvège 4,4; Autriche 5,9;
Belgique 6; Suède 7,2; Danemark 7,5; Irlande 7,5; Finlande 11,3;
Islande 17...
Notons aussi certains pays «émergents» qui mettent les bouchées doubles
: Corée
du Sud 7,5 %; Mexique
14,1 %; Turquie 15,4 %, etc. En résumé, ce qu'on nous présente comme un
accroissement est en réalité un retard (voir
glossaire).
Voyons à
présent à quoi sont attribués les 2,23 % du PIB
que la France consacre à sa recherche.
La part
privée est de 1,33 %, un peu moins de 20
milliards d'euros. Est-ce beaucoup? C'est relativement faible comparé
à
d'autres pays industrialisés Allemagne 1,76 %, Suède 3,31 %, Finlande
2,42 %,
USA 2,10% et Japon 2,28%.
La part de la
recherche publique est donc de 0,9 %, soit
13,5 milliards d'euros. Au 4e rang des pays industrialisés,
elle peut
sembler élevée. Cependant, elle recouvre à la fois la recherche
militaire et la
recherche civile.
La plupart
des pays n'incluent pas la recherche militaire
dans ce compte pour lequel la France est dans le peloton de tête, juste
derrière la Grande-Bretagne et les USA, très loin devant le Japon. Elle
représente en effet 0,32 % du PIB, ou 4,775 milliards. Il s'agit d'un
chiffre
quasiment inconnu des Français. Pourquoi? Parce que aucun véritable
débat
public sur la politique militaire de la France ne précède le vote de
ces
crédits par le Parlement, et qu'il n'y a ensuite aucun contrôle
parlementaire
sur leur utilisation, ni aucune évaluation scientifique. Les Français
mériteraient pourtant de savoir comment est dépensé cet argent.
D'autant qu'un
des projets principaux qui a déjà bénéficié de 5 milliards d'euros
entre 1994
et 2002 attire tout particulièrement l'attention : le programme de
simulation
d'explosions nucléaires (nommé un moment PALEN) dont l'objet est de
garantir la
fabrication de bombes atomiques miniatures pouvant être assemblées en
un temps
très brefl Un tel pactole pour un
programme qui contribue
à la prolifération des armes de destruction massive, on aurait aimé
être
consultés!
Ainsi donc,
sans le généreux budget réservé aux militaires,
le budget de la recherche civile française s'élève à 0,58% du PIB, soit
8,725
milliards d'euros en 2002. La France s'avère en la matière l'un des
pays les
plus pingres de l'OCDE (0,82 % pour l'Allemagne par exerriple
où la recherche militaire est structurellement extrêrnement
faible). La peste soit de l'avarice et des avaricieux!
Comment se
répartit cet argent? Il va à différents
ministères : industrie, agriculture, environnement... et naturellement
recherche. Six milliards sont attribués àce
dernier
dont un peu moins de la moitié est consacrée à faire vivre le plus
grand des
EPST, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Est-ce
une
gestion avisée? Pour y répondre, je vais examiner attentivement le cas
du
CNRS, si décrié ces temps-ci.
Le budget
global 2003 du CNRS est de 2,5 milliards
d'euros, dont 400 millions sur fonds propres (brevets et contrats
industriels).
Cette somme investie par l'État équivaut au budget recherche et
développement
de PSA pour fabriquer uniquement des véhicules, au tiers du budget
recherche
d'IBM ou de Microsoft. Pour cette somme dérisoire (rappelons-nous que
l'économie
française s'est enrichie de 12 milliards en 2002), les chercheurs du
CNRS
publient la moitié des articles scientifiques français. Ils sont Il
600, avec
14500 ingénieurs, techniciens, administratifs dans 1 256 unités de
recherche
presque toutes associées aux universités.
La masse
salariale et les dépenses ordinaires représentent
la plus grande partie du budget, laissant 575 millions d'autorisations
de
programmes. C'est avec ce peu d'argent de fonctionnement qu'on arrive à
des
résultats extraordinaires, des médailles Fields, des prix Nobel, des
découvertes de planètes extrasolaires, des avancées en économie, en
histoire.
C'est avec ce budget -de
fonctionnement que le CNRS brille dans le panorama scientifique
mondial, à
côté d'agences aussi prestigieuses que la NASA. La NASA, justement,
qui ne
s'occupe que d'espace civil, quel est son budget, au fait ?
Il est de
près de 14 milliards de dollars.
Or ce budget
de la recherche civile, le gouvernement,
depuis son arrivée au pouvoir en 2002, a décidé de le réduire encore.
Cette
véritable asphyxie, une fois opérée, permettra de démontrer aisément
que le
système actuel n'est pas viable car trop coûteux. Une stratégie déjà
bien rodée
qui a permis de faire passer la loi sur les retraites, la réforme du
régime des
intermittents du spectacle et bientôt celle de la sécurité sociale.
Depuis
plusieurs mois, le gouvernement l'applique avec une rage toute
particulière sur
la recherche publique civile.
Printemps
2003, tandis que l'attention est focalisée sur
la réforme des retraites, le gouvernement, en illusionniste madré,
annonce
dans l'indifférence générale de lourdes annulations de crédits. Les
chercheurs
attendaient le versement de la moitié des crédits de paiements de
l'année
précédente toujours gelés, ils sont annulés. «Débrouillez-vous avec vos
réserves!» Ces réserves existent effectivement : pour acheter de gros
équipements, les laboratoires se sont habitués à épargner d'une année
sur
l'autre. Mais les économies demandées vont au-delà, et conduisent les
laboratoires à s'endetter, à réduire les programmes, à ajourner des
achats
d'équipement, annuler des expériences, différer des constructions.
2 octobre
2003, Bercy annonce une réduction supplémentaire
de 16 millions d'euros pour la recherche universitaire et 27 millions
d'euros
pour les Fonds. Le ministère «doit» toujours 172 millions d'euros au
CNRS et 34
millions à l'INSERM. Le projet de budget 2004 ne rattrape pas ces
retards
puisque les crédits de l'année 2003 sont reconduits pour 2004. Ainsi,
l'INSERM
(médecine) et l'INRA (agronomie) ont perdu 40% de leurs dotations
2002, l’IRD
(développement) 20%. Entre 2002 et 2004, le CNRS a pris une année de
retard de
financement. Son budget de fonctionnement est tombé à368 millions
d'euros en
2003, soit trois cinquièmes de celui de PALEN.
Début
décembre 2003, la situation est tellement
catastrophique que, pour la première fois de son histoire, le conseil
d'administration du CNRS reporte le vote du budget 2004. Et pour cause,
le
ministère vient d'annoncer une nouvelle baisse de 2 % par rapport au
budget de
misère de 2003.
Depuis, au
gré des promesses de reversion
d'argent gelé, le ministère peut clamer que le budget 2004 est en
hausse. Il se
réfère à l'année 2003 naturellement. L'argent supplémentaire n'est
jamais que
l'argent voté par le Parlement en 2001 pour l'année 2002.
Gâchis
pitoyable qui conduit la recherche vers une
régression brutale et rapide. Constat désespérant quand on sait que
c'est le
secteur public qui améliore régulièrement ses performances (mesurées
en termes
de publications scientifiques) tandis que le secteur privé
voit les siennes péricliter (en termes de dépôts de brevets). Selon les
données
de l'Observatoire des Sciences et des Techniques, la part des
publications
scientifiques françaises progresse de façon significative au niveau
mondial
de 4,2% en 1985 à 5,2% en 1997
et la part mondiale des citations de la recherche française progresse
parallèlement au cours de cette période. Cette progression est tout à
fait
spectaculaire dans certaines disciplines (mathématiques, sciences de
l'ingénieur, biologie appliquée, écologie). Ces données ne
Comptabilisent pas
les sciences humaines et sociales, où la
recherche française
est également particulièrement reconnue. Inversement, les performances
du
secteur des entreprises se dégradent régulièrement. Entre 1989 et 1999,
la part
mondiale des brevets déposés par la France est passée de 8,6 à 6,5 %.
Dans le
système européen des brevets, elle s'est maintenue à 17,6 % jusqu'en
1994,
mais est ensuite tombée à 15,2% en 1999.
Par cette
asphyxie opérée brusquement depuis 2003, le
fruit est aujourd'hui mûr pour être cueilli, exsangue, au bord de la
faillite.
Qui sont les heureux bénéficiaires?
5
LES
REPRENEURS
DE LA
RECHERCHE PUBLIQUE CIVILE
p. 32
Le 21 avril
2002, la droite revient aux affaires, avec
des mesures qui ont un impact direct sur la recherche publique :
diminution des
impôts, loi sur les retraites, remplacement d'un fonctionnaire
sur deux, priorité à la défense nationale.
S'agissant de
la politique de recherche à proprement
parler, l'inspiration du gouvernement vient également d'un colloque
réuni le 4
décembre 2000 par le RPR, en présence de Michèle Alliot-Marie,
d'Alain Juppé, de Jean-Jacques Aillagon,
François
Fillon ou encore Bernard Belloc qui préparera bientôt la réforme des
universités.
Ses conclusions dictent la mise à sac actuelle de notre appareil de
recherche
publique civile, au bénéfice de quelques repreneurs. Il ne m'a pas
fallu une
longue enquête pour trouver qui ils sont
Le premier
est l'armée. En 1994, nos dépenses militaires
étaient estimées à 185 milliards de francs, soit 28,2 milliards
d'euros. En
2004, elles atteindront 41,6 milliards d'euros. Voilà un secteur où les
crédits
publics sont en pleine expansion et à un rythme qui s'accélère. En
1994, sur
les 185 milliards de francs, 30 étaient destinés à la recherche. 25 %
allant
dans des laboratoires purement militaires, 60% aux industriels de
l'armement,
et 15 % aux universités et au CNRS. Avec 37 % du financement de la
recherche
publique assurés par les crédits militaires, la France occupait le
troisième
rang mondial pour l'effort de recherche consacré à la Défense, derrière
les
États-Unis (55 %) et la Grande-Bretagne (46%). Le but des militaires
est d'utiliser
au maximum leurs moyens pour l'achat de nouveaux matériels de guerre,
chars,
sous-marins, fusils d'assaut. Ils savent cependant que leurs joujoux ne
pourront pas être longtemps compétitifs sans une recherche de pointe.
Pour
surmonter ce dilemme, ils lorgnent avec envie sur le vivier de la
recherche
publique. Il suffirait pour cela qu'un gouvernement y mette juste un
peu du
sien...
Or, dopées
par la «guerre contre le terrorisme» du
président George W. Bush, les dépenses militaires des États- Unis (voir
glossaire) augmentent à un taux supérieur à tout autre pays. Le budget
de
recherche militaire a atteint 11,5 milliards de dollars en 2003, en
hausse de
16,2% par rapport à 2002, suivi d'une hausse de 13,3% en 2004. Il
entraîne dans
son sillage une approche sécuritaire d'un nombre croissant de secteurs
d'activités jusque-là réservés à la vie civile. Pour quels bénéfices ?
D'une part
les techniques de «gouvernance» aux États-Unis
et de plus en plus dans le monde entier s'appuient sur la création
d'une
atmosphère générale de «guerre totale contre le terrorisme»: contrôles
policiers
renforcés, interventions appuyées des «fonctionnaires de défense»,
«secret
défense» généralisé (par exemple dans le domaine du nucléaire civil).
La recherche
scientifique publique ne peut survivre qu'en s'adaptant à ces choix.
D'autre part
l'intégration de plus en plus profonde des
résultats de la recherche dans tous les secteurs d'activité a pour
conséquence
que même aux stades les plus théoriques et fondamentaux du travail
scientifique, on ne peut plus exclure leur utilisation dans des
applications
militaires. En conséquence, Si l'on considère froidement l'évolution
de la
situation aux États-Unis, la militarisation de la recherche
scientifique semble
devenue une évolution nécessaire et inévitable.
Retour en
France...
Peu
d'observateurs ont relevé les déclarations du nouveau
directeur du Centre national d'études spatiales, Yannick d'Escatha,
dans CNES Magazine (septembre 2003). «Il est important,
explique-t-il,
que la Défense puisse s'exprimer le plus en amont possible dans la
genèse des
projets et de la R&D, pour que les meilleurs choix soient effectués
et que
des priorités soient clairement établies. La Défense, qui est
co-tutelle de
notre Établissement, doit pouvoir orienter, en fonction de ses
besoins,
l'action du CNES [...] Une équipe de "Défense" désignée par le
délégué général pour l'Armement et le chef d'état-major des armées
sera
présente à mes côtés et reliée fonctionnellement à la totalité des
projets et
recherches amont de notre organisme.» Voici donc les militaires en
mesure
d'orienter l'ensemble des recherches amont du CNES, c'est-à-dire dans
l'ensemble des établissements publics de recherche qui participent aux
programmes spatiaux et aéronautiques. Cette mise sous tutelle générale
et institutionnalisée
est suivie en septembre 2003 par une nouvelle nomination au poste de
fonctionnaire de défense auprès de la direction du CNRS pour «aider le
directeur
général à faire face à ses responsabilités de protection». Ce
fonctionnaire,
Joseph Illand, note que «les implantations
(de
laboratoires) en milieu universitaire sont en matière de sécurité des
facteurs
plutôt aggravants», et propose de porter «une attention particulière»
à nos
échanges internationaux Big Brother nous
regarde! En
2004, la Délégation générale à l'armement participe directement aux
commissions
de sélection des projets du Fonds National de la Recherche : les
projets de
recherche «duale», c'est-à-dire avec les militaires, sont fortement
recommandés, en particulier dans les domaines de fouille de texte, de
fusion de
données, d'imagerie spatiale, de partage des ressources informatiques.
Pourtant, la
France a signé le Traité de Non-Prolifération
par lequel elle s'est engagée à «ouvrir
des négociations de bonne foi pour aboutir à une convention
internationale
d'interdiction des armes nucléaires». Le respect de ce traité
conduirait
évidemment à mettre un terme au programme PALEN, ce qui fournirait sans
conteste de quoi renflouer largement la recherche publique civile. En
fait le
risque de voir la France respecter sa signature est quasi nul malgré
les engagements
pris publiquement sur ce point précis tant par Alain Juppé en 1995 que
par
Lionel Jospin en 1997. Comme ceux des États-Unis, nos dirigeants ont en
réalité
la volonté politique de conserver et perfectionner des armes
nucléaires, tout
en s'opposant de manière sélective à leur prolifération dans d'autres
pays.
Ainsi, sous
la férule des militaires, notre recherche se
trouve-t-elle engagée sur le chemin que le monde redoute: être utilisée
à des
fins de destruction massive. La perte de confiance des citoyens envers
leur
recherche publique ne peut qu'en être aggravée.
Les
militaires ne sont pas les seuls à lorgner sur la
recherche. En ces débuts de xxième siècle, la science fondamentale et
l'industrie se rencontrent avec une vigueur exacerbée dans le cadre des
biotechnologies fabrication d'Organismes Génétiquement Manipulés (OGM),
de
nouveaux médicaments, etc. L'industrie française est forte, mais en
perte de
vitesse devant des monstres comme Monsanto.
Par
ailleurs, l'opinion publique commence à questionner l'innocuité des
produits
manipulés. Pour se défendre, les entreprises de biotechnologie décident
de
s'organiser en lobbies (voir glossaire). L'élection de la
droite va leur
fournir un élan inespéré.
C'est ainsi
que le 24 juin 2002 s'auto-constitue
ce fameux Conseil Stratégique de l'Innovation (CSI) dont je vous ai
déjà parlé,
sur la proposition de Philippe Pouletty,
qui en
assure la présidence. Ce monsieur est par ailleurs président de deux
associations : France Biotech et Objectif
2010. Que
sont-elles? Créée en 1997, France Biotech
regroupe
des entreprises biotechnologiques, tandis qu'Objectif 2010 est une
association
d'entrepreneurs (essentiellement en biotechnologie) assistés de
juristes et
d'économistes. La rédaction de projets de loi «clés en main » est la
grande
spécialité de cette seconde association. En effet, elle se vante d'être
à
l'origine du statut d'entreprise SAS (Société par actions simplifiée)
voté dans
le cadre de la loi sur l'innovation de juillet 19991 du statut des
jeunes
entreprises innovantes et d'un statut des Fondations pour soutenir la
recherche
médicale.
Quant au
comité constitutif du CSI, il comprend 15
membres. Tous, sans exception, sont liés aux biotechnologies, y
compris les
représentants des organismes de recherche publique les directeurs de
l'INSERM
(médecine), de l'INRA (agronomie) et du département des Sciences de la
Vie du
CNRS. Ce dernier, transfuge du groupe Sanofi, est par ailleurs membre
éminent
d'une start-up en biotechnologie dont le siège social se trouve... au
Canada.
Le site de
France Biotech(1) est
extrêmement instructif : à
l'encontre de tous les grands partis politiques français, on y soutient
allègrement la brevetabilité du vivant; mais là s'arrêtent les
désaccords avec
la droite, puisque les propositions suivantes ont été reprises,
parfois au mot
près, par Jean-Pierre Raffarin, en juin 2003. Ainsi : réduire l'impôt
pour les
investisseurs en biotechnologie; affecter 1 % du budget de la Caisse
nationale
d'assurance-maladie à des investissements boursiers en faveur de
sociétés de
biotechnologies - capital risque qui permettrait de proposer à des
chercheurs
étrangers de venir travailler en France dans des conditions
comparables à
celles de leurs pays d'origine, sur un statut créé spécialement, celui d'imparrié (voir glossaire).
Ce que France
Biotech et
Objectif 2010 préconisent, pour la recherche biomédicale en mai 2002,
le CSI le
suggère pour l'ensemble de la recherche en mai 2003. L'objectif est de
créer et
de faire
_______________
(1). http://www.france-biotech.org
coter en Bourse un
maximum d'entreprises en piochant dans le réservoir de la recherche
publique.
Or, comme la création d'une start-up repose sur le dépôt d'un brevet,
il est
nécessaire de se doter des outils pour piloter l'activité des
chercheurs et
s'approprier leurs résultats. La structure idoine, copiée sur des pays
anglo-saxons ou la Suisse, s'appelle «Fondation». La loi suggérée par
M. Pouletty est votée par le Parlement(1)
le 1er août, moins de trois mois après la
proposition du CSI. De quoi s'agit-il?
En premier
lieu, un panel de mesures fiscales pour
stimuler les dons de particuliers ou d'entreprises aux Fondations, dont
une
réduction d'impôts de 60 % de leur montant. Ensuite, une accélération
de la
procédure de reconnaissance d'utilité publique. Mais aussi une
représentation
de l'État éventuellement réduite à une seule voix consultative. Cette
loi
recouvre des domaines qui vont bien au-delà de la recherche, puisque
ces Fondations
ont pour vocation de financer la culture, la vie associative et
politique.
D'ailleurs, le Parti communiste français et l'UMP
viennent de créer les leurs. Distinguons les deux types de Fondations
possibles :
1) Les
Fondations
«traditionnelles» existent en France depuis
longtemps
(1970 pour la plus grosse, la Fondation de France, fédération de 500
fondations). Leur poids économique est grand : environ 0,1 % du PIB.
2) Les
«nouvelles» Fondations
ont pour modèle la très puissante Welcome
Trust
anglaise. L'autoproclamé «Conseil Stratégique de l'Innovation» propose
d'en
consacrer sept à dix à la recherche Elles feraient suite à l'expérience
des
fonds nationaux de Claude Allègre, élargissant
___________
(1) http://www.assemblee-nat.fr/i
2/dossierslmecenat.asp
cette modeste
tentative pourtant déjà épinglée par la Cour des comptes en février
2004 pour «
absence d'évaluation réelle des résultats ». Elles se verraient dotées
d'un
financement multiple, public, caritatif et privé. Rien sur une
quelconque
représentation démocratique des personnels. Rien non plus sur
l'évaluation des
chercheurs : les Fondations sont des outils à fabriquer de la valeur
ajoutée
financière, pas à fabriquer de la connaissance. Les objectifs seraient
fixés à
leur gré, et donc par les entreprises donatrices, en particulier les
plus
grosses. C'est la généralisation à tous les domaines de la recherche
par
«actions incitatives». Le mécanisme en est simple. Voici un exemple :
une
entreprise de télécommunications a besoin d'un développement de
traitement du
signal spécifique. Elle subventionne une Fondation, qui émet un appel
d'offres. Les chercheurs intéressés répondent, et le « mieux disant»
emporte le
marché. La recherche est financée en partenariat par cette entreprise
et par
les fonds publics. Si elle n'aboutit pas dans le laps de temps défini
par
l'entreprise, elle est abandonnée.
On voit
immédiatement les dangers de cette méthode :
- les
recherches qui n'ont pas
d'applications immédiates ne seront plus financées,
- les
recherches qui
n'aboutissent pas assez rapidement seront abandonnées, impliquant
un gâchis humain et
culturel.
On peut
naturellement estimer que ce tableau est trop
noir. Que l'État continuera de subventionner les recherches purement
fondamentales. Qu'on prête alors attention aux propos de la ministre
Claudie
Haigneré en réponse à la Cour des comptes : «Cette tendance devrait se
confirmer dans les années à venir où la logique de financement sur
projets à
partir de fonds incitatifs, quel qu'en soit par ailleurs le
gestionnaire... va
prendre une place de plus en plus importante dans l'attribution des
moyens à la
recherche.» Déjà, un statut type spécifique a été approuvé par le
Conseil
d'État en faveur des «Fondations à caractère scientifique» ou
«Fondations de
recherche». Le ministère chargé de la Recherche et des Nouvelles
Technologies a
mis en place une «Mission Fondations de recherche » pour expertiser et
accompagner des projets de soutien ou de création de Fondations. Quatre
grands
thèmes prioritaires ont été retenus: la santé avec le développement
des
pandémies récentes, le développement durable et la lutte contre l'effet
de
serre avec la recherche en faveur du véhicule propre, les micro et
nanotechnologies au coeur des technologies de demain, la diffusion du
savoir.
C'est dire Si
la situation évolue rapidement. C'est que
les industriels ont parfaitement compris où était leur intérêt. Ils
auraient
tort de ne pas puiser dans la manne publique, puisque la dotation
budgétaire
des Fondations inscrite au budget civil de recherche et développement
en 2003
était de 74 millions d'euros, montant maintenu en 2004. Cette aide
vient en
supplément du montant des dons et legs privés. Selon le ministère, «cet
apport
d'argent public sert de levier pour drainer des montants plus
importants
d'argent privé. Il peut être également complété avec les Fonds
incitatifs du
ministère chargé de la recherche». Il est prélevé sur l'argent des
EPST,
inutile de le préciser.
Pour faire
bonne mesure, le ministère promet d'ajouter
150 millions d'euros dans la corbeille, prélevés sur l'argent des
privatisations à venir... argent virtuel représentant environ un tiers
des 3,9
% d'augmentation du budget annoncés par Mme la Ministre. La grande
braderie a
commencé!
Voilà comment
un lobby privé au service d'intérêts
financiers se substitue à la représentation nationale, pour
s'approprier la
recherche publique et la détourner de ses missions. Savions-nous, en
élisant
Jacques Chirac, que nous votions aussi pour M. Philippe Pouletty?
Pourtant, ces
mesures se heurtent à des structures
relativement démocratiques, qui permettent une liberté d'expression, de
publication et d'action... C'est pourquoi le RPR préconisait en
décembre 2000
de sortir de la logique institutionnelle et de faire évoluer les
statuts des
personnels. Acharné contre les fonctionnaires, le gouvernement nommé
par
Jacques Chirac va appliquer à la lettre ces recommandations en
instaurant la précarisation
des personnels, de façon à les rendre plus malléables. Dès 2003, les
ministères de la recherche et de la culture sont les plus touchés par
le taux
de diminution et d'annulation de crédits. En 2004, les personnels de
recherche,
qui ne correspondent qu'à I % des emplois de fonctionnaires,
représentent 10 %
des postes de titulaires supprimés, 550 emplois statutaires sont
remplacés
par des contrats à durée déterminée. Pour la première fois depuis
trente ans,
aucun emploi n'est créé dans l'université. Le cas de l'INSERM ouvrant
les
concours à 95 postes en 2002 et à 30 en 2004 donne une idée du
désastre. Les
techniciens et administratifs ne sont pas épargnés, et les laboratoires
sont
priés de les embaucher sur d'improbables fonds propres. Pas de
secrétariat ni
de techniciens, les chercheurs n'ont qu'à se débrouiller!
Par rapport
au « plan pluriannuel de l'emploi scientifique
» de Lionel Jospin qui promettait un accroissement de l'emploi
scientifique,
la différence est de 680 postes de chercheurs en deux ans. Si l'on
ajoute les
enseignants-chercheurs et les techniciens, elle s'élève à 2 500 postes,
l'équivalent de toute une promotion annuelle.
Atteindre 3%
du PIB en 2010 suppose d'accroître l'emploi
scientifique public et privé de 8 à 10% par an, et donc de former
plusieurs
milliers de docteurs supplémentaires. Or, c'est une baisse qui a lieu.
Certes,
on promet 300 bourses CIFRE supplémentaires, c'est-à-dire en partenarial
(voir
glossaire) privé-public. Mais
depuis des
années, le contingent disponible n'est pas rempli. Par contre 300
allocations
de recherche ont été supprimées depuis 2002 et la chute sera plus
grande car
les compensations pour perte d'emploi des jeunes docteurs au chômage
sont
financées sur le contingent d'allocations de recherche. Des allocations
qui,
même revalorisées récemment, sont juste au-dessus du SMIC, et restent
inférieures au salaire d'un policier stagiaire, sans aucune
qualification.
Tout indique
qu'il s'agit d'une volonté sur le long terme
: le gouvernement a demandé une étude à dix ans de l'effet de sa
politique sur
le CNRS. Il n'est pas besoin d'étude très détaillée, madame la
Ministre! Je
peux vous en donner les conséquences en peu de mots dans dix ans, il
n'y aura
plus de recherche publique civile en France!
6
SÉANCE
DE TRAVAUX PRATIQUES
p.43
Comment
résister, s'agissant de la recherche, à une
séance de travaux pratiques? Deux applications en France, une à
l'étranger...
Lecteurs, à vos paillasses!
6.1
SPATIAL
PUBLIC : L’EXPLOSION
EN VOL D’UNE AMBITION
Septembre
2001, l’agence spatiale française, le CNES,
entame son exercice le plus difficile se projeter dans l’avenir, se
positionner
dans le panorama mondial de l’espace de demain. L’agence est
prestigieuse :
la plus importante en Europe pour le spatial civil, elle rayonne par
ses
innovations et ses audaces, ses réussites éclatantes, sa présence dans
presque
toutes les grandes missions internationales. Pour envisager son futur,
elle
fait appel à tous les spécialistes scientifiques. Plusieurs groupes se
mettent
au travail avec enthousiasme, sur des thématiques allant de la Terre à
l’univers
lointain. Les idées nouvelles sont examinées avec soin, expertisées.
Des
dizaines de réunions à travers la France rassemblent des experts en
physique,
médecine, ingénierie…
Cependant,
des rumeurs persistantes indiquent que son
budget de i 308 millions d’euros pourrait être considérablement réduit
les
engagements 2003 excèdent les ressources disponibles de 90 millions
d’euros,
avec un déficit 2002 de 35 millions d’euros. Si l’on y réfléchit, cela
ne
représente que 2,68 %, ce qui témoigne d’une gestion relativement
avisée.
Avril 2002,
réélection de Jacques Chirac. En dépit de la
nomination de la spationaute Claudie Haigneré comme ministre de la
recherche et
des nouvelles technologies, les rumeurs se renforcent, l’ambiance
devient
électrique dans les groupes de travail : la consigne venue «d’en
haut» est
de procéder à une évaluation financière des projets sur la base d’une
réduction
d’un tiers à la moitié du budget. Puis on apprend que des projets déjà
engagés
vont être abandonnés. Il s’agit essentiellement de l’exploration
martienne.
Mars a
toujours fasciné l’humanité. Les Russes y ont
connu quelques succès et beaucoup d’échecs. Les USA y ont eux aussi
perdu un
nombre impressionnant de sondes, mais finalement se retrouvent en
situation de
monopole. À tel point qu’ils n’hésitent pas en 1997 àfaire
se poser sur Mars l’une de leurs sondes (Pathfinder)
le jour de leur fête nationale, le 4 juillet, délivrant ainsi un
message clair
au reste du monde. Le ministre français de la recherche d’alors, Claude
Allègre, décide de casser ce monopole. Il a eu l’honneur d’analyser des
roches
lunaires lors des missions Apollo. Conséquence directe : il faut
rapporter
des échantillons martiens sur Terre. Son projet, «Mars Sample
Return (MSR)», est quasiment imposé à la communauté scientifique. Des
satellites d’accompagnement sont projetés, tel Netlander,
constitué de quatre atterrisseurs et d’un orbiteur. La munificence de
ces
programmes oblige à trouver un ou plusieurs partenaires. Et à la
surprise
générale, c’est vers la NASA et non vers son homologue européenne
(l’ESA) que
se tourne Claude Allègre.
Les budgets
se mettant en place, les scientifiques lancent
des simulations, des expérimentations. Puis Claude Allègre est remplacé
par
Jack Lang. Les rumeurs sur le cout
exorbitant du
retour d’échantillons ne se cantonnent plus aux alcôves et il devient
vite
clair que le projet sera renvoyé aux calendes grecques. Les USA s’en
retirent.
Exit MSR, à la consternation des femmes et des hommes qui viennent de
lui
consacrer plusieurs années d’effort. Un exemple frappant des risques
d’un
pilotage par les instances politiques d’un programme de recherche
démesuré.
Retour en
2002. Les groupes d’experts de l’exercice de
prospective comprennent rapidement que les autres projets martiens sont
eux
aussi menacés. En dépit de ces difficultés, un «pré-séminaire»
de prospective est convoqué à l’automne, la date du séminaire final
ayant été
repoussée en décembre. Lors de cette réunion, qui se tient dans la
morosité de
l’échec d’Ariane 5, une chercheuse réputée suscite l’ire des décideurs
en
évoquant le désespoir de la communauté scientifique spatiale. Puis, en
novembre, Claudie Haigneré décide abruptement de reporter sine die le
séminaire
final. Des centaines de voyages, des dizaines de réunions, des quintaux
de
papiers, des heures d’auditions, des jours de débats, des semaines de
synthèses
pour arriver à ce néant.
Elle nomme un
groupe ad hoc, plus malléable qu’une
communauté scientifique, pour faire l’audit de l’agence.
Le 17 janvier
2003, il rend son rapport. «Sans un CNES
fort, pas d’Europe spatiale», est-il écrit. Puis on découvre la Clé
des
événements qui viennent de se dérouler : le CNES doit se tourner
vers les
applications industriel-les et militaires. Il est proposé de créer une
Direction des Affaires de la Sécurité et de la Défense, de favoriser la
conclusion d’un accord de fusion des sociétés Alcatel Space
et Astrium, d’augmenter les ressources que
le CNES
alloue à l’industrie des Télécommunications…
Dans la
foulée, le président de l’agence donne sa
démission. En quelques semaines, un plan d’économies est proposé :
on se
défausse des missions martiennes sur l’ESA, qui n’a rien demandé, on
gèle des
projets, on en abandonne d’autres. Les priorités deviennent
essentiellement
technologiques, délaissant les objectifs d’acquisition de
connaissances.
Ainsi, en juin 2003, le conseil scientifique du prestigieux « Programme
National
de Planétologie » du CNRS apprend que la contribution du CNES sera en
baisse
de 25 % par rapport à l’an passé. Les chercheurs rentrent avec la
gueule de
bois dans leurs laboratoires, où les attendent gels de crédits et
suppressions
de postes.
Le nouveau
président, Yannick d’Escatha,
est nommé pour la première fois conjointement par les ministres de la
recherche
et de la défense. Il se verra bientôt adjoindre un vice-président nommé
par la
Délégation générale à l’armement, qui aura contrôle sur toute la
recherche
amont du CNES. À peine arrivé, il impose l’utilisation d’un nouveau
logiciel d’aide
à la décision pour sélectionner les futures expériences spatiales>
le
logiciel «Atouts-Attraits». Pour
l’utiliser, il faut
classer les propositions selon des critères pré-définis.
Le critère qui rapporte le plus de points est «expérience à caractère
militaire, ou filière lanceurs». Lorsqu’on sait que la filière lanceurs
est
totalement privée, il prend un caractère encore plus significatif. Le
deuxième
critère est «contribution aux expériences obligatoires de l’Agence
spatiale
européenne, ou développement durable, ou participation à GMES ». GMES
est l’une
des priorités de l’Europe spatiale. Il s’agit de la surveillance des
catastrophes
naturelles depuis le ciel. Les militaires s’y intéressent de près. Le
troisième critère revient sur l’aide au privé : « contribution aux
Technologies de l’information et de la communication ». C’est-à-dire internet, satellites de communication… Dernier
critère
dans la liste, celui qui ne rapporte rien ou presque : «
expérience àcaractère scientifique ».
En 2004, le
CNES et les astronomes français sont àl’avant
de la scène grâce à la sonde Cassini-Huygens
sur Saturne et Titan, de Rosetta
lancée
vers une comète, et de Mars-Express
sur
Mars. Dans tous ces projets, décidés et financés depuis des années,
des
chercheurs publics français sont responsables d’expériences. Une
simulation
faite avec le logiciel « Atouts-Attraits »
montre qu’ils
n’auraient pas été sélectionnés aujourd’hui l’argent privé et l’argent
militaire n’ont pas vocation à financer de
telles
expériences scientifiques spatiales.
6.2
L’ARCHÉOLOGIE
PRÉVENTIVE
Sacrifier la
recherche publique aux intérêts privés et
militaires ne concerne pas seulement les sciences de la nature et de la
technologie. Les sciences humaines souffrent encore plus Si c’est
possible des
interventions du pouvoir politique car elles cumulent plusieurs
raisons de se
voir limiter liberté d’action et moyens de travail. Pour une grande
partie de
ces disciplines, les intérêts privés et l’État savent exactement à quoi
elles
leur servent, et jusqu’où les laisser explorer leur champ
d’investigation :
comprendre les mouvements de la société permet de maximiser les profits
des
entreprises et l’efficacité des administrations. Ainsi, les recherches
sur l’analyse
transactionnelle ou la psychanalyse sont utilisées lors des
recrutements, ou en
communication politique. Hors de ce cadre, l’augmentation des
connaissances est
non seulement peu pertinente, mais considérée comme potentiellement
dangereuse.
C’est ce qui explique la faiblesse relative de leurs moyens publics et
la
précarisation plus forte qu’ailleurs de leurs personnels.
Les trois
critères d’évaluation des sciences sociales
retenus par le gouvernement actuel sont les suivants « utiles pour
l’industrie,
l’État ou les militaires », « potentiellement gênantes», ou «totalement
inutiles ». Celles qui relèvent des deux derniers critères sont vouées
à la
disparition. Le massacre a déjà commencé avec l’archéologie préventive.
En 1994 la
France signe la convention de Malte, qui
oblige chaque pays européen à prendre en charge la sauvegarde de son
patrimoine. Pour faire face à cet engagement, le Parlement élabore la
loi du 17
janvier 2001, qui définit les missions de l’archéologie préventive,
sous
contrôle de l’Institut national de Recherches archéologiques
préventives. Cette
loi entre en vigueur en février 2002. Mais l’INRAP,
à
peine né, subit les attaques de la nouvelle majorité avec, dès novembre
2002, une
réduction de 25 % du montant de sa dotation. Un
nouveau projet de loi, déposé en procédure d’urgence, est adopté le 1er août 2003, le même jour
que la loi sur les Fondations. Il place l’archéologie dans le champ de
la
concurrence commerciale, en confiant aux aménageurs la maîtrise
d’ouvrage en ce
qui concerne la fouille, et en les autorisant à la faire réaliser aussi
bien
par l’INRAP que par les services des
collectivités
territoriales ou même par des opérateurs privés. En la traitant comme
une
activité technique, cette loi méconnaît la réalité de l’archéologie,
qui n’a d’autre
objet que la recherche fondamentale et le service public du patrimoine
national.
Les
conséquences directes sont immédiates. Elles étaient
prévisibles : diminution des budgets dévolus aux coopérations
scientifiques, exclusion quasi systématique du CNRS et des universités
des
fouilles. Décisions qui conduisent à coud terme à la
disparition de la
recherche fondamentale archéologique dont l’exigence de qualité ne peut
qu’être
en totale contradiction avec l’exigence de rentabilité d’une entreprise
privée.
L’archéologie
française avait su former des chercheurs
compétents et reconnus dans des domaines variés : géographie,
géologie,
anthropologie biologique, disciplines naturalistes… Ils ne sont pas
seulement
menacés : ils sont déjà condamnés. Avec eux disparaîtront la
sauvegarde
de notre patrimoine, la compréhension de notre passé, et une discipline
qui,
sous flmpulsion de l’archéologie
préventive, avait
entièrement renouvelé ses problématiques scientifiques et son champ de
recherche
au cours des dix dernières années, et s’imposait parmi les meilleures
au niveau
international.
6.3
LE
MAUVAIS EXEMPLE BRITANNIQUE
La
Grande-Bretagne est un pays tout à fait extraordinaire,
un chaudron d'expériences, une nation engagée résolument dans sa
modernisation,
au sens de mon glossaire : « manière d'imposer à la science de ne
travailler
que pour le commerce ». Un rapport de la Chambre des Communes vient
courageusement de faire l'analyse de sa structure de recherche publique(1). Que
nous apprend-il?
À l'orée de
l'année 2000, la part du Produit intérieur
brut (PIB) consacrée à la recherche était de 2,17% en France,
sensiblement
devant le Royaume-Uni (1,83 %). Quant à la part de PIB consacrée à la
dépense
publique de recherche, elle était de 0,9% en France contre 0,62% en
Grande-Bretagne. Un désintérêt aussi manifeste a eu pour conséquence
directe la
fonte des effectifs de personnels de la recherche.
La partie
privée de l'investissement de recherche britannique
a deux composantes distinctes. D'une part, les entreprises peuvent
avoir leurs
laboratoires propres. D'autre part, elles peuvent intervenir dans le
financement
des laboratoires publics au moyen de... Fondations, dont la plus
connue est la
«Welcome Trust».
La recherche
britannique purement publique cette
portion congrue de la recherche - est
financée via plusieurs sources : les institutions internationales
(Union
européenne...), assimilées dans le jargon anglais au financement
«commercial»;
le Conseil financier de l'éducation supérieure; les
____________
(1) http://www.publîcations.parliament.uk/pa/cm2ool
02/cmselect/cms ctech/1 046/1 046.pdf
Research
Councils et le Arts and Humanities Research
Board. Mais attention! Les
Fondations, encore elles,
participent au budget des Research Councils, ce qui facilite leur pilotage par le
monde
industriel: l'argent est en effet souvent distribué en réponse aux
appels
d'offres des Conseils de Recherche et non sur proposition des
laboratoires.
Depuis l'ère Thatcher, le financement de chercheurs précaires a dépassé
celui
des chercheurs permanents dans plusieurs secteurs, Si bien que les
personnels
de la recherche se trouvent séparés en deux groupes : le «personnel
attaché »
précaire, et les «académiques» sur statut permanent. En 2003, sur les
43000
chercheurs à temps plein que compte le Royaume-Uni, 41 000 le sont sur
des
contrats à durée déterminée. Ils étaient 30000 en 1994. Le rapport
parlementaire
sur lequel je m'appuie souligne, non sans l'indispensable humour
anglais, que
seule l'industrie de la restauration connaît une proportion supérieure
de
contrats précaires.
Plusieurs
études soutiennent qu'en dépit de cet état de
fait - ou grâce à lui - la recherche britannique se porte bien. Elles
s'appuient en particulier sur les conclusions du rapport de Sir Gareth Robert, rendu au gouvernement de
l'Échiquier en
avril 2002, selon lequel la précarité favoriserait l'inventivité et la
productivité. Mais prenant le contre-pied du rapport Robert, le contre-rapport de la Chambre des Communes a
étudié les
implications de la précarisation sur la science et alerte sur plusieurs
effets
désastreux en cours.
Désastreux,
l'effet sur les chercheurs ils sont embauchés
sur contrat à durée déterminée pendant parfois plus de vingt ans.
Au-delà, ils
se dévaluent pour trouver encore des contrats, ou deviennent chômeurs.
La pression
est Si grande que le salaire des post-doctorants n'a pas augmenté
pendant
quinze ans. Le corollaire de leur mobilité, c'est l'impossibilité de
fonder un
foyer ou même d'acheter un appartement. Leur moral est donc très bas.
Ils
constituent de très mauvaises vitrines pour les jeunes générations>
contribuant à la désaffection pour les métiers scientifiques.
Désastreux,
l'effet sur l'égalité des sexes : lorsqu'un
poste permanent est ouvert, les femmes en sont exclues de fait. On
préfère leur
donner des contrats à durée déterminée en raison bien sûr de leurs
grossesses.
Après quelques naissances, elles ne sont plus suffisamment «
attractives »,
à moins, comme le souligne le rapport, de renoncer à leurs congés
maternité.
Désastreux,
l'effet sur l'éthique scientifique les «académiques»
s'approprient les découvertes des précaires,
sous la
menace de ne pas renouveler leurs contrats.
Désastreux,
l'effet sur la qualité de la recherche : la
succession des contrats empêche la continuité des programmes. La
nécessité de
publier oblige à rédiger des articles « alimentaires» sans grand fond
scientifique et empêche la prise de risque intellectuel (le rapport
insiste, « il
y a une fuite de cerveaux vers la recherche sûre »).
Désastreux,
l'effet sur les institutions : le grand turnover
du personnel impose une administration lourde et dispendieuse. Il
empêche la
continuité des cours dispensés par des professeurs précaires.
Fort
logiquement, la commission parlementaire britannique
conclut : « La proportion de chercheurs travaillant sur des contrats à
durée
déterminée est trop élevée. Le point de départ de toute politique
devrait être
de réduire cette proportion... La funeste distinction entre employés
permanents
et précaires doit disparaître. Nous devons rechercher la sécurité de
tous les
personnels de l'éducation supérieure. »
Devons-nous
inlassablement reproduire les erreurs de nos
voisins? Devons-nous aveuglément courir vers le précipice? Devons-nous
perpétuellement sacrifier l'efficacité à l'idéologie? Devons-nous
stupidement
casser notre magnifique instrument de recherche publique civile?
Devons-nous
fatalement suivre ce contre-exemple britannique?
7
QUE
FAIRE?
p.54
Le constat
que je vous ai présenté ne peut prétendre
avoir exploré tous les dysfonctionnements, toutes les insuffisances
dont
souffre la recherche publique civile Française. Mais je crois qu'il
suffit à
démontrer que le gouvernement actuel a la volonté politique bien
arrêtée
d'anéantir les bases institutionnelles et financières qui garantissent
à cette
recherche un minimum d'indépendance et de libre arbitre. Des garanties
qui lui
permettent, malgré de fortes contraintes et sous réserve de nombreuses
critiques, de rester au service de l'intérêt public.
La stratégie
d'asphyxie financière mise en oeuvre a eu
pour effet une réaction vigoureuse des personnels de la recherche,
relayée par
les médias. Des analyses, qui ne sont pas encore un débat, ont vu le
jour.
Éliminant celles qui approuvent la mise à sac de la recherche publique
civile,
j'y distingue deux grandes catégories de réactions, qui ne me satisfont
ni les
unes ni les autres.
Il y a tout
d'abord ceux que j'appellerai « les nihilistes
» de la science et de la technologie, qui ne voient que des dangers
dans le
développement accéléré des connaissances et des techniques et militent
pour y
mettre un terme. Certes, ces dangers sont réels, par le caractère
global et à
grande échelle des risques que génèrent les applications militaires ou
les
usages irresponsables des technologies destructrices de
l'environnement, de la
santé publique... Mais je pense que Si nos concitoyens ont la volonté
de les
contrôler et de les réduire, ils devront faire appel à d'autres
connaissances
et à d'autres techniques, donc à davantage de recherche publique
civile. Le
nihilisme conduit à une impasse.
Une autre
catégorie regroupe ceux que je qualifierai de «
corporatistes ». Elle est légitime à mes yeux et même nécessaire pour
réussir à
mettre hors jeu la politique gouvernementale. J'ai démontré qu'en
dépit de
chiffres facilement falsifiables, la part du Produit intérieur brut
consacré à
la recherche civile publique reste faible, l'une des plus faibles des
pays
occidentaux. Par habitant, l'Allemagne dépense 14% de plus que la
France. Le
Japon 42 %, la Finlande : 56 %, la Suède 93 % et les États-Unis 72 %.
Sans
chercher l'impossible, pourquoi ne pas essayer de rejoindre
l'Allemagne, notre
partenaire privilégié dans l'UE? Il faut donc augmenter très
rapidement le
budget de la recherche publique civile. Cependant, cette décision
technique ne
saurait me satisfaire à elle seule. Il ne suffit pas d'affirmer la
nécessité
d'un secteur public de recherche car l'histoire et la réalité actuelle
montrent
qu'il peut être dévoyé de ses missions. Il faut se demander : pour quoi
faire?
C'est pour
répondre à cette question que je propose une
démarche radicalement nouvelle : la démocratisation de la politique
scientifique.
7.1
RÉTABLIR UNE RECHERCHE PUBLIQUE AU
SERVICE DU PUBLIC
Maintenir en
France une recherche publique signifie que
les fruits de son travail reviennent de plein droit au public. Cette
conscience
de restitution est primordiale pour que les citoyens retrouvent
confiance dans
leur science. Mais auparavant, il est essentiel de parer à l'urgence,
en
partant de ce postulat : la recherche sert à construire la société
de
demain. Si la recherche est privée et militaire, la société ne
pourra pas
avoir le souci du bien public, mais seulement celui des biens privés et
militaires. Quelle entreprise paiera pour financer un projet de
recherche sur
l'amélioration de l'habitat des banlieues ? Sur les effets sanitaires
et sociaux
de l'agriculture industrielle? Sur la disparition des abeilles
empoisonnées
par un produit agricole ? Si la recherche est privée et militaire, la
société
ne pourra pas davantage avoir le souci du culturel. Qui paiera pour
connaître
les langues anciennes du Togo ? Pour étudier les châteaux de boue des
princes
du Dauphiné au Moyen Âge ? Pour recueillir les musiques anciennes sur
des
manuscrits oubliés ?
C'est
pourquoi il faut mettre fin immédiatement à ces
projets contraires à l'ordre public de Fonds de pilotage centralisé et
de
Fondations pour les intérêts privés, et abroger la loi du 1er
août
2003. Que le secteur privé finance son effort de recherche> et qu'il
laisse
le secteur public défricher les domaines d'intérêt public !
Le
gouvernement doit cesser de vouloir piloter la
recherche publique de façon autoritaire. M. Chirac n'est pas compétent
pour
décider quelles découvertes doivent être faites dans les années à
venir. Comme
par ailleurs il est injustifiable que des chercheurs du secteur public
s'enrichissent
grâce aux découvertes faites dans le secteur public, la loi sur
l'innovation
1999, qui institutionnalise les « actions incitatives » et la
prévarication
des chercheurs, doit être purement et simplement abolie.
La gravité de
la situation impose des démarches d'une
grande urgence. Entre 1999 et 2001, il y avait 7,5 chercheurs
pour 1000 emplois en Belgique, 7,6 en
Nouvelle-Zélande, 8 en Norvège, 10,6
en Suède, 15,8 en
Finlande. Aux États-Unis, il y en avait 8,6
et 10,2 au Japon. En France, seulement...
7,1 en 2001, et en baisse depuis.
C'est un chiffre trop bas, un retard à combler. Je ne propose pas
l'impossible,
c'est-à-dire de rejoindre la Finlande. Mais pourquoi, dans un premier
temps, ne
pas essayer de faire au moins aussi bien que la Belgique? Puis nous
pourrions
viser la Nouvelle-Zélande, éventuellement la Norvège? Dans la fonction
publique, cela signifie des emplois, de vrais emplois, non des postes
précaires, dont j'ai montré la nocivité. S'agissant de la recherche
industrielle, il est sans doute possible de prendre des mesures
incitatives.
Mais pas en termes de vampirisation du
secteur public
: par des aides àl'embauche de jeunes
diplômés en
sciences. C'est là que les incitations doivent s'appliquer, non dans
les Fondations.
J'ai dénoncé
l'intrusion de l'armée dans l'agence spatiale
française et au CNRS. Assez! Il faut alerter nos concitoyens : la
militarisation
de la recherche publique civile menace la société dans sa globalité,
parce que
toutes les activités présentes et futures sont dépendantes de la
recherche. Il
est hors de question que la recherche publique puisse retrouver la
confiance du
public Si elle est contrôlée par l'armée. Les militaires doivent
retourner dans
leurs casernes et cesser d'exercer le moindre contrôle sur le travail
des
EPST.
Je propose
d'ouvrir un large débat sur la recherche et
l'université, vingt ans après les Assises nationales. Pour cela, il
faut
laisser à la communauté scientifique le temps de s'organiser et de
discuter
pour faire des propositions, sans craindre que demain leur outil de
travail
ait disparu. Il est certain que le système des EPST est perfectible.
Les
personnels de la recherche ont des propositions. Ils sont ouverts,
prêts à
modifier leurs pratiques.
Qu'on laisse
également les organisations de la société
civile exprimer leurs préoccupations et leurs besoins. Pas un comité de
«sages», mais bien toute la société civile. Une synthèse émergera de
ces débats
qui sera vraiment représentative des
besoins du pays.
Sur cette base, travaillons ensemble pour faire vivre une recherche
publique
civile forte, audacieuse, qui soit la fierté de tous nos concitoyens !
7.2
CRÉER UNE
RECHERCHE PUBLIQUE
EUROPÉENNE
Notre
continent a connu plus d’un siècle de guerres quasi
ininterrompues, dont deux mondiales. La science, qui a su être
Si bien
utilisée à des fins de destruction massive, peut servir de vecteur pour
la
paix, comme l’ont montré les scientifiques du groupe de Pugwash
ou du réseau INES par exemple. Elle peut participer à l’intégration
européenne
et éviter les guerres futures. Encore une fois, ni la recherche privée
ni
évidemment la recherche militaire ne peuvent satisfaire cette
aspiration
extraordinaire.
La Etats-Unis
possède une expérience unique au monde dans
l’organisation démocratique de ses instituts de recherche :
évaluations,
discussions, prises de décision par des comités où les scientifiques
élus sont
majoritaires. Utilisons cette base, exportons-la et donnons
l’impulsion à une
véritable démocratie scientifique européenne. Imagine-t-on
l’enthousiasme que
pourrait générer une refonte démocratique de l’Europe de la
recherche ?
Cela passe par des points techniques simples et efficaces :
Le premier
consiste à créer des conseils scientifiques
dans les instances européennes, dont une majorité de membres doivent
être élus
par les chercheurs européens eux-mêmes. Les dates des conseils
scientifiques
européens et leurs ordres du jour devraient être systématiquement
rendus
publics, ainsi que leurs comptes rendus.
Comment
peut-on encore accepter, comme c’est
le cas aujourd’hui, que les décisions de financement de programmes
scientifiques ne soient pas justifiées et publiées ? A-t-on
conscience du
découragement actuel des chercheurs qui, après six mois de travail à
plein
temps sur une demande européenne, sont rejetés sans comprendre
pourquoi ?
Laissons les personnels de recherche participer aux prises de décision,
et pour
assurer la démocratie, donnons un rôle important àleurs
organisations dans les processus de négociation sur la recherche
européenne.
À l’encontre
du courant libéral, il est urgent de créer
un large corps de chercheurs fonctionnaires de l’Eu-rope,
ayant une garantie de l’emploi et un salaire confortable, évalués
sérieusement
par leurs pairs. Ce seront des créations d’emplois, pas des
substitutions.
Prenons au mot le commissaire Busquin demandons-lui de favoriser la mise sur pied
de ce corps par lequel il montrera son attachement à l’embauche des
milliers de
chercheurs qu’il préconise. Cette mesure générera un courant de
vocations qui s’étendra
au-delà de l’Union européenne, pour peu que les chercheurs du monde
entier
puissent candidater, et inversera le flux
d’expatriations
actuel vers les Etats-Unis. Il donnera un nouvel espoir aux 400000
chercheurs
européens expatriés de pouvoir enfin exercer leur métier dans leur pays.
Il serait si
simple d’être fiers de travailler pour l’Europe
démocratique de la recherche I Nous pourrions aménager une réserve de
postes de
la fonction publique européenne pour des années sabbatiques. Les
chercheurs y
seraient sélectionnés en fonction de leur excellence. Il leur
reviendrait l’insigne
honneur de devenir, pour quelques mois ou quelques années, les
porte-parole de
l’Europe de la recherche, même et surtout Si ces postes sont ouverts
aux
chercheurs du monde entier.
7.3
DÉMOCRATISER LA POLITIQUE
SCIENTIFIQUE
La
démocratisation des choix scientifiques et techniques
est devenue un impératif de notre époque: notre destin planétaire est
conditionné par le développement des sciences et technologies pollution chimique, génome, OGM, trafic
d'organes, communication et information, armes de destruction massive,
espace... L'humanité prend conscience de la puissance de cette
technostructure,
des avantages comme des ravages qu'elle entraîne. Dans un tel
tourbillon, le
rôle des scientifiques et leurs relations à la société font l'objet
d'interrogations,
de préoccupations morales, de fantasmes délirants. Comment ne pas
comprendre
que les exigences de la démocratisation concernent aussi le couple
science et
technologie? La mondialisation n'épargne pas ce couple elle s'appuie
sur ses
avancées... Notre village planétaire est devenu un village
scientifique, où la
maîtrise des sources d'énergie et de technologies peut déboucher sur
l'aménagement de l'écosystème comme sur 53 disparition.
C'est pourquoi la maîtrise de l'appareil scientifique et technologique
est un
enjeu et une arme. Comment mettre entre les mains des citoyens le débat
sur les
orientations de la politique scientifique ?
Il ne faut
pas compter sur les scientifiques uniquement.
D'une part, parce qu'ils travaillent pour ceux qui les paient. D'autre
part,
parce que les Cassandre ont un accès limité aux médias et aux instances
décisionnelles, et sont neutralisés par des moyens connus et simples
suppression de subventions, de bourses de thèse, mutations...
Il faut
encore moins compter sur la corporation des
experts. C'est en 1983 que François Mitterrand crée le premier comité
d'éthique
au monde, qui fera florès puisqu'en 1994, on en recensait plus de 200.
Leur succès
tient à deux qualités ils sont généralement compétents et sont
également
soumis au pouvoir politique. Ils apparaissent comme des relais destinés
à
légitimer les positions dominantes et ne peuvent donc servir à
démocratiser
quoi que ce soit. Par ailleurs, leur autorité morale permet de
subtiliser le
débat aux citoyens. Enfin leur domaine d'action est étroitement
contrôlé : il
n'existe pas de comité d'éthique sur l'impact des théories économiques
néolibérales ni sur l'usage des armes de destruction massive...
En toute
logique, pour prendre en compte les intérêts de
la collectivité, il faut l'intervention directe de tous les citoyens.
Pour
cela, les problématiques scientifiques doivent être rendues abordables,
grâce à
l'enseignement, les livres, revues, conférences ou journées portes
ouvertes,
les émissions de radio et de télévision. Recourons au référendum,
comme cela a
été le cas en Suède ou en Italie pour décider de l'arrêt des centrales
nucléaires. En France, l'Office parlementaire des choix technologiques (OPCT)
organise des auditions
publiques sur certains problèmes :
il faut que ces auditions soient largement relayées dans les médias La
«conférence de consensus» danoise a été expérimentée en France par l'OPCT. Des experts y planchent sur un sujet de
politique
scientifique devant un panel de citoyens, qui débat et remet ses
recommandations au Parlement. Cette démarche, relativement protégée des
pressions, permet de prendre en compte les nuances, de traiter un
problème
complexe avec des solutions complexes. Au Danemark, elle s'accompagne
d'une
large médiatisation. Pas en France, où elle a été organisée pendant le
Mondial
1998. Ajoutons que le gouvernement Jospin avait pris la décision de
laisser
cultiver le mais transgénique avant même de réunir la conférence
sur les OGM...
Autre initiative l'association «Sciences citoyennes» qui oeuvre à une
appropriation citoyenne et démocratique de la science et de la
technique, par
des débats, l'élaboration d'une charte du scientifique, la protection
des
lanceurs d'alerte. Elle fait partie du réseau européen des «Science Shops» et tisse peu àpeu
des
liens avec les organisations de la société civile intéressées par la
science
pour stimuler les capacités d'expertise indépendante des pressions
financières
et militaires.
Les résultats
de la recherche publique doivent être
accessibles à tous. Ils doivent donc être protégés des méthodes
discriminatoires de diffusion de connaissances, comme certains
brevets,
certains contrats industriels de non-divulgation,
etc.
L'un des modèles à suivre est celui des logiciels et licences libres,
inventés
par des informaticiens. Leur apport essentiel est la notion de copyleft
parallèle à celle bien connue du copyright : un résultat
est
disponible librement pour tous, pour tous usages, commerciaux ou non,
et sa
licence d'exploitation stipule que tout travail dérivé doit être
laissé sous
la même licence. C'est le cadre rêvé pour la plupart des travaux
scientifiques,
une extension naturelle de la méthode scientifique classique. C'est
pourquoi
j'ai décidé de publier cet ouvrage sous copyleft, avec l'accord total de mon éditeur.
À chaque
élection, tout citoyen doit être à même d'évaluer,
en toute clarté, les politiques scientifiques proposées par les
candidats.
S'il ignore ce problème, il se trouve en position de subir la science
et la
technologie, au lieu de les choisir. Pourtant de ces choix dépendent
les usages
sociaux bénéfiques du travail scientifique ou leur dévoiement vers des
oeuvres
de mort et de destruction planétaire. Si l'humanité n'invente pas
bientôt
la démocratie de l’ère scientifique, elle prend un sérieux risque de
s'autodétruire.
__________________________________________
LE GLOSSAIRE
D'HÉLÈNE
p.65
AFRIQUE : mot
tabou, qui n'apparaît que
rarement dans les projets relatifs au développement de la recherche.
Lorsque
c'est le cas, il est associé au mot humanitaire. Voir «humanitaire».
AMÉRIQUE :
s'emploie pour Amérique du
Nord, voire uniquement États-Unis. En effet, l'Amérique du Sud est très
peu
évoquée dans les projets sur la recherche. Cette substitution exprime
la
volonté d'hégémonie des dirigeants des États-Unis sur le continent
américain
et, par extension, sur le monde ainsi que la fracture scientifique
entre le
Nord et le Sud.
AUTONOMIE : suggère
l'idée de liberté, afin de
masquer un désengagement de l'État. Il s'agit d'une autonomie de
gestion, tandis
que le contrôle financier par les grandes entreprises est renforcé,
selon un
critère de rentabilité. Par exemple projet d'autonomie des universités.
BIBLIOMÉTRIE : il
s'agit de compter
le nombre de fois où vous êtes cités dans un article de revue.
L'exemple
classique est le citation index, élaboré
à
Philadelphie, aux États-Unis. L'évaluation des chercheurs est ainsi
automatisée, donc effectuée à coût très réduit par des personnes qui ne
comprennent pas le contenu de leurs travaux.
BREVET :
souvent accolé à licence. Il
s'agit d'instaurer des péages pour accéder aux nouvelles connaissances.
Exemple
brevetabilité du vivant, brevet logiciel. Voir «rente ».
COMPÉTITIVITÉ : dans le
cadre de l'économie
de marché, capacité d'une entreprise à écraser ses concurrentes,
c'est-à-dire à
mettre leurs salariés au chômage et à miner leurs actionnaires. N'a
rien à
voir avec la science, qui ne cherche à écraser personne, sauf
lorsqu'elle est
utilisée pour fabriquer des armes de destruction massive. Mais
justement, dans
ce cas-là, on ne parle plus de marché ni de compétitivité...
DON :
associé invariablement à
legs, et utilisé au pluriel. Exprime le désengagement financier de
l'État dans
les domaines où il peut faire appel à la compassion ou aux sentiments
de solidarité
des citoyens. Par exemple, on ne quête pas de dons pour la recherche
sur les
armes nucléaires, mais plutôt pour celle qui concerne les maladies
rares que
l'État ne prend pas en charge.
DYNAMISER : mettre en
concurrence selon le
modèle commercial. Volonté d'organiser un pilotage de la recherche par
l'aval,
c'est-à-dire suivant un critère de rentabilité des applications. Voir
«rente».
ETABLISSEMENT : le
gouvernement tend à
vouloir le remplacer par Fondation. Souvent accolé à public, comme dans
établissement
public à caractère scientifique et technique (EPST). D'où la volonté
d'utiliser
un mot différent pour imposer le financement privé.
ETATS-UNIS : la
très grande partie
(environ 90%) des multinationales sont originaires des États-unis. Là
réside
l'origine du modèle de société donné en exemple. Apparaît presque
invariablement
dans les projets relatifs aux réformes de la recherche.
EXCELLENCE :
l'excellence d'un chercheur est
évaluée par le nombre de brevets et de licences qu'il dépose,
généralement
pour une entreprise avec laquelle il travaille en partenariat. Exprime
également l'idée d'exclusion : la recherche ne doit pas être une valeur
culturelle accessible partout, mais organisée de façon plus rentable en
pôles
d'excellence géographiques. Hors de ces pôles, point de recherche. Par
exemple:
réseaux d'excellence à l'échelle de l'Europe.
FONCTIONNAIRE : mot à
consonance péjorative
dans la vision libérale. Dans le cadre de la recherche publique,
statut professionnel
très mal rémunéré mais qui autorise une grande
liberté d'esprit et
donc la prise de risque scientifique. Voir « Néolibéralisme ».
HUMANITAIRE :
justification sociétale de
la recherche publique donnant lieu, à travers des partenariats, à des
aides
financières minimes aux pays du tiers-monde tout en maintenant un
contrôle sur leurs
potentialités. Voir «Afrique».
IMPATRIE :
travailleur immigré de haut niveau
de qualification, de statut précaire et de salaire au rabais. Opposé à
expatrié,
il constitue le versant bénéficiaire de la fuite des cerveaux,
notamment dans
le cadre du pillage des pays pauvres Ce terme a été introduit en
Amérique du
Nord par les directeurs des ressources humaines des multinationales.
INNOVATION : aspect
rentable à court terme de
la recherche scientifique. Pour se convaincre que l'innovation ne se
substitue
pas à la recherche, pensez que ce n'est pas en améliorant la bougie
qu'on a
inventé l'ampoule électrique. Voir «rente».
LOBBY : mot
anglais, signifiant groupe de
pression. Des pressions de toutes sortes, mais généralement en faveur d'intérêts privés, s exercent ainsi sur les
partis
politiques, les élus, les membres du gouvernement et de nombreux
délégués
syndicaux au niveau national. Exemple de groupe de pression: France-Biotech, qui a constitué l'autoproclamé
Conseil
Stratégique de l'Innovation. Le harcèlement moral, le chantage au
financement
et la perversion du langage en sont les conséquences les plus visibles.
MANAGEMENT : mot
anglais équivalent de gestion
en français. Après avoir envahi les écoles de commerce, il cherche à
s'imposer
dans la recherche pour la rendre rentable à court terme. Sans grand
succès, car
la logique de la découverte n'est pas celle des comptables. Voir c<
manager».
MANAGER : mot
anglais qualifiant celui qui
fait du management. Incompatible avec la direction scientifique d'un
laboratoire ou d'une université où les travailleurs de terrain sont
souvent
plus compétents que leur hiérarchie dans leur domaine propre de
recherche.
MOBILITÉ : précarité
avec une connotation
culpabilisante pour le salarié : êtes-vous réellement mobile? Suggère
que vous
êtes immobile si vous tentez de refuser la précarisation de votre
emploi.
MODERNISATION :
manière d'imposer à la
science de ne travailler que pour le commerce. Exemple : projet de
modernisation des universités.
NÉOLIBÉRALISME :
idéologie postulant la
prééminence des firmes privées multinationales, notamment financières,
et de la
déréglementation des marchés, sur toutes les autres politiques
économiques et
sociales. Il exprime un projet de société s'appuyant sur le
désengagement de
l'État de ses missions concernant les besoins sociaux et culturels de
la
population. Capable de conduire à des interrogations aussi ridicules
que z
rentabilité économique de la générosité? de
l'amour? de l'éducation? de la culture? de la
poésie? de la recherche
publique civile?
PARTENARIAT : le
partenaire idéal
est une grande société privée. Ce teiTrie
suggère
l'égalité des rôles entre les partenaires z organismes de recherche et
entreprises. Il masque ainsi la subordination de la recherche à
l'entreprise,
issue d'une dépendance financière. Cette dépendance est due au
désengagement de
l'État. Suggère que vous êtes isolé : avez-vous des partenaires? Voir
«dynamiser».
PRIVATISATION : notamment
des services
publics : éducation, santé... Un des moyens utilisés pour conduire au désengage-ment de l'État et à la mise à l'écart
des besoins
sociaux.
PROFESSIONNALISME :
contient une dimension culpabilisante faites-vous preuve de
professionnalisme
dans votre travail de recherche? Traduit la volonté d'assujettir les
chercheurs
aux grandes entreprises, généralement multinationales, et suggère que
vous n
êtes pas un professionnel de la recherche Si vous tentez de vous
affranchir de
cette sujétion. Voir «dynamiser» et «mobilité».
PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE : terme flou
englobant droits d'auteur, droits des marques, brevets, copyright,
etc.
Suggère que les idées peuvent (et doivent) être protégées par une
appropriation
privée, comme les biens matériels, et nie implicitement cette
différence
essentielle entre idées et biens z le partage des idées est possible
sans
appauvrissement d'aucune des parties. Voir « brevet».
PUBLIOUE :
appliqué au mot recherche,
signifie que les découvertes sont publiées et que leurs bénéfices
reviennent
au public qui les finance.
RENTE :
mot tabou, exprimant le fait de toucher de
l'argent sans travailler, par exemple à l'aide de brevets, de licences,
ou de
participations financières. Voir «brevet».
RETARD : de la
France, de l'Europe,
etc., invariablement par rapport aux États-Unis. Suggère toujours
l'évolution
inévitable de la société vers plus de privatisations. On ne dit jamais
par
exemple que les États-Unis sont en retard sur la Suède et la France en
matière
de protection sociale. Voir «États-Unis».
SOUPLESSE : appliquée
à l'emploi, exprime la
précarisation. Suggère également que vous faites preuve de raideur Si
vous
tentez de refuser la précarisation de votre emploi. Voir «mobilité».
STATUT : ... de la
fonction publique. Le mot
fonctionnaire étant devenu tabou, car difficile à concilier avec les
intérêts
privés, il n'apparaît plus dans les projets, tel celui des universités.
On
avance alors la nécessité de changer le statut des chercheurs. Voir
«dynamiser»
et «mobilité».
STRATÉGIOUE : terme
d'inspiration
militaire et qui tend à suggérer la détermination des inspirateurs des
projets
de société néolibéraux. Sous-entend une organisation forte, sans faille
et
implacable. Par exemple: Conseil Stratégique de l'innovation (CSI>;
plan
stratégique 2003-2007.
SYNERGIE : dans le
contexte du partenariat
entre la recherche publique et les grandes entreprises multinationales,
exprime
l'idée de réduction des domaines de recherche aux besoins du marché.
Voir
«dynamiser» et «partenariat».
VALORISATION :
actuellement, la
valeur suggérée est uniquement financière, de préférence sous la forme
d'une
rente à court terme provenant de brevets ou licences. Suggère
simultanément
que la production de connaissances nouvelles (recherche fondamentale)
n'a
aucune valeur en soi.
Mayenne, le 16 mars 2004.