CHRISTIAN DE MONTLIBERT
Savoir à
vendre
L’enseignement supérieur
et la recherche en danger
Éditions
RAISONS D'AGIR
27, rue Jacob,
75006 Paris
© ÉDITIONS
RAISONS D'AGIR, novembre 2004
TABLE
DES MATIÈRES
*1. Introduction
*2. La fiction politique de
«l'économie de la connaissance »
2.1 La subordination du champ
intellectuel et culturel aux logiques marchandes.
2.2 Un lobbying efficace.
*3. Changer L’Université
3.1 Le modèle des écoles de
gestion.
3.2 Le management à l’université.
3.3 Les nouvelles technologies
de information et de la communication.
3.4 L’adaptation aux « besoins
en formation des entreprises.
3.5 La régionalisation.
3.6 Le mythe de l’agent rationnel :
la production et la diffusion de la connaissance en
question.
3.7 Les réformes ou la
reproduction sociale retrouvée.
4. La rechernche en danger
*5. Conclusion
*6. Notes
« La position des producteurs
culturels les plus autonomes,
peu à peu dépossédés de leurs moyens de
production et
surtout de diffusion,n'a
sans doute jamais été aussi
menacée et aussi
faible, mais jamais aussi
rare, utile et précieuse. »
P. Bourdieu (1)
1
Introduction
L'enseignement supérieur français va mal. Le mouvement
des chercheurs, les grèves des universitaires, les manifestations des
étudiants en sont les indices les plus visibles. L’Université est d'abord
menacée par le manque de moyens la
France ne consacre à l'enseignement supérieur que 1 % de son PIB contre 1,7 %
en moyenne dans les pays de l'OCDE. Elle est aussi menacée par des mesures de
diversification prises en désordre qui aboutissent à une juxtaposition de
grandes universités et de petites (quand ce n'est de collèges universitaires)
ne bénéficiant d'aucune des infrastructures intellectuelles nécessaires à leur
fonctionnement. Elle souffre d'une pénurie qui maintient dans bon nombre de filières
et disciplines un sous-encadrement dont pâtissent les étudiants. Cette pénurie
conduit chez les enseignants à une diversité de statuts qui entraîne des
conflits d'intérêts et, parfois, un certain désinvestissement pédagogique. L'Université
est de plus en plus soumise aux pressions matérielles et intellectuelles d'un
système de contrats et de commandes d'études qui progressivement réduit
l'autonomie de la recherche. File pâtit des inégalités de répartition des
crédits qui font qu'un étudiant de classe préparatoire bénéficie
d'investissements cinq fois Supérieurs au coût d'un étudiant de DEUG en lettres
et sciences humaines, ce qui n'est pas pour rien dans l'impuissance de
l'Université, malgré l'augmentation du nombre des étudiants, à réduire les
inégalités d'accès à l'enseignement supérieur. Enfin, comment ne pas voir que,
dans ce contexte, le nombre d'abandons et de sorties sans diplôme reste élevé,
que le désintérêt est parfois manifeste, que les instances de représentation
des universitaires (enseignants et étudiants) tournent souvent à vide...
Face à cette situation, les réactions politiques sont nombreuses:
certains croient que l'Université est toujours dirigée par des mandarins moralisateurs
et rêvent d'abattre leur pouvoir, d'autres pensent qu'elle est trop «protégée»
et souhaitent qu'elle affronte les affres créatrices de la concurrence
sauvage; les uns envisagent une université payante, d'autres voudraient « se
défausser « de cette charge sur les régions, d'autres encore souhaitent que
soit mise en place une sélection plus rigoureuse ou, à l'inverse, réclament un
ascenseur social plus rapide, mais tous veulent obliger les universitaires à
s'adapter aux besoins de l'économie et, en un mot, à faire, enfin, du
«concret». Au chevet de cette université malade, on a donc convoqué les plus
grands experts qui ont bredouillé 3-5-8, H3M, stock-options, entrepreneuriat,
fondations, New Public Management, régionalisation, présidentialisme...
Tout cela a été examiné au niveau européen, au gouvernement, au sein des
groupes patronaux, et plusieurs projets de transformation souvent plus concurrents
que complémentaires ont été élaborés.
Quatre réformes de l'enseignement supérieur ont donc été
lancées ou le seront dans quelques mois : l'organisation des cycles Licence (3
ans), Master (5 ans), Doctorat (8 ans) ou LMD ; la mise en place du système
européen de transfert des crédits (ECTS), permettant aux étudiants d'accumuler
le nombre de points exigés pour obtenir tel ou tel diplôme la redéfinition des
activités des universitaires et la réorganisation du fonctionnement des universités
(qui serait précédée d'un audit externe) sur la base de rapports rédigés par
d'anciens présidents d'université (Belloc, Esperet). Cette réforme est inscrite
dans le projet de loi sur l'autonomie des universités qui vise à renforcer le
pouvoir des présidents, à permettre le rapprochement des centres de recherche
et des firmes privées et à régionaliser les réponses aux « besoins » de
formation. La recherche est, quant à elle, soumise à deux épreuves l'une
française, liée à une diminution des investissements pub1ics~ l'autre,
européenne, liée à une réforme « modernisatrice » des modalités de
fonctionnement. Ces réformes sont toutes guidées par deux principes : « la
modernisation passe par une meilleure gestion des ressources humaines » et «l a
modernisation exige que l'Université se rapproche de l'entreprise ». Cette c
modernisation», Si exigeante et tant souhaitée, est un des mots clés de la
rhétorique néo-libérale. Ce terme valorise les « réformes » des gouvernements
européens réclamées par l'OCDE, la Banque mondiale ou Wall Street, soit la privatisation,
l'introduction des assurances dans la sécurité sociale, la mise en place de
fonds de pension dans les régimes de retraite, le développement de la
flexibilité dans le travail, la réduction du droit du travail, la déréglementation
des échanges, etc. Ce mot s>impose comme un impératif rejetant dans
l'archaïsme et le dépassé tout ce qui s'y oppose. Il s'appuie sur une dimension
idéologique définissant la modernité comme changement, mobilité et mouvement.
S'il a été largement utilisé par toutes les composantes technocratiques ayant
exercé un pouvoir politique, il est aujourd'hui le vocable central des
orientations libérales. Il importe donc de mieux connaître
l'origine et les finalités affichées de ces réformes modernisatrices », de
s'interroger sur leurs effets possibles du point de vue corporatif (défense
des intérêts des enseignants-chercheurs), du point de vue des bénéficiaires de
l'enseignement (les étudiants), du point de vue enfin de la production de la
connaissance (recherche).
Schématiquement, on peut dire de ces quatre réformes
qu'elles sont structurées par une volonté de soumettre les universités à une
gestion managériale, d'organiser les enseignements et la recherche en fonction
des besoins du monde économique, de concevoir l'étudiant comme un entrepreneur
et de transformer les conditions nécessaires à la production de la connaissance
en mettant en question la primauté du savoir Le recul du gouvernement devant
les revendications des chercheurs, puis le report de la loi sur « l'autonomie
des universités » ne doivent pas faire illusion. Ce n'est pas pour autant -
engagements européens obligent - que les c réformes structurelles de
l'Université sont abandonnées. La nomination de François d'Aubert, membre du
Conseil Stratégique de l'innovation (regroupant deux associations actives pour
établir des partenariats entreprise-université, une association d'entreprises
de biotechnologies - Biotech - et une association d'entrepreneurs et de
juristes - Objectifs 2010), comme ministre délégué à la Recherche est un indice
de la détermination à poursuivre la réforme, comme l'est la reconduction de
l'équipe de conseillers techniques du précédent ministère de Claudie Haigneré
dans le cabinet du nouveau ministre. La nouvelle présentation de la loi sur
«l'autonomie des universités » préparée par L. Ferry pourrait S'appuyer sur le
rapport de Christian Blanc, remis en avril 2004, qui préconise de regrouper
chercheurs et universitaires dans de grands campus régionaux dirigés par un
président bénéficiant de pouvoirs accrus, et pourrait aussi bénéficier des
suggestions de la Fondation pour l'innovation politique présidée par Jérôme
Monod, proche, on le sait, du président de la République Jacques Chirac.
Enfin, il restera toujours à profiter de la mise en place de la LOLE (loi
organique portant loi de finances) pour augmenter considérablement le pouvoir
des présidents d'université.
Parce que le premier des objectifs de ces réformes est
budgétaire et vise à réduire le coût de l'enseignement supérieur, les
universitaires vont se trouver confrontés à des injonctions d'« efficacité » accrue,
de « mutualisation des ressources » et d'« économie d'échelle ». Cette politique
malthusienne a obligatoirement des effets sur la reproduction du corps: le
nombre d'enseignants du supérieur, une fois la réforme appliquée, devrait assez
rapidement se stabiliser Si ce n'est décroître
dans ces conditions, les recrutements des futurs enseignants-chercheurs
seraient plus rares (sachant combien sont difficiles les conditions d'existence
des doctorants - petits boulots, vacations, absence de droits sociaux, absence
de moyens de recherche -, on peut aisément imaginer la démoralisation et la
démobilisation qui s'ensuivraient). Cette volonté d '« optimiser la gestion des
ressources humaines '> aura aussi des conséquences qualitatives : la
restructuration des charges de travail au profit des activités d'encadrement
pédagogique (tutorat en ligne, gestion des cursus étudiant individualisés,
investissement dans les technologies de l'information et de la communication)
ne peut se faire qu'au détriment des activités de recherche. Enfin, la
réorganisation du fonctionnement des universités, qui doit nécessairement
accompagner l’augmentation de la productivité universitaire, passe par un
accroissement des pouvoirs du président de l'université qui deviendra un petit
« entrepreneur » c'en serait fini du
système actuel basé sur une (relative) égalité de condition et l'élection aux
tâches de responsabilité et d'évaluation. Il est vrai que, dans un monde où la
domination sociale se manifeste dans la hiérarchisation autoritaire des
titres, des fonctions et des promotions, l'utopie de la démocratie
universitaire2 est une aberration !
Parce que le deuxième objectif de ces réformes est de
faire en sorte que la fiction néo-libéral devienne la réalité du monde, les
étudiants seront censés choisir les alternatives les plus rationnelles en
composant eux-mêmes leur parcours de formation dans un système d'information
présentant de manière transparente le rapport qualité/prix de chaque cursus. En
croyant réaliser au mieux leurs potentialités dans un univers d'emplois
totalement ouvert, ils seront plus qu'aujourd'hui ajustés à la division sociale
du travail en fonction de leur trajectoire sociale. Les diplômes nationaux
disparaissant dans les ECTS, et sachant les rapports de domination culturelle
existant entre pays, il y a de fortes probabilités que les pays dominants
soient les mieux placés pour offrir les formations les plus ajustées. Certaines
écoles et quelques filières d universités d'excellence ont toutes les chances
de former aux fonctions de «l'international»; ainsi, les autres universités
formeront les cadres polyvalents subordonnés aux premiers pour les marchés
nationaux. En somme, la sélection sociale nécessaire à la reproduction sociale
du champ du pouvoir ne peut que se trouver renforcée.
Enfin, parce que le troisième objectif de ces réformes
relève d'une marchandisation de l'enseignement et du développement de ce que B.
Belloc (ancien président de
Toulouse I, apôtre de la concurrence libérale et auteur
en 2003 d'un rapport sur la restructuration des services enseignants) appelle
les « cercles vertueux recherche -innovation - transfert - financement [...J
articulant recherche et industrie3», la production de la connaissance
ne peut que s'en trouver affectée. Que des universités soient amenées à entrer
en concurrence avec des sociétés privées spécialisées dans la vente de
programmes éducationnels » ou à louer les services de sociétés spécialisées
dans le e-learning pourrait pourtant avoir, contrairement aux apparences,
moins de conséquences que l'obligation d'aller à la recherche de contrats pour
financer ~es recherches, donc de développer des services de fund raising (démarchage
de financements), de recruter des chercheurs contractuels et de piloter la
recherche par les préoccupations, en aval, du développement de produits
l'histoire des sciences a bien montré qu'aucune découverte (en dehors de
nouveautés techniques) n'est issue du souci d'application. Cette logique guide
pourtant les réformes annoncées de l'organisation de la recherche. Comme pour
l'enseignement supérieur, les changements des modalités de financement et de
fonctionnement des organismes de recherche peuvent laisser craindre les
conséquences d'une logique entrepreneuriale (contractualisation des chercheurs,
partenariats plus étroits avec les entreprises) et des pratiques de management
(diminution des évaluations proprement scientifiques au profit de critères
liés à la valorisation commerciale des résultats) sur la logique de production
des connaissances.
Pour bien faire comprendre les dangers que courent
l'enseignement supérieur, la recherche et finalement la culture4, il
faut donc d'abord examiner la subordination du champ intellectuel aux logiques
marchandes (I), les effets du management à l'Université (II), et enfin la mise
en place d'une division du travail scientifique (III). Reste que ces réformes
ne sont pas toutes soutenues par les mêmes groupes sociaux: si les changements
proposés par la Commission européenne ont l'aval des adeptes du néolibéralisme,
les réformes qui visent à la réduction des coûts pour les finances publiques
sont plutôt défendues par les représentants du patronat, alors que le renforcement
du pouvoir des présidents d'université et la subordination de l'enseignement
supérieur aux « besoins de l'économie)> ont de plus fortes chances d'être
proposés par les intéressés et les membres des conseils régionaux. Enfin, à ces
prises de position il convient d'ajouter celle de l'élite de la recherche qui,
alliée aux dirigeants et anciens dirigeants des grands établissements, milite
en faveur de réformes structurelles destinées à promouvoir un système ouvert
sur l'international et très concurrentiel. Dans ces conditions, les mots qui
servent à légitimer les réformes, 4< modernisation », « autonomie », « ouverture»
ou « concurrence», reçoivent de l'un ou l'autre de ces groupes des
significations différentes qu'il importe de clarifier.
2
La fiction politique
de « l'économie
De la
connaissance »
2.1 LA SUBORDINATION DU CHAMP INTELLECTUEL ET CULTUREL
AUX LOGIQUES
MARCHANDES.
Depuis plus de trente ans, les traités, accords et autres
déclarations des chefs d'État européens cherchent à construire une Europe
libérale. Que ce soit avec les produits agricoles, les productions
industrielles, les assurances, les télécommunications ou l'énergie, tout doit
être organisé pour le marché, véritable hypostase parée de toutes les
vertus, et susceptible de résoudre tous les problèmes par le seul jeu de la
concurrence. L'enseignement supérieur ne pouvait rester à l'écart. « Rendre nos
universités compétitives sur le marché mondial de l'enseignement supérieur »,
comme le déclarait à ta presse, le 28 janvier 2003, Viviane Reding, la
commissaire européenne en charge de ces questions, est devenu le mot d'ordre
qui devrait mobiliser gouvernants, universitaires, étudiants et employeurs,
tous empressés de transformer chaque établissement universitaire en entreprise.
Si le marché se voit accorder une telle valeur, c'est que la croyance en sa
capacité autorégulatrice est largement partagée aujourd'hui au sein du champ
du pouvoir: la concurrence entre les producteurs (ici les universitaires) comme
entre les consommateurs (les employeurs et les étudiants et leurs familles)
réaliserait la loi (pour autant jamais démontrée) de l'offre et la demande. On
rêve donc d'employeurs faisant leurs emplettes de salariés (qui eux-mêmes,
étudiants et leurs familles, auraient choisi à partir d'une comparaison des
rapports qualité/prix le programme le plus adapté à leur intérêt) sur un marché
de la connaissance animé par les offres d'entreprises universitaires toutes
poussées par un esprit concurrentiel. Chacun repartirait satisfait puisque ce
système repose sur la croyance que seul le marché conduit à harmoniser les
intérêts particuliers des parties. Bien au-delà d'une organisation économique,
ce fétichisme du marché impose une conception de l'individu et un modèle des
rapports sociaux.
La volonté de soumettre à la logique de marché la production
de la connaissance et la reproduction de la force de travail qualifiée
(auxquelles contribuent les universités et les centres de recherche) est encore
démultipliée par les effets qu'entraîne la constitution de «multinationales. com,
» spécialisées dans la production et la diffusion des « biens
culturels » Comme le disait Jean-Marie Messier, alors patron de Vivendi
Universal : « Notre stratégie qui s'inscrit dans la durée n'a pas varié. Depuis
1996, elle repose sur la convergence entre les matières de contenu (musique,
cinéma, jeux, éducation) et leurs moyens de distribution (satellite, câble,
téléphone mobile, Internet.. .)5. » De fait, en 1999, le géant des médias Time
Warner s'est allié au premier fournisseur mondial d'accès à Internet, AOL
(America on Line), et Vivendi, qui contrôlait déjà Canal Plus (production
cinématographique et télévisuelle) et Havas (donc nombre d’éditeur), se
rapprochait des sociétés de moyen de diffusion (téléphonie, Internet . . .)
comme Voldafone et Cegetel, puis étendait son emprise sur l’édition de livres scolaires,
les retransmissions de rencontres sportives, l'édition musicale (Universal
Music), la création cinématographique (achat de Dreamworks, le studio de Steven
Spielberg). Le cumul de ces activités de production, d'exploitation et de diffusion
entraîne une démultiplication sans limites de la volonté de profit6:
la culture est à vendre, toute la culture doit être rentable. La
commercialisation étant l'objectif premier de ces sociétés, les avis et
décisions de ceux qui détiennent le pouvoir de commercialiser sont donc sans
appel : Si les librairies enregistrent sur leurs ordinateurs les titres des «
meilleures ventes du jour », c'est bien pour déterminer une politique
commerciale adaptée aux demandes» des lecteurs qui ne peut pas ne pas avoir de
conséquences en amont sur la production des livres7. Si la culture
déposée, matérialisée dans des oeuvres est depuis bien longtemps un objet de
commerce et de spéculation, sa marchandisation n'en restait pas moins
artisanale : elle demeurait une pratique d'individus ou de familles. Les
stratégies organisées de ces entreprises marchandes ont transformé la
situation, mais pour réussir leur opération il leur a d'abord fallu écarter ou
réduire les interventions étatiques. Dans ces conditions, l'utopie de la « culture
populaire » doit disparaître : il faut maintenant que la culture se transforme
en « produits culturels » ou, au moins, cesse d'être financée par des
investissements d'ttat8. Rien ne le montre mieux que la progression
des négociations de l'AGCS (Accord général sur le commerce et les services) qui
envisage sereinement un avenir permettant de rentabiliser les jardins, les
parcs naturels, bibliothèques, le théâtre. Il faut dire, premièrement, que
l'État est très engagé dans un processus de démantèlement du système culturel:
la Réunion des musées nationaux (RMN), organisme qui régule l'activité des
musées d'État et facilite la péréquation financière, voit ses dotations et son
influence réduites avec l'autonomisation budgétaire des établissements les plus
prestigieux et les plus rentables, ce qui interdit d'interroger les effets
d'une telle pratique sur les musées ayant une moindre attractivité. Cette
volonté de rentabilisation de la culture affecte aussi les activités des
conservateurs, qui sont obligés d'abandonner le travail de recherche sur les
artistes et leurs oeuvres pour un travail commercial9. Deuxièmement,
le transfert de compétences aux régions pourrait bien conduire à des inégalités
régionales ou à des variations rapides, en fonction des majorités politiques,
des investissements culturels, sans parler du discrédit toujours possible de
certains artistes plus ou moins « dérangeants ». Troisièmement, le contrôle des
sociétés privées sur la production artistique amplifie les transformations de
l'organisation culturelle. Les concentrations dans l'édition de musique
entraînent des compressions de catalogue (et l'éviction des artistes ou des
oeuvres moins « vendables ») et des transformations des contenus et des
interprétations musicales pour plaire au plus grand nombre. L'organisation de
la production cinématographique par les majors américaines est un autre
exemple de cette emprise du marché : elles ciblent un segment du marché et
créent un genre adapté aux goûts qu'elles ont contribué à façonner; elles
procèdent par des « études de motivation» pour connaître les sujets qui
accrochent le plus, testent différentes scènes auprès d'échantillons de public
pour retenir le montage le plus efficace, corrigeant le scénario au fur et à
mesure des réactions; enfin, grâce à une association, la MPAA (Motion Pictures
Association of America), elles défendent leurs intérêts et savent « booster» le
film par une campagne de propagande1 ~.
Pour compléter ce tableau succinct d'une marchandisation
de la culture, il faut aussi évoquer les sociétés de production audiovisuelle
qui, en exploitant un personnel d'intermittents du spectacle et d'artistes et
de techniciens étrangers payés à l'heure, imposent au public de la télévision,
en même temps que leurs jeux, leurs reality shows et leurs séries
romancées transposant dans le monde d'aujourd'hui les thématiques et les
personnages les plus classiques de la littérature populaire des romans-photos
de « Nous Deux », ou des histoires de Delly ou de Barbara
Cartland, des modèles de comportement et des formes d'esthétisation qui
finissent par structurer d'autres pratiques culturelles. Dans ces conditions,
le champ culturel risque fort d'être de plus en plus assujetti aux principes du
marché : proposer ce qui peut plaire et le faire savoir à des publics bien
ciblés par des campagnes de publicité jouant sur les distinctions culturelles,
puis corriger les choix initiaux en fonction des sanctions du marché.
Dès lors, l'enseignement supérieur qui concentre tant de
clients doit être non seulement amené à utiliser les produits de ces firmes,
mais aussi, et surtout, transformé pour ne pas freiner et même bloquer la mise
en place de mesures économiques et sociales susceptibles de faciliter la vente
des « biens culturels ». La logique duale à l'oeuvre dans l'enseignement
supérieur, celle d'un accès du plus grand nombre à l'éducation gratuite et, de
façon générale, aux lieux de culture (bibliothèques, musées, médiathèques,
spectacles), et d'un « esprit» fait à la fois de tance aux oeuvres standardisées
destinées à la clientèle plus élargie possible et d'intérêt pour les oeuvres
plus géantes, s'oppose en tout au type de société nécessaire à vente. On
comprend que les dirigeants des multinationales culturels en aient demandé la
transformation. Cette menace doit d'autant plus être prise au sérieux qu elle
est implicitement relayée par les prises de position de certains producteurs
culturels n'hésitant pas à nier toute possibilité d'objectivité dans la
connaissance au profit d'une posture, qui se veut toute postmoderne,
d'affirmation du primat de la conscience du sujet (quand ce n'est de sa
subjectivité). Cet «esprit du temps» antirationaliste11 favorise,
sans le vouloir explicitement, l'idéologie néo-libérale en mettant en avant,
contre toute prise en compte des structures sociales et des institutions,
l'individu et son imaginaire. Des intellectuels «désenchantés» de l'univers
culturel et politique après la disparition du marxisme sont devenus, par une
sorte de renversement spectaculaire, les thuriféraires inconditionnels de
l'individualisme. D'autres, moins liés par les exigences de leur statut
scientifique ou culturel, sont plus enclins à répondre aux sollicitations des
médias, hâtant ainsi la commercialisation de la culture. Cet « esprit du temps
» se trouve en outre accordé aux exigences de l'OMC (Organisation mondiale du
commerce) qui défend la thèse de la marchandisation de tous les services12.
Enfin, comment ne pas voir que nombre d'étudiants formés dans les écoles de
commerce et de gestion qui se sont multipliées depuis vingt ans, soutenues
qu'elles étaient par des institutions régionales plus portées à financer des
écoles à rentabilité immédiate qu'à réaliser des investissements culturels à
long terme, sont en quelque sorte d'autant plus
prêts à se retourner contre l'Université qu'ils savent
que leur formation y était peu considérée et qu'ils partagent des
représentations du monde totalement opposées.
Ces processus ont déjà transformé les conditions économiques
et sociales qui permettent un fonctionnement autonome du champ intellectuel.
Ainsi, I accentuation de la dépendance affecte déjà les producteurs
littéraires, surtout s'ils oeuvrent pour les médias et groupes de communication,
les artistes13, surtout lorsque leur pratique est plus liée au
marché, et les scientifiques, obligés d'utiliser des moyens de recherche
importants, donc onéreux, et, par là, de se soumettre aux contraintes du
travail collectif, programmé et contrôlé qu% peuvent élaborer conjointement
des administrateurs d'Etat et des représentants d'entreprises privées
participant au financement. L'Université connaît, elle aussi, les effets de ces
luttes mais de façon différente selon les disciplines. Elle se trouve ainsi
dévaluée par des stratégies d'agents issus de groupes sociaux dominants qui
lui préfèrent les écoles spécialisées privées, contrôlée par une administration
de la science et de la culture qui n'entend pas céder son pouvoir, programmée
par un système de financement, ou encore évaluée par des instances qui copient
l'audit à la mode dans les entreprises. Cet ensemble de menaces plus ou moins
déstabilisatrices voit sa force démultipliée par les stratégies des groupes
économiques qui profitent de la réorganisation de l'enseignement supérieur en
Europe pour imposer leurs points de vue. Comprendre les effets des innovations
proposées nécessite de chercher en quoi l'enseignement « en ligne », la
prise en compte des «compétences », le curriculum vitæ européen, la
mise au point de « didacticiels », l'obtention des diplômes par accumulation de
points, etc., forment un système cohérent de «réformes». S'interroger sur les
raisons du consensus qui entoure ces chambardements conduit alors à voir que
cette unanimité cache en effet des raisons moins avouables.
2.2 UN LOBBYING EFFICACE.
Pour aller plus loin dans la compréhension de l'arrangement
de ces éléments, il faut revenir aux injonctions de Commission européenne, de
l'OMC et de l'OCDE au nom de la mondialisation, partagent et reprennent prises
de position de l'European Round Table (ERT)14.
Les uns comme les autres affirment qu'il faut transformer profondeur
l'enseignement supérieur (et, à la différence des périodes antérieures, ils ont
les moyens politiques l'obtenir) pour mettre en place un «marché» rentable
l'éducation. Gérard de Selys15 a montré que cette apparaît dans un
rapport de l'ERT dès 198916. Les industriels reprennent la même antienne que
chantaient déjà patrons français, vingt ans plus tôt: «Les enseignants n ont
qu'une compréhension insuffisante de l'environnement économique, des affaires,
de la notion de profit.» y ajoutent qu'il faut travailler à mettre au point des
didacticiels pour l'enseignement à distance qui permettra d'accroître les
ventes de machines (ordinateurs, imprimantes, etc.), de cédéroms et logiciels
qui rentabiliseront les droits d'auteurs détenus par les éditeurs. Dans ce même
ral'Porr3 on insiste sur la réduction des coûts de formation qu
entraînera la généralisation de ces procédés (moins d'enseignants du supérieur,
moins de bâtiments à entretenir, etc.) et sur «l'adaptation aux besoins» des
entreprises qui s ensuivra. Les souhaits et projets du patronat sont repris
dans un second rapport, en 1990, intitulé Èducation et formation à distance, remis comme le précédent à la Commission européenne
qui, comme pour le précédent, s'en inspirera et parfois le recopiera purement
et simplement. Ce rapport insiste sur l'enseignement à distance avec
ordinateur qui permettra de concevoir les cours dans un lieu central et de les
diffuser au niveau local (économie d’échelle) et surtout développe l’idée que « le
monde des affaires pourra devenir ‘utilisateur’
‘concepteur’ et ‘négociant’ des contenus enseignés ; lui seul, en
effet, est à même de rentabiliser le marché prometteur de la formation ».
En mai et en novembre 1991, la Commission européenne publie deux rapports
intitules Rapport sur enseignement
supérieur ouvert et à distance (SEC 91, 388 final) et Mémorandum sur l'apprentissage ouvert et a distance (COM 91, 388
final). On y apprend qu'« une Université ouverte est une entreprise
industrielle et l'Enseignement supérieur à distance est une industrie nouvelle.
Cette entreprise doit vendre ses produits sur le marché de l'enseignement que
régissent les lois de l'offre et de la demande », mais aussi que « la
concurrence entre les prestataires, en permettant d'améliorer les produits,
obligera les universités à rester ‘compétitives’, ‘ouvertes sur les réalités
économiques’, ‘sensibles au concret’ » - ne devront-elles pas tenir compte des
souhaits de leurs « clients »
En 1995, l'ERT, jugeant sans
doute que le dossier n'avance pas assez rapidement, rédige un nouveau rapport
intitulé Une éducation européenne: vers une société qui apprend La Commission,
fin 1995, reprend le rapport de l'ERT sous le titre Enseigner et apprendre,
vers la société cognitive17 et invite à s'intéresser à la production
de logiciels éducatifs. Ce rapport introduit la notion de compétences appelée
à remplacer celle de qualification certifiée par un diplôme. On retrouve ici
des notions et des représentations diffusées par les agents
qui ont milité développement de la formation continue dans les 1960 : « apprendre
à apprendre », « s'adapter en permanence à un monde en perpétuel changement »,
« prendre des risques», « être mobile », sortir d'une « université coupée du
concret » (enfermée dans une bureaucratie étroit, elle produirait « bachotage,
scolarocratie, refus des responsabilités, cloisonnement, inadaptation, refus de
changement »), structurer les enseignements à partir besoins» en formation,
développer un «savoir «la communication », « le travail en groupe», « la participation
» à « l'intérêt collectif qu'est l'entreprise18 ». Cette idéologie a
soutenu la mise en place d'un secteur éducatif, aujourd'hui étendu et largement
privatisé (la partie non solvable, les chômeurs par exemple, étant laissée à l’appareil
de formation publique). A ces notions vienne s'ajouter, dans le rapport de 1995
de la Commission européenne, l'instrumentalisation de l'enseignement (les naturants)
et la notion de compétence. En effet, le patronat n'a jamais vraiment
accepté la définition des fonctions des postes de travail à partir de
qualifications certifiées l'Éducation nationale, dans la mesure où ce pouvoir
échappe: les diplômes servent de référence dans conventions collectives et
seraient donc, indirectement, utiles aux syndicats; les échelles de salaire qui
s'ensuivent freineraient la flexibilité souhaitée. La valorisation de notion de
compétence mise en avant depuis une bonne dizaine d'années répond à la volonté
de permettre chaque entreprise de définir les compétences les plus pour elle
(comme elle l'entend, de façon adaptée à son contexte), et ainsi de s'opposer
au pouvoir de l'école.
En 1994, la Banque mondiale intervient à son tour insiste
sur la crise de financement de l'enseignement supérieur entraînée par une
hausse des coûts tributaire de l’accroissement du nombre d'étudiants. Aussi
conseilles-t-elle de « diversifier » les établissements en fonction de la
demande de sociale et de mettre en place des institutions n'oins coûteuses. Le
rapport de l'OCDE de 1996 est plus radical encore puisqu'il affirme que
l'apprentissage tout au long de la vie ne saurait se fonder sur la présence permanente
d'enseignants et qu il faudra bien reconnaître l’existence de « prestations
de services éducatifs ». En somme, l’éducation que les familles des classes
moyennes et supérieures sont prêtes à payer est un marché qui pourrait être
entable 51 certains pays ne s obstinaient a maintenir un service public d
enseignement Comment dans cette optique parvenir à contourner les législations
nationales? La solution est contenue dans I article 59 du traite de Rome et
bientôt dans les accords de I OMC 1 enseigne ment a distance est un service le
traite garantit la libre prestation des services, donc l'enseignement est un
marché. Toutefois, cette libéralisation du marché de l'enseignement ne peut
fonctionner que Si les législations nationales sont défaites. Pour ce faire,
on a invente le diplôme à points, première étape vers une carte d'accréditation
des «compétences» dont serait muni chaque étudiant. Petit à petit, la
Commission européenne voudrait que l'on reconnaisse les «compétences» (chacune
valant un certain nombre de points ou de crédits) acquises dans la pratique
(professionnelle, sociale, etc.), dans la participation à des programmes de
formation en entreprises définis par des formateurs de sociétés de services,
dans le suivi d'enseignements sur cédéroms accompagnés de didacticiels (vendus
par les éditeurs spécialisés) et dans les enseignements des écoles et
universités. Le 29 février 1996, dans le cadre du programme Leonardo da Vinci,
la Commission européenne a d'ailleurs lancé un appel d'offres pour étudier
comment « assurer à chacun une reconnaissance de compétences par un système
flexible et permanent d'accréditation des unités de connaissance qui
permettrait à conque de voir ses connaissances ou son savoir-faire sut une
carte de compétences personnelles». D'où l’idée d'un curriculum vitæ européen,
d'une banque de donner, permettant aux employeurs de recruter, et d'un Europass permettant d'établir un cadre européen unique pour
transparence des qualifications et des compétences.
Dès lors, les prises de position vont s'accélérer. En 1995,
l'UNESCO s'attaque à son tour à la «nécessaire restructuration
institutionnelle» de l'enseignement supérieur, y revenir en 1998 dans une
conférence mondiale. Le hait de voir l'enseignement supérieur se rapprocher
entreprises y est vivement exprimé. Dépassant le cadre l'éducation, l'UNESCO
insiste sur la réorganisation de recherche et invite à créer des synergies et
des transferts connaissances entre les laboratoires «gouvernementaux» la
recherche-développement et la recherche appliquée entreprises. En somme, les
universités sont pressées mettre en place des processus de changement pour «capter»
les ressources des entreprises comme les entreprises doivent changer pour
«capter» les recherches et chercheurs de l'enseignement supérieur. En 1998,
1999 et 2000, l'OCDE multiplie les rapports sur l'état de la recherche et de
l'enseignement supérieur. Dans La Recherche universitaire en transition (1998),
les experts de l'OCDE insistent sur la nécessité d'une administration offensive
de la recherche à même d'engranger des contrats » avec les entreprises et
d'adapter ses formations au marché de la recherche-développement. En 1999, ces
mêmes experts utilisent l'expression d'« entrepreneuriat universitaire » et
invitent les responsables d'unités de recherche à « prospecter les marchés »,
'à « manager leurs compétences ». D'ailleurs, les universités doivent devenir
compétitives pour proposer aux firmes mondiales qui font leur marché des
«compétences» au «meilleur rapport qualité/prix». En 2000, dans le rapport
intitulé Knowledge management and the Learning Society, les experts de
î'OCDE critiquent ouvertement les systèmes universitaires peu flexibles, peu
efficaces, trop lents à s'adapter aux changements presque inertes en matière
de transfert et de mise en pratique des connaissances acquises. Les sources des
résistances au changement proviennent, à leurs yeux, des systèmes de
fonctionnement universitaires organisés autour de directions collégiales, de
recherche de consensus et d'affirmation de valeurs universalistes. H faudrait,
disent-ils, transformer le fonctionnement des universités par la création
d'équipes de direction travaillant à réaliser des « plans stratégiques (le management par objectifs) en développant
une « culture d'entreprise».
Les experts de l'OCDE, de l'UNESCO et de la Banque mondiale
ont trouvé des appuis et des cautions au sein du monde universitaire lui-même.
Tout se passe comme Si les citations d'auteurs comme B. R. Clark19,
M. Gibbons20, H. Novotny21 ou P Scott apportaient une
sorte de légitimation savante aux manières de voir et de penser le monde de la
recherche et de l'enseignement universitaire partagé par les experts des
organismes internationaux. l'idée centrale de ces ouvrages est qu'autrefois
les universités, l'industrie, le savoir scientifique et les pratiques technologiques
étaient relativement indépendants (mode 1) alors qu'aujourd'hui (mode 2)
l'interdisciplinarité, la mobilité des savants et praticiens
réunis temporairement dans des équipes pour des
problèmes à résoudre, la primauté des intérêts économiques et sociaux
l'organisation du savoir l'emporteraient et réduiraient néant la prétention de
l'Université et de la recherche développer une autonomie institutionnelle. Pour
l'équipe de Gibbons, les impératifs de la concurrence internationale
réorganisent en profondeur les universités doivent se résoudre à accepter une
diversité de savoirs duite dans des organisations diverses soutenant l’économie22.
En somme, l'Université doit s'orienter vers «nouvelle culture de la
responsabilisation ». En 2001, auteurs reviennent sur l'avenir de
l'enseignement rieur en insistant sur les caractéristiques et les effets
sociétés postmodernes » dans lesquels seuls compteraient les recherches et les savoirs
orientés vers l'application. Terry Shinn a justement fait remarquer à propos
ces ouvrages qu'« on ne peut pas s'empêcher de se demander s'ils n'ouvrent pas
la voie - ou peut-être n'offrent pas une légitimité - à une vision néo-corporatiste
du monde23 ». Pierre Milos souligne, quant à lui, rhétorique
performative» de ces énoncés. Néanmoins tout se passe comme si la globalisation
financière et développement d'instances transnationales et supranationales
avaient accéléré la vitesse de propagation et amplifié la visibilité de ces
idées24. Progressivement, les ministre de l'Éducation et les
gouvernement des différents européens vont se laisser convaincre par cette
manière voir le monde et prendre des décisions pour qu devienne réalité, tant
il est vrai que la politique consiste faire en sorte que le monde devienne
conforme manières de voir et de parler du monde, ce qui oblige faire et défaire
des groupes dans leur action dans et sur monde pour faciliter la réalisation du
monde soi Pour le dire autrement, lorsque s'est développée une problématique
qui s'impose comme «théorie du monde», il devient possible pour peu que l'on
ait accès aux pouvoirs d’Etat, et a fortiori si l'on dispose de pouvoirs
sur des États concédés par les États eux-mêmes, d'organiser le monde pour qu’il
corresponde – autant que faire se peut – à cette vision du monde. Ainsi les
ministres de l’Education se rassemblent-il à Bologne les 18 et 19 juin 1999
puis à Prague le 7 juin 2003 et à Berlin les 18 et 19 septembre 2003 à
l'initiative d'une fondation largement financée par la Commission européenne
(DG Education). Les chefs d'État et de gouvernement décident quant à eux de
réorganiser l'enseignement supérieur et la recherche au Conseil européen de
Lisbonne le 24 mars 2000. Ce Conseil européen constatait que l'Union européenne
se trouvait face à « un formidable bouleversement induit par la mondialisation
et par les défis inhérents à une nouvelle économie fondée sur la connaissance»
et en appelait à un programme ambitieux en vue de moderniser les systèmes de
sécurité sociale et d'éducation s' devant être atteint au plus tard en 2010.
Cette ambition a du reste été précisée aux Conseils européens de Stockholm
(2001) puis de Barcelone (2002).
Tout un ensemble de groupements travaille déjà à préparer
la réalisation de cet avenir. On peut citer Faction de l'Association des universités
européennes, un lobby très puissant soutenu par l'Union européenne, ou encore
celle d'agences comme l'European Centre for State Management of Universities
(ESMU), le Heads of Universities Management and Administration Network in
Europe (HUMANE), le Deans European Academic Network (DEAN), l'Agence de
mutualisation des universités (AMU) dont la raison d'être est d'« aider» les
universités à s'adapter aux nouvelles données imposées par la « mondialisation
» - i. e. les contraintes de la globalisa financière - en leur proposant
des normes de gestion des procédures d'évaluation qui permettront d'améliorer
le fonctionnement et la performance des universités, c’est-à-dire d'imposer une
rationalité instrumentale coupée fins culturelles. Présentes à Bruxelles, ces
associations très écoutées, comme la nouvelle théorie de la nance25 y
invite, et savent faire du lobbying efficace. Car, pour les politiques
comme pour les experts et cons qui les aident, ainsi que l'ont bien montré
Jean-Luc Meulemeester et Denis Rochat26, les systèmes d'enseignement
supérieur « ignorent les exigences de compétitivité », sont trop « rigides », «
se fondent exclusivement des accréditations formelles» (les diplômes) et non
sur compétences, sont trop éloignés des « besoins économiques », forment des
individus « peu imaginatifs, -entreprenants, peu responsables ». Plus
récemment, commissaire à l'éducation Viviane Reding déclare
« l'économie de la connaissance » va entraîner «mise à
jour des compétences et des qualifications de en plus souvent», que «le
développement du capital humain constitue une des priorités pour promouvoir
croissance» et réclame, parmi d'autres mesures, contribution plus importante du
secteur privé l'enseignement supérieur27».
Tout montre donc que la rencontre, entre 1985 et 1995,
travaux d'universitaires (sociologues adhérents à une vision « postmoderne » du
monde>, de patrons de multinationales et d'experts d'agences internationales
a permis de développer puis de renforcer une manière de voir le monde («
l’économie de la connaissance») transformée (au niveau États) en «doctrine»
dont le langage> les formules, les positions d'actions ont été structurés,
entre 2001 et aujourd’hui en projets de réforme de l'enseignement supérieur et de
la recherche. Les conférences des ministres de l'Éducation, des recteurs et
chanceliers des universités puis des présidents d'université ont entraîné des
« avancées » [sic] dans la mise en place de ce système. Se dessine
ainsi une étrange convergence entre le point de vue de l'OCDE et celui des
universitaires qui sont intervenus au « marché mondial de l'éducation» qui s'est
tenu à Vancouver en mai 200028 : dans cette utopie, le nombre
de professeurs diminuera, ceux-ci étant remplacés par des tuteurs (dont le coût
de rémunération sera moins élevé) veillant à la cohérence des parcours
individualisés et répondant aux questions des étudiants à distance tandis que
les producteurs de logiciels éducatif; et de cédéroms occuperont une place
centrale. Toutefois> comme il faut bien fournir en connaissances les
producteurs de logiciels éducatifs> il n'est pas question de mettre à bas le
secteur de la recherche, il suffit de séparer ces formations universitaires en
deux filières - le secteur professionnel et la recherche. Les étudiants, qui
ne seront plus seulement des «jeunes » puisque l'accréditation des compétences
se fera tout au long de leur vie> deviendront des clients. Le marché de
l'éducation pourra fonctionner et rejoindre la marchandisation de la culture.
Cette logique marchande ne va certes pas atteindre immédiatement
l'ensemble du système éducatif, et il faudra du temps pour transformer de fond
en comble l'enseignement supérieur, tant ses institutions, les pratiques de ses
agents et surtout les représentations du savoir sont résistantes. Cependant,
rien ne semble s'opposer à cette mutation, faute d'être maîtrisée par ceux qui
ont le plus partie liée avec la production et la diffusion de la culture
savante> car il faut bien se garder d'inférer de la modestie relative de la
diffusion des nouvelles technologies leur neutralité dans le processus en
Cours. Ce serait oublier le rôle d'entraînement d'une telle industrie (comme
cela a été le cas avec l’automation, qui pourtant n'a affecté que 20 à 30 % des
prises, mais modifie l'ensemble des systèmes de pro non). D'où il apparaît que
cette marchandisation l'enseignement supérieur, en transformant les conditions économiques
et sociales de diffusion de la culture, pour bien fragiliser la capacité de
production savante. Le libre choix des parcours d'accumulation de «compétences»
sera sur l'accès à un savoir transformé en « produit culturel » par la magie des technologies de
l'information et Communication. Cette idée commerciale impliquera ou tard de ne
proposer que des produits adaptés aux et besoins de la clientèle, ce qui
concrètement suppose études de marketing auprès des étudiants-clients et des
employeurs-utilisateurs (c'est déjà le cas avec les établissements privés
d'enseignement supérieur), des services communication développés pour assurer
la publicité promouvoir le succès dans les luttes entre établissements éditeurs
de cédéroms, des Consignes cyniques aux producteurs de cédéroms et didacticiels
pour qu'ils évitent ce déplaît et mettent en valeur ce qui attire.
Mais le plus pervers est peut-être que ces effets n'apparaîtront
vraiment que dans plusieurs années. La décision politique n'agit pleinement que
lorsque les modification structurelles latentes qu'elle accompagnait deviennent
manifestes et souvent irréversibles, et, comme entre-t de multiples discours
ont recouvert la décision tique de rationalisations et d'interprétations
diverses, n'apparaît plus pour ce qu'elle était: tout se passe comme si elle ne
devenait vraiment efficace qu'autant qu'elle perçue comme une réalité allant de
soi et non plus comme la mise en oeuvre d'un projet politique.
3
Changer L'Université
Dans la mesure où il occupe une place essentielle dans la
production et la reproduction du champ intellectuel, l'enseignement supérieur
ne pouvait espérer rester dans un havre de paix. La menace est ancienne: les
groupes dirigeants économiques ou politiques ont toujours voulu contrôler les
intellectuels ou, au moins, utiliser des artistes, des écrivains ou des savants
pour leur défense même s'ils ont toujours trouvé des obstacles à leur imperium:
que l'on pense à Stendhal ridiculisant les « industriels » qui affirmaient
que « la capacité industrielle est celle qui doit se trouver en première ligne;
elle est celle qui doit
juger la valeur de toutes les autres capacités, et ou à
ire travailler toutes pour son plus grand avantage29 », ou à cette
prise de position qui veut que, comme l’écrit Paul Bénichou, « si
intimidantes que soient les puissances qu’ils peuvent avoir à contrarier, [les
intellectuels] ne peuvent, sans se nuire à eux-mêmes, se borner à les servir
par des pensées accommodées à leurs exigences30 ».
A Partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, les
organisations patronales s'opposent à l'intervention de et réclament une
formation adaptée à leurs besoins.
Dès 1950, les revues patronales insistent sur cette exigence,
ce qu'à leurs yeux ne saurait guère faire I public d'enseignement « trop
éloigné de la réalité critique d'une école toujours plus autonome et, plus à
même d'engendrer un « désir d'égalitarisme » (forcément suspect aux yeux des
défenseurs d'une con hiérarchique des postes de travail) qu'un « esprit de compétitivité
» (forcément positif aux yeux des apologistes du libéralisme) est
systématiquement avancée dari colloques, congrès ou publications. L’imputation des
retards de l'économie et même des difficultés d'en l'inadéquation entre l'«
offre» des systèmes d'enseignement et les « besoins » de l'économie est une an
largement reprise. Dans les années 1970, le CNPF ne se contente plus de traiter
de l'apprentissage mais s’intéresse aussi à l'Université. Il consacre ses
assises de Deauville à «la place future de l'Université qui dépendra strictement
de son attitude vis-à-vis du monde économique d'ajouter que « c'était à
l'entreprise de l'aider à faire le système de valeurs propres à la société
industrielle s'en prenant aux « professeurs d'université champions des études
désintéressées ». Tant que les États mettaient centre de leur action des
politiques économiques de emploi d'inspiration keynésienne, et surtout tant
organisaient la vie sociale par des services publics dus, ces prétentions
n'avaient que des effets limités. ces idées, largement partagées par le
patronat des pays européens, sont aujourd'hui reprises par la ronde des
industriels européens – communément appelé l'ERT (European Round Table, voir
note 16)-, qui a réussi à les faire admettre par la Commission européenne, et
sont aussi largement partagées et diffusées par organismes comme l'OCDE ou
l'UNESCO dès lors, les effets des prises
de position des dirigeants économiques deviennent bien plus puissants.
Cette volonté de contrôle de la reproduction du champ intellectuel
qu'assure l'enseignement supérieur et, plus largement, de la reproduction de
l'espace des cadres et des professions diplômées
balisé par l'enseignement supérieur prennent, il est vrai, des formes diverses.
En effet, la volonté de mettre l'Université au service des entreprises n'est
jamais présentée comme telle: la réécriture politique et pédagogique des
projets de réforme conduit toujours à mettre en avant des expressions plus
chargées de valeurs positives. L'examen de l'ensemble des prises de position
des organismes patronaux (Table ronde des entrepreneurs, Union des patronats
européens), des organisations économiques internationales (OCDE, Banque
mondiale) et des institutions politiques (Conseil européen, Commission des
Communautés européennes) montre que les demandes intéressées des
entreprises de mettre en place un «marché » de l'enseignement supérieur et une
division rationalisée du travail de recherche à leur profit sont
progressivement camouflées. Elles sont affectées par des processus
d'euphémisation qui atténuent l'expression de leur utilitarisme. Tout se passe
comme si, au fur et à mesure que les prises de position politiques et pédagogiques
s'imposaient sur les exigences des entreprises, une sorte d'idéalisation était
à l'oeuvre. Cette dynamique qui ne peut pourtant pas être réduite à une
mystification volontairement organisée est nécessaire et consubstantielle à
l'élargissement du cercle des agents et des institutions impliqués. Pour le
dire autrement : sans cette transformation idéologique, on ne pourrait pas
obtenir leur participation qui demeure indispensable. La communication de la
Commission des Communautés européennes consacrée à l'efficacité
des investissements dans l'éducation et la formation est un bon exemple de
l'aboutissement mécanismes de transposition et de mise à distance successifs31.
Ce rapport se réfère à la « stratégie de Lisbonne » qui vise à établir la
«société de la connaissance affirme que « l'Union européenne ne pourrait devenir
l'économie de la connaissance la plus avancée du que si l'éducation et la
formation fonctionnaient des facteurs de croissance économique, d'innovation
recherche, de compétitivité, d'emploi durable et d’inclusion sociale et de
citoyenneté active ». Mais, constat le rapport, « malgré l'augmentation
massive des effectifs et l'accroissement considérable des dépenses publiques
l'enseignement supérieur, le niveau actuel des investissements ne progresse
plus ». Comme la Commission Communautés européennes ne peut pas exiger des
membres qu'ils investissent plus qu'ils ne le font l'enseignement et la
recherche - néo-libéralisme obi il lui reste à promouvoir des solutions
organisationnelles visant à faire mieux en dépensant moins (la décentralisation
est présentée comme efficace et bien adaptée aux partenariats locaux
public-privé) et à susciter un finance privé en offrant aux entreprises des
contreparties (investissement dans les TIC, collaboration et transfert
connaissances entre recherche et firmes, recomposition des cursus autour des
compétences exigées par les prises, développement des qualités
entrepreneuriales).
Enfin, ces réformes doivent être replacées dans contexte
général de « validation de l'apprentissage informel et non formel » permettant
une réduction « du temps pour obtenir une qualification ou un certificat »
grâce à une organisation de « modules plus personnalisés mais aussi plus brefs
et mieux ciblés ». On a ici un exemple de l’aboutissement de cette logique de
substitution : dans le texte même, l’expression « société de la
connaissance » remplace « économie de la connaissance », comme si société
et économie étaient équivalentes. Le marché des TIC est présenté comme une «
modernisation », la réduction des dépenses d'enseignement supérieur réclamée
depuis des années par les patronats européens devient une « rationalisation
durable de l'investissement éducatif », etc. Mais surtout on voit bien que la politique
de réduction des investissements étatiques continue : l'enseignement supérieur
demande des financements accrus qui ne pourront être obtenus, répète-t-on,
qu'avec une participation des intéressés et du secteur privé qui saura
rentabiliser ce nouveau marché. Cette rhétorique, dont on peut se demander Si
elle ne vise pas plus à produire l'avenir qu'à l'analyser, cache mal les effets
et conséquences de l'introduction dans l'Université des logiques de management,
des nouvelles technologies de l'information et de la communication, de
l'adaptation aux « besoins » des entreprises, de la régionalisation et enfin de
la conception de l'étudiant pensé comme acteur rationnel, entrepreneur de sa
formation. Il est vrai que ces orientations ne sont que l'aspect le plus
visible de tendances structurales déjà à l'oeuvre dans les universités, et
dont la transformation des écoles de commerce et de gestion est l'exemple le
plus caractéristique.
3.1 LE MODÈLE DES ÉCOLES DE GESTION.
Les injonctions adressées à l'Université pour qu
transforme ne se comprennent que si l'on prend en compte les modifications qui
affectent le universitaire depuis une trentaine d années avec, un premier
temps, le développement des écoles de commerce et de gestion et, dans un second
temps, concurrence avec les business school étasuniennes «marché
européen de la formation du management », les grandes écoles françaises et
finalement les universités. Ces modifications de l'espace social de
l'enseignement supérieur ont ainsi propulsé au premier rang des écoles autrefois
peu cotées, au point aujourd'hui de proposer organisation et leur
fonctionnement comme modèle32. Tout s'est passé comme si la
généralisation du mode de reproduction à composante scolaire avait intensifié
la compétition et obligé, en quelque sorte, les familles mieux dotées en
capital économique qu'en capital culturel (le plus à même de permettre la plus
haute réussite scolaire de leurs enfants) à des surinvestissements éducatifs
auxquels les écoles de commerce et de gestion apportaient des réponses. Ainsi,
la multiplication des école commerce (225 en 2002), des filières IAE dans les universités
(30 en 2002), des « grandes écoles » de gestion (28), des filières menant
à des DESS de gestion dans. universités, répond largement à cette demande alors
l'augmentation du nombre d'étudiants témoigne de efficacité : ces écoles et
filières accueillent en 2002 près 75 000 étudiants dont approximativement un
quart formation continue. Cependant, cette réponse des de gestion aux demandes
des familles mieux dotées capital économique qu'en capital culturel (ce dont
les sociales des étudiants des écoles de commerce témoignent bien, puisque
c'est en économie et dans la rubrique « autres enseignements » où sont
classées les écoles de gestion reconnues par l'État que les enfants de commerçants
sont les plus nombreux33) n'a pu tant se développer que parce
qu'elle rencontrait, en même temps, les demandes de formation qu'entraînaient
les modifications de la division du travail. La croissance, depuis 1970, des
métiers liés à la gestion, aux activités de vente, à l'organisation du travail,
montre bien l'importance que les entreprises attachent de plus en plus à ces
fonctions. La multiplication des revues de gestion, dans le monde des
entreprises anglo-saxonnes d'abord, puis en France, est un autre indice de cet
intérêt croissant pour le management: une quinzaine de revues en langue
anglaise et moins d'une dizaine en langue française sont le plus souvent citées
et, pour certaines, ont été créées dans les trente dernières années34.
Il faut dire que la Fondation pour l'enseignement de la gestion des entreprises
a beaucoup contribué à la diffusion de ces pratiques et représentations35.
Si, vers 1960, le Commissariat général à la productivité
et le Commissariat au plan s'inquiétaient d'un manque d'ingénieurs et de
techniciens (la formation continue mise en place par le gouvernement de Michel
Debré devait permettre une augmentation rapide de ces spécialistes technico-scientifiques),
à partir de 1975 le discours dominant réclame une formation en gestion. L’écart
entre un management rationnel des ressources humaines (identifié à la gestion
mise en place dans les entreprises étasuniennes) et l'inorganisation
managériale des entreprises françaises est de plus en plus considéré comme
dommageable à la productivité. La conversion au néo-libéralisme de nombre de
dirigeants des grandes entreprises, de dirigeants tiques et de nombreux hauts
fonctionnaires à la tête des administrations d'État, ainsi que la dérégulation
fin qui s'en est suivie n'ont fait que renforcer cette orientation managériale.
Lorsque le salariat devient la variable d’ajustement qui permet de jouer sur le
cours en Bours, on comprend
que la gestion optimale des ressources devienne l'objectif principal pour
produire plus au moindre coût. Selon la même logique, lorsque la déréglementation
et la dérégulation exacerbent la concurrence entre les firmes sur un marché
élargi, se développe valorisation accrue de la performance et de l'efficacité
la formation. Les effets de la rencontre de la demande des familles intéressées
par des écoles commerciales et souvent peu sélectives scolairement parlant et
demandes des entreprises croyant que leur salut' d'un management plus élaboré
se voient bien l'augmentation sensible chez les PDG les plus jeunes part des
élèves des écoles de commerce et de gestion : ainsi, au sein d'un ensemble de
911 PDG ou directeurs n en 2003, la part des diplômés d'une école d'ingénieurs passe
de 60 % chez les plus de 50 ans à 25 % chez les moins de 35 ans
alors que la part des diplômés d'une de management (commerce, économique,
gestion, business school) passe de 21 % chez les plus de 50 ans à
60 % les moins de 35 ans. Cette dynamique explique la réussite des écoles de
gestion et management: comme le remarquait déjà Pierre Bourdieu, « ces
institutions dominées au sein du champ scolaire ne peuvent affirmer leur contre
les institutions établies qu'en leur opposant les exigences de la
"vie" que la logique scolaire met entre parenthèses mais elles ne
peuvent acquérir la reconnaissance scolaire qu'à condition de se plier aux
exigences spécifiques du champs dans la sélection de leur public et
l'organisation fonctionnement, notamment en matière pédagogique36 ».
Dans ces conditions, les écoles de gestion ne
pouvaient obtenir la consécration qui leur manquait pour annuler
leur indignité originelle qu'en érigeant leur pratique comme modèle. Comme
l'Union européenne se faisait le propagandiste des modes de pensée
néo-libéraux, les écoles de gestion, parce qu'elles se différenciaient des autres
écoles et des universités par leur grand souci d'adaptation aux exigences de
l'entreprise, se sont trouvées portées au premier plan, ce dont témoignent de
nombreux indices.
Plus précisément, les relations intenses entre les
chercheurs en gestion et les dirigeants de l'économie favorisées par les « libéralisations
» prônées par la Commission européenne ont encouragé les travaux
«modernisateurs» de management et, en retour, le succès de leurs promoteurs37.
LE MODÈLE DES ÉCOLES DE GESTION :
Les écoles de gestion Font de la présence des étudiants
étrangers, tant souhaitée dans les rapports de la Commission européenne, le
critère principal de leur réussite (l'INSEA, l'IAE de Paris, l'ESCP... se
targuent d'un pourcentage élevé d'étudiants étrangers). Elles ont su très
rapidement, comme le souhaitait là encore le Commissariat à l'éducation de la
Commission européenne, créer des liens avec des organismes d'enseignement
européens et mondiaux: l’INSEAD ouvre des locaux à Singapour; HEC passe des
accords avec la London School of Economics, avec la Hong Kong University, avec
Wharton, les universités de Pékin et de Shanghai ; l'école de la chambre
de commerce de Nice-Côte d'Azur, le CERAM, crée des partenariats avec
l'université de Munich, l'Institut Bocconi de Milan, Cambridge et Newcastle;
l'ESSEC et l'université de Mannheim se voient féliciter par des membres des
gouvernements français et allemand pour leur association en vue de créer un « modèle
européen de management ».
Les écoles de commerce et de gestion associent les
entreprises à la définition de leurs orientations avant que les COS (comités d'orientation
stratégique) voulus par les projets de réforme des universités de la Commission
et l'OCDE ne soient mis en place : l'ESSEC et l'université de Mannheim
créent un conseil d'orientation, composé de « grands patrons » européens,
chargé de définir les de la recherche et de l'enseignement le CERAM pratique la
collaboration avec les représentants des firmes high-tech de Sophia-Antipolis ;
les écoles et filières universitaires de Marne-la-Vallée se présentent comme
des pionnières de la création de liens avec les entreprises. Ce rapprochera
avec les entreprises conduit d'ailleurs à développer de nouvelles structures de
financement à partir soit de « chaires d'entreprise», soit de prises en charge
de stages, soit de prises en charge d'enseignements par des intervenants
extérieurs (un tiers des enseignants des 44 % à Paris-Dauphine, les deux tiers
à Evry sont des salariés d'entreprises intervenant dans les formations), ou
bien à s'associer avec des entreprises pour vendre conseils et des expertises.
L’association avec les entrepris tant souhaitée par la Banque mondiale et
l'OCDE pour résoudre les problèmes de financement de la recherche universitaire,
est aussi mise en pratique par l'Ecole supérieure d'électricité (SUPELEC) par
exemple, qui crée une fondation, avec dotation en capital, supposée rapporter
dans quelques années des profits pour financer des recherches (le comité
exécutif de cette fondation est composé des représentants de firmes comme EDF,
A Schneider Electric, Schlumberger, etc.).
Ces écoles et filières universitaires de gestion n'ont
pas seulement mis en place des enseignements en angla elles ont surtout
développé un « esprit » apprécié des
entreprises. Un sondage IFOP des 23-28 juin 2003 montre que
seulement 4 % des chefs d’entreprise pensent que diplômes universitaires sont
adaptés à leurs besoins, et que le plus grand nombre craint le côté
« désordonné » et contestataire de l’Université pour, inversement,
apprécier presque unanimement la formation et l'esprit des écoles. Cet «esprit»
contribue à renforcer les investissements affectifs et intellectuels propres au
champ économique, pousse à consolider l’individualisme économique en valorisant
l’entrepreneuriat (création par un réseau d’un Observatoire des pratiques pédagogiques
en entreprenariat OPPE) aide à diffuser des schèmes de pensée naturalisant la «
création de valeurs pour l'actionnaire » dont on sait qu il est devenu le
dogme de la gestion néo-libérale, aide à créer des conditionnements et à
récompenser l'adhésion à la maximisation des profits38.
Enfin, les écoles et filières de management ont su entrer
dans une logique de certification propre à plaire aux entreprises et ainsi
répondre aux orientations de la Commission qui, depuis la Conférence de Berlin
en septembre 2003, réclamait des systèmes d'évaluation plus pertinents l'ESC de
Toulouse, par exemple, décroche le label européen de la Foundation for
Management Development (Equis) et le label américain de l'Association for
Advanced Collegiate Schools of Business; HEC obtient, en plus de ces deux
labels, celui de l'AMBA (Association des MBA). Ces labels permettent de
rivaliser avec les business school américaines sur les marchés les plus
lucratifs de la formation des cadres d'entreprise, en formation initiale comme
en formation continue.
Au même moment, la célèbre
école privée de la rue Saint-Guillaume à Paris, « Sciences-Po » multiplie ses
installations à Poiriers, Nancy, Dijon pour concurrencer sans doute les Instituts
universitaires de sciences politiques de Bordeaux, Reims, Strasbourg et Lyon,
et réforme ses programmes, n'hésitant pas à supprimer des enseignements
fondamentaux - pour élargir le spectre des
enseignements appliqués - ou à remplacer les logiques de progression par des
logiques de marché chaque étudiant choisit les cours qui l'intéressent le plus39.
Cette réforme pédagogique sert de modèle aux autres écoles qui cherchent à
rafler la mise que constituent les formations aux postes et fonctions de
pouvoir. Au même moment encore, l'université de Paris-Dauphine obtient un
statut dérogatoire d'université de technologie en sciences des organisations et
de la décision, qui lui permet d'établir, légalement, la sélection de ses
étudiants.
Dans les sciences de gestion, la consécration des productions
d'une recherche émane souvent d'agents « externes »milieu universitaire.
Mieux, la carrière universitaire,
renommée voire l'autorité vont souvent de pair avec réussite temporelle des
produits de la recherche et médiatisation40». Les universitaires qui
enseignent sont donc plus qu'ailleurs amenés à trouver des contrats et à «
vendre » les résultats de leurs recherches. Plus qu'ailleurs l'influence du
marché s'y fait sentir, en amont dans le choix des thèmes de recherche, et en
aval leur diffusion (ce qui n'est pas d'ailleurs sans influence sur les
caractéristiques sociales des enseignants qui, souvent que dans d'autres
filières, sont issus des c ries dirigeantes de l'entreprise ou des professions
libérales et exercent en sus de leur travail universitaire une activité de
consultant ou d'expert). En somme, pour « susciter cette croyance dans les
vertus du management, indispensable au bon fonctionnement de ce marché symbolique,
il a fallu commencer par remodeler - avec l'aide de Fondation Ford - les écoles
de commerce en business school, afin de constituer le management à
l'américaine comme un nouveau savoir, aussi hégémonique qu'étroitement imbriqué
dans les modèles nationaux de reproduction de l'élite des affaires41 ».
Ainsi se met en place une véritable hiérarchie des
enseignements qui accentue les inégalités entre filières et établissements. Une
filière de formation des managers des firmes internationales s'installe
progressivement, avec des écoles privées aux frais d'écolage élevés à même
d'assurer des séjours aux Etats Unis, en Grande Bretagne, au Japon en Allemagne
ou à Paris. Dans les différents pays européens, on trouve ainsi, à
côté d’universités retenues comme « pôles d’excellence » (capables de former des chercheurs et d’assurer
la reproduction du corps des universitaires), des filière disposant d une
palette limitée d’enseignements à même de former des cadres subordonnés et de
petits établissements hyper-spécialisés cherchant à s'ajuster (toujours -avec
retard étant donné l’inertie propre à tous les systèmes d’enseignement) aux
demandes des entreprises.
Ce sont bien ces processus à l’oeuvre dans le champ
universitaire que les reformes annoncées veulent institutionnaliser. Tout
laisse donc penser qu’elles renforceront la sélection sociale existant au sein
du système universitaire autour d écoles et de pôles d’excellence pour les
étudiants déjà munis d’un capital culturel et social, et autour de filières professionnalisées,
plus ou moins adaptées aux marchés locaux de l'emploi, pour les étudiants issus
des catégories populaires. L'enseignement supérieur n'en serait qu'un peu plus
morcelé mais retrouverait son efficacité, un moment brouillée, dans la
reproduction sociale des classes dominantes. Toutefois, pour atteindre cet
objectif, il importe de modifier le fonctionnement des universités.
3.2 LE MANAGEMENT À L'UNIVERSITÉ.
La gestion managériale des universités s'appuie de
nombreuses mesures organisationnelles: ainsi, logiciels créés sur le modèle des
entreprises privés ont déjà modifié en profondeur leur fonctionnements.
Efficacité », « contrôle », « évaluation », « projet
objectifs» : autant de mots du discours entrepreneurial transposés aux centres
de recherche et d'enseignement qui fonctionnaient jusqu'à maintenant sur d'autres
logiques - le temps de la cumulativité critique du savoir n'ayant rien à voir
avec le temps de la rentabilité d'une réalisation de projet. Rien ne montre
mieux cette pénétration de l'idéologie managériale que la réalisation des
«journaux» d'université. On y trouve clairement exprimée cette «culture
d'entreprise», forme valorisée car habilement masquée des processus
d'endoctrinement des salariés d'une firme, visant à l'intériorisation des
objectifs de productivité et à l'acceptation des formes organisées de
domination. Ces journaux cherchent à donner une belle image de l'Université,
sans rides et sans plis, qui n'a pas plus de rapport avec la réalité que les
icônes de la publicité n'en ont avec la réalité sociale. Le journal colporte
un mensonge officiel: «Tout va très bien. » Il n'est en rien un espace public
permettant un débat autour des conditions d'existence et des réalisations des
uns et des autres. On ne parle pas de la misère d'étudiants étrangers admis à
l'hôpital en état de délabrement physique à la suite d'une sous-alimentation,
des petits boulots que d'autres étudiants enchaînent, de l'angoisse devant la
précarité et l'échec universitaire. On n'y traite pas plus de conditions de
travail des secrétariats et des personnels ouvriers de l'Université. On ne
parle pas plus dans ce journal des conditions de travail des enseignants-chercheurs,
des réactions aux injonctions ministérielles, des problèmes liés à la
production d'une recherche. Le journal se tait sur les orientations qui sont
imposées aux universitaires bien qu'ils soient pourtant les mieux placés pour
dire ce que pourrait être le devenir de l'Université. L'université étant aussi
un centre de recherche, on ne peut que s'étonner que le journal n'ouvre pas
plus ses colonnes aux notes sur les recherches, les idées qui se débattent, les
savoirs qui s'élaborent. De fait, le journal copie les journaux d'entreprise,
il se veut le vecteur d'une culture d'entreprise », mais tout montre aussi que
l'université, lieu de confrontation de savoirs, de recherche et de vérité, se
perd en voulant « se vendre» elle renonce à être en voulant faire croire ce
qu'elle n'est pas.
Pour réussir des transformations inspirées du modèle des
écoles de gestion, il devient, on le comprend, urgent de renforcer les pouvoirs
du président d'université, trop limité par ses pairs (qui l'ont élu et devant
qui il est responsable). Il s'agit maintenant de lui donner plus de pouvoirs
en le rendant rééligible à un second mandat, ce qui avait été jusqu'alors
impossible pour éviter une dérive mandarinale, mais aussi de lui permettre
d'intervenir dans la gestion des personnels. Dans ces conditions, H peut être
utile, selon une logique bien connue, de remplacer les « universitaires à
l'ancienne » par des « intervenants » plus flexibles et plus réactifs. À titre
d'exemple, on citera un texte présenté au conseil d'administration de
l'université de Strasbourg qui annonce un audit pour permettre une meilleure
organisation des fonctions et, surtout, pour « repyramider » les
responsabilités et « mettre en place une procédure permanente d'entretiens
d'évaluation ». Le recours à des audits externes (rendus aisés depuis que
les grands cabinets d'audit créent groupes spécialisés dans l'audit des
services public - comme, par exemple, chez Cap Gemini, Ernst Young, Syntegra ou
Deloitte> et l'application aux service publics de critères élaborés pour la
gestion des entreprises privées (le benchmarking42 entre autres)
devraient contribuer. Pourtant, l'expérience devrait rendre prudent et inciter
les membres des conseils d'administration des universités à minimiser l'appel à
ce type pratiques en effet, les études sociologiques sur et le « consulting»
(fonctionnement et méthodologie du conseil en management, caractéristiques
sociales représentations du monde du travail des consultants) montrent que la
formation des consultants est adossée à une formation en sciences sociales. Actuellement
et le plus souvent, les consultants sont ingénieurs, des économistes, des
anciens de science politiques, des autodidactes. Dans ces conditions, on comprendra
qu'ils pratiquent une enquête très éloignée des règles méthodologiques de
l'enquête de science sociales. Quant à leurs propositions « elles relèvent plus
souvent de l'application quasi mécanique d' formalisés, de procédures, de
matrices et de schémas. La rationalité du consultant n'est pas une rationalité
substantielle fondée sur une connaissance approfondie la matière traitée, mais
une rationalité procédurale reprendre la formulation de Max Weber43 ».
UN EXEMPLE D'AUDIT DANS UN SERVICE
PUBLIC :
Les cabinets de conseil et d
audit ont non seulement réussi à s’assurer un marché dans les entreprises privées
mais aussi su étendre leur aire d’intervention aux ministères et établissements
publics. Selon le Syntec, regroupement des cabinets de conseil et d’audits (Les Echos du 3 février 2004) l'année
2002 a marqué l’entrée de l'administration dans le top 4 des secteurs « consommateurs
de conseil » derrière la banque,
l'industrie et les services. Ce marché est d'ailleurs évalué à 2 milliards de euros
de chiffre d’affaires annuel. Les cabinets de conseil et d'audit ont développé
différentes pratiques qui s'appuient toutes sur un usage de diagrammes et tableaux
que l’enquête permettra d utiliser Un bon exemple en est le BPR (Business
Process Reengineering) : la première phase se déroule en six étapes
qui vont consister à informer sur les objectifs stratégiques et opérationnels et
à désigner les collaborateurs recrutés au sein de l’administration « auditée »,
à mener des entretiens préparatoires, à identifier les « domaines
critiques des macroprocessus mis en oeuvre par l’établissement audité, à analyser
l’écart entre «la cible » (to be) et l’existant (as is), à identifier
les opportunités de reengineering, à rédiger enfin les fiches de
programmes. Cette démarche implique de constituer le « diagramme des champs de
forces », soit tes force résistantes qui s'opposent au projet (en
marron et rouge comme de bien entendu, sur les radicaux) sont cités les
syndicats les opposants, l’historique, le manque de confiance dans le
management, la lenteur des décisions, et à l’inverse les forces motrices qui
vont aider le projet (en vert et jaune comme il se doit sur les tableaux) sont
cités le « support management », l'implication de l’organisation, la méthodologie.
Cette phase débouche sur un plan d'action
pour « affaiblir les forces résistantes et renforcer les forces motrices. Ensuite, l’équipe d’audit peut déterminer sur
un « diagramme dit de Van Veitch » la « priorisation » [sic]
des actions (le diagramme combine quarre critères : l’impact qui
peut être positif ou négatif et, pour chaque alternative, prioritaire ou non prioritaire,
le coût qui peut être élevé ou faible et, pour chaque alternative, de
longue durée ou de courte durée ; chaque priorité ainsi définie peut être
« difficile à atteindre » et « plus ou moins visible ». Cette
analyse est replacée dans un contexte qui peut prendre quatre formes : le
succès (en vert), le défi (en jaune) ou la paralysie, la « vallée de la
mort » (en marron)... Ces pratiques d'évaluation, il faut le souligner, ne
relèvent pas seulement d'une confiance quasi illimitée dans la rationalité
d'une ingénierie sociale, mais aussi d'une sorte de ritualisation des « voies
de salut » contemporaines qui n'est pas sans évoquer la » prédication », « instruction
collective en matière de religion et d'éthique », et surtout la « cure
d'âme » qui, comme l'écrivait Weber, « trouve sa source dans l'oracle
et la consultation des magiciens ».
Étant donné ces pratiques et les conditions dans lesquelles
le recueil de l'information est opéré (brièveté de la mission, remplacement des
consultants), on craindre que l'apparence d'expertise
ne se substitue à expertise véritable reposant sur un savoir accumulé et à
distance. En outre, les consultants, vivant de la vente leur expertise auprès
des directions des entreprises, peuvent, faute d'un savoir spécifique,
qu'exploiter entretenir les modes du management (ainsi depuis 1970 se sont
succédé aux Etats-Unis d'abord, puis en Europe,
le Total Quality
Management, le Just in Time, le Business Process
Reengineeing, la Corporate Culture, l’Efficient Consumer Response,
l’Organizational Knowledge, l’Economic Value Added). Un
simple rappel des mots les utilisés par les
consultants eux-mêmes dans
les descriptions de leurs pratiques permet de comprendre l’influence
de ces représentations entrepreneuriales : « culture d'entreprise »,
« ouverture », « dynamique d’équipe », « équipe qui gagne »,
« intégration », « communication », « adaptation », «
collaboration », « performance », « compétence », « inadéquation
», « moderne », « archaïque », « carence »,
« éléments sain », éléments malades », « optimisation de la
gestion des ressources humaines » … On conviendra que ce langage prescriptif
d'un « savoir être » est aux antipodes des exigences universitaires44. De fait, ces mots font partie de « la
nouvelle vulgate planétaire [qui] s’appuie sur une série d'oppositions et d’équivalences
qui se soutiennent et se répondent (marche/Etat ; liberté/contrainte ; ouvert/fermé ; flexible/rigide ; dynamique/immobile ; futur/passé ;
nouveau/dépassé ; croissance/immobilisme ; individu/groupe ;
individualisme/collectivisme ; diversité/ uniformité ;
démocratique/totalitaire) pour dépeindre les transformations contemporaines des
sociétés avancées désengagement économique de l'État et renforcement de ses
composantes policières et pénales, dérégulation des flux financiers et désencadrement
du marché de l'emploi, réduction des protections sociales et célébration moralisatrice
de la responsabilité ‘individuelle’45 ».
Croire aux forces du marché pour harmoniser les intérêts
particuliers et assurer l'équilibre optimal oblige en effet à comparer sans
cesse des produits sous leur rapport qualité/prix. La qualité de l'information
évaluative devient donc un enjeu central. Aussi les cabinets d'audit se
voient-ils confier l'objectif de mettre en place de nouvelles procédures
d'évaluation seules susceptibles, aux yeux des défenseurs des vertus de la
concurrence, de Pousser à la compétitivité et à la productivité. Cette évaluation
est collective et individualisée. Collective, cil s'attache à chaque
établissement, chaque laboratoire recherche: la réunion de Berlin en 2003
invitait chaque État à mettre en place dès 2005 un dispositif de mesure de la
«qualité» universitaire passant par la publication des évaluations des
institutions. Individualisée, elle vise introduire de nouveaux modes de
«gestion du personnel », Sachant que le travail d'un chercheur est évalué
permanence par ses pairs, qui sont aussi ses lecteurs et concurrents,
l'insistance sur l'évaluation cache un< volonté de contrôle des
universitaires dont la produc et la carrière sont appréciées par des instances
(relativement) indépendantes du champ politique. Il s'agit de remplacer le
jugement des pairs par une instance de classement très inspirée par les
théories du management. Les effets négatifs des procédures d'évaluation telles
qu'elles sont définies par les représentations managériales sont pourtant bien
connus. L’exploitation des informations recueillies par la Direction de la
recherche et des études du ministère du Travail montre que l'entretien d'évaluation
est maintenant largement utilisé comme technique de management (57 % des
cadres, 60 % des professions intermédiaires, 50 % des employés et 31 % des ouvriers y sont régulièrement
soumis en 1994) et très souvent ressenti comme une violence symbolique, source
d'anxiété. Nombre de salariés supportent très mal de « devoir négocier ou
convaincre d'autres personnes » de la qualité de leur travail et de leurs
qualités personnelles46. De fait, dans l'entretien d'évaluation,
chacun doit savoir « négocier» et « se vendre ». Cette forme voilée de
domination conduit le plus souvent au surinvestissement des salariés et au
développement d'un hyper-contrôle de soi qui suscite des «relâchements»
paroxystiques47. En résumé, l'entretien d'évaluation, qui se veut
une forme moderne,
« personnaliste» même, d'humaniser le travail, impose de
nouvelles contraintes et, en mêlant travail et hors travail,
professionnalisation et savoir être, ajoute un « stress » supplémentaire
lié à l'incertitude de l'usage des informations livrées48. Ce type
de procédure s'avère incompatible avec les formes d'évaluation qui existent au
sein des universités. Il n'y a pas plus de raison d'imposer ces pratiques
anxiogènes aux personnels administratifs techniques et ouvriers dont les
activités sont Si liées au travail d'enseignement et de recherche.
3.3 LES NOUVELLES TECHNOLOGIES : DE L'INFORMATION
ET DE LA
COMMUNICATION.
Si l'évaluation et l'audit apparaissent comme le
préalable à tout changement d'envergure dans le fonctionnement des universités,
les TIC (technologies de l'information et de la communication) et plus
précisément le e-learning font partie
des instruments privilégié de la réforme pédagogique de l'enseignement
Supérieur49 telle que la voient les réformateurs Le Conseil européen
de Lisbonne a d ailleurs fait de la mise en place et de l’utilisation du e-learning
« un des objectifs concrets futurs des systèmes d'éducation ». Pour la Commission « l’efficacité des
systèmes éducatifs repose tout entière sur l’efficacité des approches
pédagogiques. Pour être efficace, l'introduction des technologies
d'information et de communication devra s'accompagner d'une réorganisation, profonde
des structures d'apprentissage ». Tout est dit, les TIC constituent une
pédagogie efficace, mais il faut transformer les systèmes éducatifs pour les
mettre en oeuvre et, tout d'abord, comme le demandaient les industriels dès les
années 1990, équiper en moyens techniques les établissements scolaires et
universitaires, faciliter la création d'entreprises de services à même de développer
des « contenus » et d'oeuvrer au développement d'« environnements
d'apprentissage », renforcer enfin l'établissement de « partenariats entre le
secteur public et privé de favoriser les échanges d'expérience, le transfert
technologie et une meilleure prise en compte des besoins en qualification des
entreprises ». Les moyens financiers très importants dégagés pour cette « modernisation »
sont un bon indice de l'importance qui lui est accord 10 % des budgets des
programmes Socrate, Leonardo da Vinci et Jeunesse sont consacrés aux TIC ;
les programmes ITS (Information Society Technologies) traitent des «outils et
contenus multimédia» ; le programme RTD soutient les expérimentations sur les
«nouveaux environnements d'apprentissage» ; les actions TEN-Telecom (service
transeuropéen), e-content (marché des contenus numériques) et go-Digital
(développement du e-learning dans les PME) abordent d'autres aspects
TIC; les fonds structurels (dont le FEDER et le FSE) visent à l'adaptation et à
la généralisation des meilleurs modèles d'usage des TIC ; la Banque européenne
d'investissements, enfin, soutient les projets d'innovation50 - tous
ces acronymes en imposent et laissent croire à des organismes puissants.
Comme le modèle managérial domine, les pratiques
développées sont censées s'inspirer du benchmarking (réduire l'écart
avec le meilleur exemple), faire appel à nouveaux systèmes d'évaluation,
associer les industries la communication, l'audiovisuel et l'édition, mener
études de « faisabilité». Cette logique devrait affecter non seulement
les activités des enseignants mais encore leur rémunération - aussi la
Commission européenne s’intéresse-t-elle aux « questions relatives à la
propriété intellectuelle et aux conditions de rémunération du travail des
auteurs... notamment dès lors que les enseignants et formateurs sont impliqués dans
la définition des contenus ». En somme, la Commission, ne pouvant s’impliquer
directement dans le développement des contenus et dans la mise en place de
sociétés de services, veut « créer les conditions propices à un marché durable»
qui devrait connaître, malgré des obstacles, « une forte croissance au cours
des prochaines années, constituant à la fois un défi et une opportunité pour
les systèmes éducatifs européens et les secteurs économiques concernés». En ce
sens, on peut dire que, « d'une façon générale, les NTIC s'inscrivent ainsi
dans un projet politique consistant à transformer l'école en un ‘grand marché’
qui, n'étant plus dépendant ni des capacités d'accueil locales, ni du nombre
d'enseignants, peut prendre une dimension industrielle51 ». Pour
montrer à quel point la marchandisation des pratiques universitaires est déjà
avancée, il suffit de citer l'accord existant entre la firme Microsoft et
l'Éducation nationale, le fonctionnement et le chiffre d'affaires d'Édufrance,
l'agence spécialisée dans la vente à l'étranger de cursus et de maîtrises
d'oeuvre (38 millions de francs en 2000), le récent accord entre le CNED et la
Conférence des présidents d'université pour créer un groupement d'intérêt
public à même de commercialiser des activités éducatives en France, ou encore
la multiplication dans des universités de services d'activité industrielle et
commerciale (SAIC). De même, en 2002-2003, des « formations en ligne» entrent
en service dans dix «Net-universités ». Les étudiants peuvent étudier chez eux
(quand ils veulent ou quand ils peuvent), devant leurs ordinateur, moyennant 2
000 euros d'inscription, gagnent ainsi des points (une fois le total fixé à
l'ave atteint, ils obtiennent le titre visé). La porte est ou~ la
privatisation diverses sociétés privées
commencent déjà à revendiquer, pour un prix moindre, l'autorisa de vendre leurs
cédéroms. Il faudrait ajouter à cette le développement par des sociétés privées
d'une c d'organisation du e-Learning dont elles cherchent la rentabilisation
dans les écoles et universités. Il est vrai que gouvernement n'est pas en reste
3 millions d'euros sont consacrés en 2003 et 2004 au financement d'entreprises
de multimédia éducatif; le ministère de l'Éducation nationale soutient aussi
deux groupements d'intérêt économique d'éditeurs pour diffuser des
dictionnaires et manuels scolaires en ligne; enfin, une enquête ministérielle a
été lancée sur les demandes de contenus et usages pédagogiques des technologies
de l'information pour aider les éditeurs à fabriquer des contenus numériques
pour l'éducation.
Cependant, la critique d'une stratégie globale de marchandisation
de l'enseignement grâce aux technologies nouvelles serait insuffisante si elle
ne tenait pas compte en même temps, de l'insistance sur la liberté de choix la
rationalité supposée de l'acteur ‘apprenant’ composant son parcours de
formation52 et sur les efforts nombre d'établissements pour adapter
les formations « besoins » des entreprises.
3.4 L’ADAPTATION AUX « BESOINS EN FORMATION » DES
ENTREPRISES.
La même rengaine économique est reprise depuis plus de
trente ans : «l ’Université doit s’adapter aux besoins de l'économie », «
l'Université doit s'ouvrir à l'Entreprise », « il faut rapprocher
l'Université et l'Entreprise », etc. On n’en finirait pas de reproduire les
déclarations de ce type. Ces discours suivis de propositions d'actions
conduisent à une impasse totale. En effet, les formations mises sur pied dans
les organisations économiques, bien que paraissant résoudre toutes les
difficultés d'adaptation aux conditions réelles du travail, sont étroitement
adaptées aux exigences techniques quotidiennes, ainsi qu'aux exigences
sociales locales. En général, les besoins de l'entreprise dépendent d'une
fonction unique d'adaptation dans le court terme. Vouloir déterminer les
besoins en formation en les assimilant aux besoins technologiques de l'économie
relève de l'illusion techniciste. Mieux, ce n'est pas forcément en maximisant
les fonctions de réponse aux besoins de l'économie au détriment des autres
fonctions du système d'enseignement que l'on peut la servir au mieux. Derrière
des exigences adaptatives de cet ordre se cache en fait une volonté de subordonner
la formation et la recherche aux volontés des fractions dominantes et de
maintenir l'état des structures sociales. Pourtant, le problème consiste sans
doute moins à préparer à des emplois et à des modes de fonctionnement tels
qu'ils existent aujourd'hui qu'à permettre de faire face, plus tard, aux
conséquences de l'accélération des transformations des modes de production, à
leurs effets sociaux, et de les maîtriser. Ce n'est donc pas en enfermant
l'Université dans les demandes de l'économie que l'on peut être efficace, mais au
contraire en changeant le monde de l'entreprise le développement des recherches
et des réflexions sur monde social. Ce n'est pas la première fois qu'il se révélerait
dangereux de laisser faire le monde de l'entreprise. En effet, le patronat, qui
a dirigé «la seconde industrialisation en France, entre les deux guerres, a
bien souvent fait des choix défectueux qui ont obéré le développement
industriel ultérieur ; or, ces
stratèges industriels n'étaient pas des universitaires mais des technocrates
[...]. Issus de Polytechnique, ils avaient parachevé ICL formation dans les
écoles d'application (Ponts Chaussées, Mines, etc.). Inversement, les secteurs
industriels qui ont réussi étaient tous dirigés par d'ancien docteurs en
sciences53»
L'exemple de la professionnalisation et des licences professionnelles
mises en place dans des universités montre on ne peut mieux. La
professionnalisation une orientation imposée aux universités depuis plus vingt
ans par la création de filières, de modules, diplômes : filière AES, module
pré-professionnel, etc. Ces systèmes accroissent le nombre de la charge
d'enseignement en transformant des enseignants-chercheurs en démarcheurs de
stages ; au reste, ils justifient l'embauche, comme contractuels, de
professionnels ne sont pas obligatoirement les plus disposés à un regard
critique ou même analytique sur leur pratique. Au surplus, les licences
professionnelles, à moyens constants, ne peuvent se développer qu'au détriment
des filières existantes, jugées un peu vite inadaptées par des employeurs qui
réclament de l'enseignement supérieur qu'il s'ajuste à leurs « besoins en
formation54 » sans pouvoir ou vouloir définir clairement ces dits «
besoins » ou ces dites «compétences», et surtout en se gardant bien de poser la
question d'une maîtrise des changements à venir de la division du travail
qu'ils ignorent eux-mêmes. Cette professionnalisation conduit parfois à des
diplômes d'université remettant en cause la certification garantie par l'État,
certification protectrice des salariés dans leurs rapports avec les
employeurs. Enfin, cette professionnalisation amène des universitaires, surtout
dans les disciplines scientifiques, à se lancer dans la création d'entreprises
- les « incubateurs » a voulus par Allègre et réclamés par les conseils régionaux
- et des universités à renforcer leurs liens avec le « monde économique» en se
convertissant à la vente de prestations éducatives55.
L'exemple de la licence professionnelle « Métiers du
tertiaire : conseiller de clientèle de bancassurance » délivrée
aujourd'hui par l'université Marc-Bloch de Strasbourg illustre ces processus.
Cette licence a pour objet un poste de travail très limité les enseignements
relèvent d'un utilitarisme étriqué et ignorant des réflexions sur la
construction des programmes en formation. Faisant fi des expériences et savoirs
accumulés en sciences de l'éducation, elle bafoue ainsi les orientations les
plus fondamentales des disciplines enseignées. Si les autres licences
professionnelles à venir étaient construites sur le même modèle, il resterait à
débaptiser l'université pour choisir le nom d'une chaîne de supermarchés, le
logo d'une marque ou les initiales d'un vendeur passé maître en bagout! Le
programme de formation de cette licence est construit autour d'une idée apparemment
simple et rationnelle décrire le poste de travail visé, en déduire des
exigences qui engendreront les besoins en formation des titulaires du poste,
répondre à ces besoins par des contenus adaptés. Dans cette licence « Métier
du tertiaire », on vise un « chargé de clientèle » qui recevrait des
clients, les écouterait, leur proposerait des a produits a financiers et
gérerait leur patrimoine. bs besoins en formation pour ce poste sont dès lors
facilement identifiables : connaissance des mécanismes de la bancassurance,
connaissance des marchés financiers, écoute et identification des motivations
des clients, techniques de relations sociales. Il reste logiquement à enseigner
les mécanismes sur lesquels reposent les « produits » bancaires et
assurantiels, l'économie des marches financiers (Bourse et autres mécanismes de
placement), la psychosociologie des
relations.
Il n'en reste pas moins que ce système repose sur
prémisses erronées. La sociologie du travail, depuis travaux de Pierre Naville
et Georges Friedmann, a montré que les descriptions de poste de travail n'ont
d'au validité que celle qui leur est donnée, à un moment cis, en fonction des
rapports de forces, par une direct d'entreprise. Là, parce qu'on se méfie de
tel groupe salariés qui a tendance à manifester trop facilement mécontentement,
on ne lui confie pas tel ensemble décisions ; ailleurs, parce que la
philosophie du management à laquelle on se réfère est différente, on délègue au
contraire de nombreuses responsabilités. Le contenu des actes de travail dépend
certes de l'organisation technique du travail, mais pour partie seulement
l'influence la plus forte venant plutôt de la décision sociale, c'est-à-dire de
l'organisation de la hiérarchie, des clivages entre les groupes, des distances
sociales, e Pour le dire autrement, tel ou tel professionnel peut avoir plus ou
moins de responsabilités selon le fonctionnement de l'entreprise qui l'emploie,
et surtout verra sa fonction se modifier en fonction des changements de sa
structure. Peut-on avec une formation strictement adaptative le former ou
plutôt l'enfermer dans un poste de travail dont les activités et le contenu
dépendent de l'arbitraire patronal ? La rédaction du cahier des charges des
licences professionnelles est
Enjeu d'importance ; peut-on définir les contenus
enseignés pour y introduire des problématiques et des interrogations de
connaissance critique, ou devra-t-on se plier aux demandes des entreprises et
répondre à leurs besoins » ? On peut dire que l'enjeu des licences professionnelles
est ou bien de défendre le savoir contre les pressions multiples du néo-libéralisme,
ou bien de fabriquer des « boys », comme le directeur du personnel
d’une société pharmaceutique appelait les chercheurs, pour les patrons des
multinationales.
Supposons néanmoins que l'on obtienne une description
valide, on ne pourra pas pour autant en déduire des « besoins en formation
». La notion de besoin est incertaine, ambiguë, et véhicule implicitement
l'idée d'une adaptation nécessaire. Faire en sorte que les «formés »
soient bien adaptés aux exigences des commanditaires serait-il devenu
l'objectif de l'Université ? L'utilitarisme étriqué de nombre de licences
professionnelles laisse penser que les demandeurs ont imposé leurs exigences.
Faut-il se plier ainsi aux commanditaires sans interroger leurs objectifs ?
N'auraient-ils pas eu une autre intention en confiant à l'Université la
formation de leurs salariés, avec pour avantage d'éviter ou de désamorcer des
revendications ? Bien adapter les chargés de clientèle à leurs postes est
peut-être «économique» pour les salariés eux-mêmes aujourd'hui - c'est en tout
cas certainement rentable pour l'employeur – mais qu'en sera-t-il demain
lorsque les technologies changeront ou, plus probablement, lorsque des
réorganisations se mettront en place à la suite d'une OPA amicale ou hostile ?
À vouloir bien adapter les salariés d'aujourd'hui aux exigences et besoins de
leurs fonctions, on risque fort d'en faire des « désemparés » demain. Enfin,
est-il acceptable de réduire les contenus enseignés, que ce soit mie ou la
sociologie, à des savoirs schématiques et plifiés56? Enfermer les
étudiants dans les définitions étroites des contenus qui leur sont proposés ne
leur permettra guère de mieux comprendre leur relation monde.
3.5 LA RÉGIONALISATION.
Pourtant, avec l'idée de proximité, c'est bien la
position inverse qui est défendue. Que se soit dans l'organisation de la
recherche ou dans celle de l'enseignement supérieur, les projets européens
accordent une place essentielle à régionalisation. Cette idée rejoint les avis
d'universitaires : les présidents d'université, les anciens directe de grands
établissements de recherche et les chercheurs reconnus militent tous pour des
centres régionaux dirigés par un président aux pouvoirs accrus. On sait que qua
membres de l'Académie des sciences veulent donner «nerf» à la production
scientifique (Nouvel essor à la recherche française - Nerf) 57. Ils
proposent, entre autre d'accroître la possibilité pour les universités de jouer
rôle dans le tissu local de la recherche en créant des p d'excellence
régionalisés dans lesquels les pré bénéficieraient de libertés de
recrutement, de fixation salaires et des promotions et, bien entendu, de signer
des contrats. En France, cette manière de faire est renforcée par les prises de
position du Premier ministre J.-P Raffarin58 qui, dès le mois de
septembre 2002, affichait sa volonté de régionaliser: des présidents de con~
régional et des présidents d'université soucieux de lei intérêts ont vite fait
part de leurs souhaits d'entrer dans cette dynamique. Dans les conseils
régionaux, certains voudraient avoir leur mot à dire sur la gestion du capital fixe
(les bâtiments) et sur le personnel chargé de son entretien; d'autres
voudraient mettre en place des groupements d'intérêt public (GIP) pour créer
des partenariats public-privé-région qui définiraient des projets éducatifs,
tandis que la position la plus répandue se contente d'insister sur une plus
grande proximité des besoins des entreprises59. Parmi les présidents
d'université, nombreux sont ceux qui réclament davantage d'autonomie
financière, donc un renforcement de leurs pouvoirs (allongement de la durée de
leur mandat, possibilité de recrutement de personnels), pour avoir la possibilité
de contracter avec des collectivités locales et des entreprises. La mise en
cause des monopoles d'État par les forces économiques, par les forces
politiques locales et par les forces politico-administratives de l'Europe,
constitue sans doute la tendance structurale sur laquelle s'appuient toutes les
idéologies qui mettent en avant la région au nom d'un État «modeste» sensible à
la « proximité ». Cette démarche ne fonctionne qu'autant qu'est constituée et
accumulée une «force» de la région, donc qu'autant que l'on peut faire de
l'espace régional le principe d'une vision du monde qui rend légitimes les
prises de position dans le champ politico-administratif local. En somme, le
développement de niveaux régionaux, en concurrence les uns avec les autres
pour obtenir telle ou telle localisation d'établissements d'enseignement
supérieur et de recherche, peut induire de fortes divergences, renforcées par
les différences locales qui existent au sein des groupements politiques, dans
les manières de poser les problèmes et de les traiter. On le voit déjà avec la
formation permanente, mais il suffit, pour s'en convaincre, d'examiner la
répartition des finances régionaux de l'enseignement supérieur pour constater
que les régions soutiennent plus souvent des foi appliquées que des recherches
fondamentales n'ayant de débouchés immédiats. Cette logique pourrait entraînent,
si les régions peuvent recruter certaines catégories de personnel, des
disparités et des divisions qui multiplieront les effets de dépendance. Par
ailleurs, le contrôle représentants des conseils régionaux, Supposés plus fait
des demandes économiques locales60, n'apporter guère plus de
certitude prévisionnelle sur les reconversions auxquelles les étudiants
d'aujourd'hui seront luctablement confrontés. Dans un monde où l'économie est
fluctuante, où le capitalisme détruit sans cesse sources anciennes de profit
pour en conquérir de nouvelles, où les technologies se transforment rapidement,
où les modes d'organisation du travail sont sans o modifiés pour maintenir la
domination, il est impossible de prévoir le contenu de l'emploi futur. Même les
propos les mieux intentionnés des représentants des conseils régionaux ou des
représentants des entreprises seront toujours en deçà, ou à côté, des
changements à venir. En sens, vouloir régionaliser la recherche et l'enseignera
supérieur afin de rapprocher l'école des entreprises b (et en attendre moins de
chômage) est une illusion. De plus, cette logique, en minimisant les effets de
mise à distance impersonnelle d'une bureaucratie d'État, peut à l'inverse,
faciliter la réapparition d'une domination plus personnalisée sur les
thématiques et les pratiques d’enseignement et de recherche. C'est dire que,
comme l'écrivait Max Weber, « l'amour, la haine et tout ce qui étant pu ment
personnel, irrationnel et émotionnel, échappe au calcul » pourraient bien à
nouveau peser sur l'autonomie difficilement conquise du travail
intellectuel. L’Université, faut-il le rappeler, s'est constituée autour de
luttes pour mettre à distance les pouvoirs religieux, politiques et
économiques. L'État, qui n’a pas toujours échappé à la tentation de l’assujettir,
la protège néanmoins des
velléités de sujétion, via le statut de la
fonction publique et l'attribution de crédits de recherche et de fonctionnement.
Le renoncement à un système qui a tant contribué à la liberté de pensée et à
l'avancement de la raison scientifique comporte bien des risques, dont celui
de voir les disciplines les moins utilitaires et les professeurs les moins
vassalisés en payer le prix.
Cette volonté de régionalisation repose sur une théorie
de la « gouvernance » adoptée et soutenue par la Commission européenne qui
se défie des institutions et partis politiques. Cette défiance incite à
valoriser un « État modeste », qui se contente de mettre en oeuvre les accords
contractuels, après consultation des instances patronales « représentatives »
des intérêts économiques et des associations, syndicats et ONG « représentatifs
» de la société civile. La réduction du rôle de l'État se fait au profit de négociations
à finalité contractuelle entre les représentants des organisations concernées,
le patronat, les usagers, les régions et/ou les municipalités. Si le contrat
remplace la loi dans cette idéologie néo-corporatiste, il suppose aussi
l'existence d'agents capables de décider rationnellement.
3.6 LE MYTHE DE L'AGENT RATIONNEL: LA PRODUCTION ET LA
DIFFUSION DE LA
CONNAISSANCE
EN QUESTION.
Le système des ECTS, et plus généralement l'ensemble de
ces réformes, repose sur l'idée, centrale dans toutes conceptions
néo-libérales, que l'individu étudiant est meilleur juge de ses investissements
de format Considéré comme un acteur rationnel, il peut, en c se comporter comme
l'entrepreneur de sa formation effectuer ses choix en conséquence61.
Cette logique tant vantée par les théoriciens du choix rationnel o volontiers
que l'information nécessaire doit être totale, qui est impossible à obtenir
aussi bien du côté de l'informateur, qui ne peut atteindre la « transparence
» souhaitée, que du côté de l'informé, qui n'aura jamais tous moyens d'obtenir
toute l'information. Plus grave encore cette présupposition repose sur l'idée
d'une neutralisation des facteurs externes au choix. Pourtant, comme l'écrivait
Max Weber à propos de l'usage de modèles économie, « ces fictions, utiles dans
le cadre de recherche théorique, ne sauraient devenir la base d'évaluations
pratiques de situations réelles... Dans tous cas qui ne relèvent pas de la pure
technique, l'évaluation cesse d'être univoque, car d'autres évaluations viennent
qu'il n'est plus possible de déterminer de façon purement rationnelle62».
On ne peut mieux dire que bien d'autres dimensions propres à la situation
sociale chaque étudiant rendent la concurrence imparfaite. r plus encore, une
telle conception suppose que la soit prise par des entrepreneurs individuels,
ce conduit à ignorer complètement la dimension sociale la reproduction
sociale mise en jeu par l'acquisition titres universitaires les familles, groupes ou classes sociales
sont aussi présents, en déterminant plus ou strictement les choix individuels,
que le sont les agents des établissements mettant en oeuvre, souvent
moins consciemment qu'ils ne le croient, des stratégies
de placement social de leur offre de formation. Enfin, à un niveau plus
épistémique, un tel modèle fait comme tous les savoirs étaient équivalents,
comme Si en somme n'existait pas une organisation interne du savoir qui implique
qu'on ne peut accéder à telles connaissances qu'après avoir acquis celles qui
sont requises ou que telle problématique ou méthode déclasse par sa capacité heuristique
ou interprétative les manières de faire précédentes. Les enjeux proprement
scientifiques de la production et de la diffusion du savoir sont absents d'une
telle conception. Dans ces conditions, on peut craindre qu'une telle
représentation de « l'apprenant » ne mène qu'à une désorganisation du savoir et
à une désarticulation des compétences acquises. La multiplication des masters
pluridisciplinaires et l'adhésion sans contrôle au système des unités
capitalisables peuvent en effet avoir des effets destructeurs, dont le
démantèlement des univers disciplinaires et la détérioration des conditions de
travail des universitaires, bases d'une cumulativité des savoirs, donc des
conditions de l'avancement de la recherche. Les travaux les plus récents de
sociologie de la science ont montré que le développement de la raison
scientifique est intrinsèquement lié à l'institutionnalisation progressive de
ces univers relativement autonomes que sont les disciplines - définies par un
certain nombre de pratiques de recherche, de groupes reconnus, d'exigences
d'entrée, de définition d'une compétence, d'intérêts spécifiques, ou encore de
capacités de résistance aux pressions externes. Si la production du savoir est
chose sociale (comme les autres pratiques elle est « arbitraire »,
disait Marcel Mauss), elle n'en atteint pas moins formes de cohérence et de
vérité. De telles contradiction ne se résolvent que parce qu'au sein de chaque
discipline existent des manières de voir et de penser spécifiques surtout des
manières réglées (formes de raisonnement protocoles d'expériences, procédures
et procédés éprouvés, etc.) de traiter les conflits et d'imposer une vérité
(toute provisoire). Faire prévaloir une telle organisation symbolique suppose une organisation pratique
spécifique qui exige des investissements temporels. Pour le autrement, s'il
faut du temps pour acquérir le savoir, faut encore plus de temps et surtout des
conditions particulières pour que le savoir soit intériorisé, incorporé, pour
qu'il devienne une « seconde nature ». Si l'avancement de la connaissance
dépend tant de la vie sociale de la vie intellectuelle mêlées des disciplines,
alors on peut pas abandonner les diplômes à mention disciplinaire dans une
accumulation à la Borges ou dans inventaire à la Prévert d'unités
capitalisables, ni le capital collectif de méthodes et de concepts spécialisés
d'une discipline dans un master transdisciplinaire dan lequel des représentants
des pratiques sociales (fussent-elles professionnelles) seraient partie
prenante. Si l'enseignement supérieur repose sur une connaissance scientifique
de l'ensemble des propositions qui ont survécu aux objections des autres
chercheurs de chaque discipline alors l'Université ne peut devenir un
supermarché lequel les étudiants rempliraient leur chariot de paquet d'unités
capitalisables plus ou moins attractives. Cette conception néo-libérale
du rapport au savoir est antinomique de la logique de la connaissance. Des six
fonctions de l’enseignement supérieur, aucune n'échappe aux récriminations des
partisans d'une primauté de l'économie : celle d'un conservatoire de la
culture, celle de l'invention Je nouvelles connaissances, celle de la diffusion
de manières de penser et d'idéologies partagées à l'intérieur même de
l'Université, et cela dès avant les Lumières –idéologies se réclamant d'un
certain universalisme, de la tolérance, de la liberté de penser -, celle
d'assurer la reproduction de l'institution en formant de futurs professeurs,
celle de contribuer à l'organisation de la division sociale mais aussi à sa
critique, celle, enfin, de participer à la formation de la force de travail. Il
appartient pourtant d'abord aux universitaires de doser l'équilibre entre ces
fonctions.
On pourrait d'ailleurs s'interroger sut la propension de
certains universitaires à se précipiter sur la moindre réforme annoncée et parfois
même à l'anticiper, tout comme il faudrait s'interroger sur les conditions
sociales qui font que d'autres subissent, en se contentant de renâcler, la
domination du moment. Les universitaires sont pourtant les mieux placés pour
dire quelles sont les orientations souhaitables pour l'Université63,
non seulement parce qu'ils peuvent s'appuyer sur une longue expérience du
fonctionnement « démocratique », même imparfait, de leurs institutions, mais
aussi parce que la spécificité des univers de recherche suscite une « réflexivité
» vigoureuse64.
3.7 LES RÉFORMES OU LA REPRODUCTION SOCIALE RETROUVÉE.
On ne comprendrait cependant pas grand-chose à toutes ces
transformations, présentées le plus souvent désordre, si on n'y voyait pas la
volonté la plus affirmée d'une réorganisation de la reproduction sociale autour
d'une division du travail plus efficace et d'une domination des élites plus
assurée. Il suffit d'examiner les articulations mises en place entre les moyens
retenus a points d'application visés pour voir que toutes réformes visent à la
fois à mieux répartir les individus dans les postes de travail et les fonctions
nécessaires à bonne marche de la division du travail (diviser les étudiants en
niveaux hiérarchiques, bien sûr, mais surtout détenteurs d'un capital
scientifique ou technique bureaucratico-politique bien différencié pour soient
à même de s'adapter ou de prolonger les changements structuraux en cours) et à
permettre aux dirigeai (familles, corps...) de s'approprier et de se réserver
modalités de formation les plus efficaces pour ra ou même améliorer leur
position. Ces deux dynamiques complémentaires nécessitent, pour se réaliser au
mieux, de renforcer l'efficacité des mécanismes producteurs d'inégalités et
leur capacité à les légitimer (sélection universitaire, différenciation des
établissements d'enseignement supérieur, valorisation de compétences particulières,
surtout d'ordre symbolique). Ainsi, les agents occupent les positions
dirigeantes dans le champ du pouvoir (parmi lesquels les dirigeants
d'entreprise, dans mesure où domine un champ économique qui tend imposer ses
manières de penser et de faire aux autres champs) espèrent en finir avec
l'école égalisatrice et
Ses pratiques institutionnalisées (diplômes nationaux
reconnus dans les conventions collectives par exemple) pour développer,
cyniquement et en toute connaissance de cause, un système inégalitaire
efficace capable de permettre une reproduction sans risque des élites en place.
Il est vrai aussi qu'ils sont souvent soutenus en cela par les cadres qui
craignent tout ce qui pourrait les déclasser et les rapprocher des catégories
plus basses qu'eux dans la hiérarchie sociale.
Tout montre, de fait, que deux luttes, dont la reproduction
sociale des élites est l'enjeu, sont en cours et se concrétisent dans les
projets de réforme de l'enseignement supérieur la première est celle des
détenteurs du capital économique (les owners) qui, reprenant l'avantage
sur les technocrates (les managers), entendent bien consolider ~
pouvoir qu'ils ont récupéré en réorganisant l'Université pour qu'elle accroisse
leurs chances de durer; la seconde, englobant la première, est celle de
l'ensemble des détenteurs des positions dirigeantes, qui découvrent avec plus
ou moins de retard (comme l'avaient fait avant eux leurs prédécesseurs
lorsqu'ils avaient compris que la fréquentation de l'enseignement secondaire
généralisée aux enfants de toutes les catégories sociales modifiaient les
chances de réussite de leurs descendants) que la sélection et la légitimation
sociales autrefois assurées par l'enseignement supérieur sont transformées au
détriment de leur groupe dès que la politique de 80 % d'élèves avec un
baccalauréat devient la réalité. La première lutte est interne au champ du
pouvoir et même au sein du champ économique
elle accompagne l'influence grandissante de l'économie sur les autres
pratiques sociales et varie avec ses modifications de structure, en particulier
avec la part déterminante obtenue aujourd'hui par le capital financier. Cette
lutte amène à vouloir restructurer l’enseignement supérieur en faisant des
écoles de gestion (fréquentées, on le sait, massivement par des enfants des
commerçants, d'industriels, de professions libérales), et des manières de
penser et de faire spécifiques à ce gi social, le modèle dominant.
Paradoxalement, en l'intensification de la concurrence scolaire a abouti à renforcement
de l'emprise des stratégies économiques (et, au niveau des familles, à un
renforcement du poids capital économique dans la détermination des stratégies
proprement scolaires d'accumulation d'un capital culturel) qui ne peut pas ne
pas avoir d'effets sur le system scolaire dans son ensemble. D'une certaine
façon, transformations non seulement affectent le rendement social du capital
culturel, mais modifient aussi sa composition l'érudition, la capacité
d'abstraction et le sens la rhétorique lettrée ou scientifique qui le structuraient
cèdent progressivement la place à d'autres compétences plus en prise avec le
fonctionnement du champ écot mique. Comme l'écrit Pierre Bourdieu65,
« dotés d'ensemble de compétences d'une espèce nouvelle, telles que le
maniement des langues étrangères, la connaissance pratique du champ des
entreprises et des techniques marketing et de la publicité, les patrons issus
d'école comme HEC ou l'Institut européen d'administration des affaires sont
prédisposés à rechercher des positions les firmes multinationales : ils s'opposent
par beaucoup de traits aux patrons issus d'une école d'ingénieurs dont les
intérêts se portent vers la production plutôt que la commercialisation, vers la
gestion interne de I' prise plutôt que vers la prospection du marché». La
seconde lutte est suscitée par les transformation globales du système
universitaire qui déstabilisent la confiance que les tenants des positions
dirigeantes les plus diverses au sein du champ du pouvoir avaient accordée à
son efficacité dans la reproduction sociale des classes dirigeantes. Ici, le
champ du pouvoir tout entier est concerné et devient solidaire, puisque la
relation entre les stratégies visant à la reproduction sociale et le système
Ses instruments de reproduction est profondément modifiée. Cette lutte conduit
à restructurer en les hiérarchisant les établissements d'enseignement
supérieur. En effet, l'enseignement supérieur a connu deux périodes : l’une,
jusqu'au début des années 1980, d'ouverture relative aux enfants des
catégories populaires l'autre, depuis, de renforcement de la sélection scolaire
et sociale. Il est vrai que l'accroissement des flux d'entrée de nouveaux
étudiants des classes populaires a eu comme conséquence de modifier les
dynamiques d'orientation et le déroulement des études supérieures66.
De fait, la répartition inégale des étudiants, en fonction de leurs origines
sociales, n'a pas diminué. L'origine sociale des étudiants en 2002-2003 montre
que les enfants de cadres supérieurs et de professions libérales représentent
49,6 % des étudiants en classe préparatoire aux grandes écoles, 45,1 % en
médecine, 37,4 % en droit, 35,4 % en sciences, 29,9 % en économie, 27,4 % en
lettres, 26,4 % en IUT, 13,7 % en sections de techniciens supérieurs (STS).
Inversement, les enfants d'ouvriers représentent 5 % des étudiants en classe
préparatoire, 5 % en médecine, 9,1 % en droit, 10,6 % en sciences, 12,4 % en
économie, 11,1 % en lettres, 16% en IUT et 20% en STS. Des études récentes67
permettent de mieux saisir ces processus d'amplification des différenciations
sociales. Ces transformations rapides de l'enseignement secondaire et Supérieur
entre 1990 et 2003 ont conduit à une nouvelle répartition sociale dans la
fréquentation des les étudiants les plus démunis choisissent plus souvent que
les autres les petites universités « de proximité » femmes, surtout si
elles sont en retard dans les secondaires, choisissent majoritairement les
sections les filières médico-sociales et les études de lettres et sciences
humaines, alors que les fils de familles aisées, sélectionnés, s'orientent
préférentiellement vers les préparatoires scientifiques ouvrant sur les «
écoles pouvoir». C'est dire que les modifications en cours de l'état des
systèmes universitaires ne pourront qu'affecter la reproduction sociale, en
réorganisant le système instruments de sélection pour renvoyer les enfants
classes démunies de capital culturel et économique des filières (le plus
souvent publiques) menant emplois subordonnés et, à l'inverse, assurer aux
en& des classes les mieux dotées de capital économique culturel l'accès
privilégié aux formations (le plus souvent privées) préparant aux postes
dirigeants tels que les d nit la nouvelle division internationale du travail. Pour
dire plus rudement, tout montre que, les investi scolaires que les membres des
classes dominantes étaient obligés d'opérer pour maintenir les chances de
succès suffisant plus, il leur restait alors à changer les règles jeu.
5
CONCLUSION
Les projets de réforme de l'enseignement supérieur et de
la recherche ne sont pas sortis tout achevés du cerveau de quelques
fonctionnaires de la Commission européenne ou de l'OCDE. Ils sont le résultat
des réflexions de multiples agents chargés d'élaborer des réformes au sein des
États européens et au sein des organismes de défense des intérêts patronaux.
Ces projets sont aussi assurés des complicités de nombre d'administrateurs de
l'Université ou de la recherche comme des personnels des agences de consulting,
d'audit et de lobbying.
Les États et les patronats sont, il est vrai, concernés
au premier chef par ces réformes. Les États parce qu'ils recherchent le
monopole de la puissance dans les luttes internationales et que, aujourd'hui,
celui-ci dépend de plus en plus de l'accumulation d'un capital infirmation
net Comme une grande part de ce capital informationnel est directement
liée au savoir, on comprend que les États soient engagés dans des rapports de
concurrence intenses pour la définition, le contrôle et l'exploitation des
nouvelles connaissances. Tout se passe donc comme si les États jouaient plus ou
moins un « double jeu », attendant de l'Europe qu'elle les oblige à réformer
leurs institutions de recherche, espérant d'une alliance européenne une plus
grande capacité à concurrencer les États-Unis, mais rêvant aussi de renforcer leur
pouvoir propre, particulièrement dans le domaine militaire.
Les patronats européens, par l'intermédiaire de leurs
nombreuses « agences d'idées », sont directement concernés car, comme au début
du xxème siècle aux
États-Unis, où les transformations intenses qu'a connues l'enseignement~
supérieur étaient le résultat d'une modification sans précédent des rapports
de classes (la classe des capitalistes industriels remplaçait les élites
préindustrielles et imposait sa domination sur le prolétariat), les grandes
réformes annoncées sont, aujourd'hui aussi, en relation avec des changements
intenses au sein du champ économique. Accumulation d'un capital symbolique,
intérêt à une nouvelle division du travail, généralisation de la rationalité
économique et affirmation de sa primauté, réorganisation du champ culturel
pour qu'il assure au mieux ses fonctions de légitimation du nouvel ordre social
économique sont, sans aucun doute, à l'oeuvre. Ainsi, tout montre que
l'internationalisation du capital et la multi implantation des entreprises les
plus puissantes dans le champ économique exigent une nouvelle division du travail
et, corrélativement, une nouvelle différenciation de la formation. Les
renversements de pouvoir qui se sont opérés en faveur des financiers (actionnaires,
banques, sociétés de placement...) au détriment des ingénieurs ne peuvent être
consolidés qu'autant que le système de formation les entérine et assure leur
pérennité. La course à la hausse de productivité et à l'abaissement des coûts
de production qui s'ensuit exige une réactivité et une flexibilité des
investissements technologiques justifiant la réorganisation de la production
des connaissances. Sachant que l'investissement dans les institutions pédagogiques
permet aussi d'imposer comme principes de formation des intérêts idéologiques
particuliers, les réformes ne peuvent pas s'en tenir à la seule adaptation des
formations aux besoins des entreprises mais doivent aussi traiter de finalités
éducatives, de « savoir être
comme on dit aujourd'hui, ce que souhaitaient d'ailleurs
depuis longtemps les représentants du patronat français. Dans ces conditions,
on comprend que les réformes valorisent tant l'acteur rationnel entrepreneur
de sa formation, que les nouveaux modes d'évaluation fassent plus appel à des
critères entrepreneuriaux qu'aux critères intellectuels traditionnels et que
les principes organisationnels du management (audit, entretien d'évaluation,
comparaison des performances) dominent ces réformes. La transformation des
systèmes de formation universitaire et des modes de production des
connaissances sera sans aucun doute plus influencée par l'imposition de cet
arbitraire culturel adapté aux intérêts symboliques des classes dominantes que
par des effets directs de la marchandisation112.
Pour bien comprendre la mise en place de ces réformes, il
faut voir enfin que, au sein même de l'Université, plusieurs groupes y
trouvent leur intérêt. Progressivement, un cercle d'« experts » et de «
conseillers » s'est constitué, qui entend bien, grâce aux « réformes », se
maintenir dans la proximité du pouvoir politico-étatique: des professeurs,
après avoir été membres d'un cabinet ministériel, n'ont pas regagné leur poste
d'enseignant à la fin de leur mission et ont continué à graviter dans l'univers
gouvernemental d'autres, souvent
d'anciens présidents d'université, sont devenus des directeurs d'administration d'autres encore, anciens directeurs
d'établissement d'enseignement et de recherche, ont su se faire suffisamment
remarquer pour se voir confier la rédaction de «rapports». Ainsi s'est formé un
groupe d'agents, plu: unifié dans son partage d'une vision du monde « modernisatrice
» à l'américaine que les différences qui le. parcourent ne le laissaient
supposer, tout entièrement occupé qu'il est, pour durer, à contourner la
bureaucratie ministérielle et ses pratiques formalisées par des innovations
plus habiles les unes que les autres. Ce premier cercle est en relation
continue avec le second cercle de pouvoir constitué aujourd'hui par les
présidents d'université ces élus sont
devenus de plus en plus des technocrates investis dans leurs fonctions,
soucieux de leur autorité, sensibles aux avantages de leur nouveau mode de vie;
aussi comprend-on qu'ils soutiennent des réformes qui soit leur permettraient
d'accéder au cercle plus restreint des conseillers, soit assureraient une continuité
et un élargissement de leur pouvoir. Le plus étonnant peut-être est que ces
transformations ne suscitent pas plus de résistances chez les universitaires.
Si certains se résignent à une imposition contre laquelle ils affirment ne rien
pouvoir (le combat pour eux est perdu d'avance), Si d'autres acceptent les
différences grilles qui leur sont proposées et se contentent de critiquer
quelques points, sans jamais remettre en cause les schèmes généraux, les
derniers, les plus actifs, rivalisent d'imagination en allant bien au-delà des
suggestions du ministère pour devancer des collègues qu'on leur décrit comme
des concurrents et qu'ils voient vite comme des adversaires. Ainsi se met en
place une réorganisation de la hiérarchie universitaire qui ne peut assurer sa
domination sur ses pairs qu'en trans-formant le champ universitaire en entier.
l'organisation sociale de l'Université, sans doute utopique, qui supposait une
confrontation permanente entre tous les savants pour plus de raison et de
vérité ne peut que susciter l'opposition de tous ceux qui rêvent d'occuper les
positions dominantes d'une hiérarchie gestionnaire. Parce que l'accumulation
d'un pouvoir matériel et symbolique est au centre de ces réformes annoncées,
et dans la mesure où les groupes porteurs de ces réformes ne sont plus les
mêmes qu'à l'époque antérieure, les transformations recherchées de
l'enseignement supérieur et de la recherche affectent le poids relatif du
capital culturel et du capital économique113, ce qui ne peut avoir
que des effets à long terme. Mais cette transformation atteint aussi le
processus de production de la connaissance par des pressions en aval et en
amont. l'exemple des sciences sociales le fera mieux comprendre. En aval, Si la
distribution de la connaissance échappe de plus en plus aux producteurs avec
la constitution de grands groupes d'édition soucieux de rentabilité, les
injonctions directes et surtout indirectes à produire des ouvrages susceptibles
d'intéresser le plus large public ou tel ou tel public bien ciblé par des
logiques commerciales ne peuvent que se multiplier et orienter les thèmes et
les méthodes. En amont, si le financement de la recherche est de plus en plus
dépendant d'appels d'offres ministériels soumis à une « orientation
économistique » du monde, toute recherche qui n'adopte pas ce point de vue aura
peu de chances de voir le jour. En ce sens, la valorisation des intérêts
matériels (en aval) et l'effet des intérêts symboliques (en amont) risquent
bien d'atteindre profondément l'autonomie de la production et de la diffusion
de la connaissance. En effet, pour pouvoir produire des connaissances, il faut
bénéficier de conditions sociales qui permettent de mettre à distance les
contraintes des nécessités économiques et sociales. Sur cette base se sont
développés des univers autonomes ayant leur système de recrutement, de formation
et d'évaluation, refoulant « dans le monde inférieur de l'économie l'aspect
économique des actes et des rapports de production proprement symboliques114
».
Ces systèmes, de plus en plus capables de refuser de
répondre directement aux demandes des pouvoirs économiques et politiques, ont
été, en même temps, portés à développer les règles et les régularités de
microcosmes régis par une logique sociale favorable à la systématisation et à
la rationalisation et à faire progresser les différentes formes de rationalité
et d'universalité. Néanmoins, cette situation est toujours fragile :
l'autonomie de la recherche n'est pas acquise une fois pour toutes. Résultat de
conquêtes menées dans des situations historiques bien précises, elle est sans
cesse menacée puisqu'elle dépend de l'institutionnalisation de la recherche
dans des organismes spécialisés et en particulier dans l'Université,
c'est-à-dire de la mise en place de conditions favorables à la production du savoir.
Si on voit bien comment une baisse des investissements dans l'Université et les
centres de recherche peut rendre la production du savoir plus difficile, on
voit moins bien, à tort, qu'une réorganisation non mesurée des charges de
travail peut avoir les mêmes effets régressifs. Cette autonomie dépend aussi
des « appareils » sociaux que les producteurs de savoir ont progressivement
élaborés pour protéger leur position d'intrusions diverses : organisation en
disciplines, statut professionnel, modalités de régulation interne l'imposition
des logiques managériales dans l'Université conduit alors à s'en prendre à ces
systèmes protecteurs. Enfin, l'autonomie dépend de la reproduction du groupe
des enseignants-chercheurs ; aussi, vouloir orienter l'Université vers une
adaptation aux besoins des entreprises risque d'affecter, à moyen terme, la
capacité à produire des chercheurs. Sachant que la capacité des sciences à
résoudre des problèmes de plus en plus difficiles est liée à l'élévation du « droit
d'entrée », lui-même lié à la compétence, au capital scientifique incorporé et
à « la croyance dans les enjeux et dans le jeu lui-même », les réformes de
l'enseignement supérieur et de l'organisation de la recherche, en
contractualisant des emplois déjà rares et mal rémunérés, ont toutes les
chances de saper une des dimensions constitutives de l'autonomie. En somme,
tout se passe comme si les réformes prévues au nom d'une supposée défense de la
recherche et de l'enseignement supérieur conduisaient paradoxalement, en augmentant
la capacité des demandes externes à se faire entendre, à menacer la production
du savoir: elles peuvent défaire l'exigence de rigueur désintéressée qui y
prévaut et qui est incompatible avec les nécessaires concessions qu'exigent
toujours les pouvoirs économiques et politiques. Changer les critères
d'évaluation, comme le veut la Commission européenne, pour accorder une place
plus importante à la recherche de contrats ou à la valorisation économique des
résultats n'est pas une opération sans conséquence puisqu'elle affecte «le
dévouement désintéressé à l'avancement de la connaissance115».
Pour le dire encore autrement, tout se passe comme Si,
dans une situation historique où le champ économique tend à imposer ses
principes comme principes universels, le statut des intellectuels, leurs
organisations démocratiques, leurs manières de penser, leurs manières de faire
mêmes apparaissaient comme inadaptés, archaïques et dangereux pour l'ordre
social. Dans ces conditions, on comprend que les agents dominant le champ économique,
les agents du champ politique et les agents du champ médiatique qui leur sont
liés se soient ligués pour transformer la position d'universitaire-chercheur:
faute de pouvoir intervenir dans des débats scientifiques qui les dépassent, il
leur reste de pouvoir contrôler les possibilités d'organisation de tels
débats. Mais, ce faisant, c'est la production de la connaissance qu'ils
atteignent. l'analyse du processus de la production scientifique ayant montré
que « le fait que les producteurs tendent à n'avoir pour clients que leurs
concurrents à la fois les plus rigoureux et les plus vigoureux, les plus
compétents et les plus critiques, donc les plus enclins et les plus aptes
à donner toute sa force à leur critique, est [...] le point archimédien sur
lequel on peur se fonder pour rendre raison scientifiquement de la raison
scientifique » et que « la fermeture sur soi du champ autonome constitue le
principe historique de la genèse de la raison et de l'exercice de sa normativité116
», mettre en cause cette « fermeture sur soi », faciliter l'intrusion de
critères de jugement externes différents de ceux des pairs, c'est mettre en
cause les fondements mêmes du champ scientifique.
Il n'est pas question ici de prendre une position catégorique
contre la recherche programmée, mais d'affirmer que même la recherche appliquée
doit être protégée contre les risques d'imposition des manières de voir et de
dire des commanditaires, et surtout qu'elle ne doit pas par son développement
empêcher la possibilité d'une recherche produisant ses propres orientations.
Revendiquer l'autonomie scientifique revient alors à affirmer que la production
du savoir est une oeuvre collective, alimentée notamment par les polémiques
scientifiques qui se développent sans cesse dans le monde des savants. En
s'abandonnant aux programmes élaborés par les divers échelons politiques, par
les fondations ou par des organismes économiques, la production du savoir
risque fort d'oublier que la science est faite de la « recherche de faits
véritables et de la synthèse de lois
Véridiques », comme le disait Georges Canguilhem. Le dire
vrai» de la science ne consiste pas dans la reproduction fidèle d'une vérité
qui serait présente dans le monde naturel et social, dans le « concret» comme
se plaisent à le dire les défenseurs d'une instrumentalisation de la
recherche, mais dans la construction incessante d'une pensée sans cesse
travaillée par une rectification critique ». Même les meilleurs programmes des
fondations, dans leur souci d'utiliser la connaissance, oublieront toujours que
la science ne progresse ni par juxtaposition ni par augmentation de volume,
mais par une révision critique de son état antérieur. Dans ces conditions,
l'autonomie de la recherche suppose que toutes les conditions sociales et économiques
soient réunies pour que des projets scientifiques formulés par des équipes de
chercheurs à partir de problématiques théoriques antérieures ou concurrentes
(jugées ou inachevées, ou incomplètes ou illogiques, ou incapables de
satisfaire aux épreuves de réalité) puissent aller jusqu'à Leur terme.
Objectiver, mettre au jour et nommer, faire des découvertes, construire des
systèmes explicatifs plus élaborés, produire des langages permettant
d'augmenter la capacité d'articulation logique du dire scientifique, remettre
en cause des théories, tester la cohérence et la capacité d'affronter le réel des
nouveaux systèmes, élaborer des tests de réalité plus sophistiqués en
affrontant les prédécesseurs et les concurrents, tout cela ne peut exister que
Si le monde scientifique, refermé sur lui-même, élabore ses propres normes de
plus en plus exigeantes.
Mais l'autonomie de la recherche dont il est question ici
n'implique pas le repli dans des «tours d'ivoire» universitaires. Il n'est pas
question de faire l'apologie d'une conception romantique de la production du
savoir par un génie créatif de préférence solitaire. La production de la
connaissance est toujours une oeuvre collective qui traite le monde des faits,
dans un discours articulant, avec les prédécesseurs, les pairs et les
étudiants, des signes symboliques. Défendre l'autonomie de la science revient à
affirmer qu'il existe certes un fossé entre le monde de la recherche, les
préoccupations et le discours de la pratique quotidienne, mais que cette
démarche ne fait pas pour autant disparaître le souci de la réalité, il le
médiatise en fait de façon autrement plus complexe. En ce sens, la science
n'abandonne pas, quoi qu'en disent ses détracteurs, le monde de la réalité,
mais repense le réel en fonction de normes de plus en plus élaborées puisque la
valeur et la portée théorique des connaissances dépendent d'un accord, sans
cesse remis en cause, entre leurs conséquences nécessaires et ce que
l'expérience permet d'observer.
Si cette analyse conduit à rejeter les réformes
annoncées, qui menacent l'Université d'une immense régression, elle conduit aussi
à énoncer les conditions qui, à l'inverse, renforceraient l'autonomie développer les conditions sociales favorables
à la production des connaissances et à leur diffusion suppose de renforcer
considérablement l'investissement public tour en diminuant les contraintes et
les pressions bureaucratiques d'État. Une loi de programmation universitaire, à
l'horizon de dix ans, impliquant un engagement financier important et un
accroissement des moyens humains, est, en quelque sorte, comme le réclamait
l'ARESER dès 1997117, la condition sine qua non pour sortir
les universités françaises de leur misère et de l'inertie qui en est
corrélative. Une réforme sérieuse de l'Université devrait commencer par des
investissements conséquents. Pour bien saisir l'ampleur du problème, il suffit
de citer le collectif « Sauvons la recherche! » du 3 juin 2004 :
favoriser le « développement du potentiel de recherche à l'Université »
implique la création chaque année (durant six ans au moins) dans les organismes
de recherche de 600 postes budgétaires réservés à l'accueil d'universitaires (4
ans à mi-temps ou 2 ans à temps plein) et l'affectation des moyens dans les
universités pour augmenter le nombre de congés sabbatiques, la création chaque
année de 500 emplois d'enseignants-chercheurs affectés en fonction des critères
de politique scientifique (en sus des 2 000 remplacements des départs à la
retraite et des i 500 créations pour les besoins d'encadrement), la création
de 200 emplois de IATOS spécifiquement pour les besoins de la recherche.
l'emploi dans les EPST verrait une augmentation marquée des postes de
techniciens et ingénieurs (800 créations en plus des 1 200 remplacements de
départs à la retraite) et une augmentation du nombre de postes de chercheurs
(150 créations dans les EPST en plus des 850 remplacements de départs à la
retraite). Enfin, pour donner une réactivité à la recherche sans développer la
précarité, il faut créer 1 500 supports budgétaires pour des postes temporaires
accueil d'étrangers (500), stagiaires ATER post-thèse (500), allocataires de
recherche (500). À avoir tant négligé l'enseignement supérieur, on ne
s'étonnera pas que l'effort doive être aujourd'hui très important, mais la loi
de programmation de la défense montre que cela est possible.
L’engagement financier de l'État ne suffirait pas s'il ne
s'accompagnait du relâchement des contraintes bureaucratiques ministérielles,
ce qui implique la mise en place d'une autogestion rationnelle du système avec
la création, au niveau national, d'un «parlement des Universités et de la
Recherche» qui aurait pour mission de discuter publiquement l'ensemble des
problèmes et, au niveau local, par le développement de procédures autogestionnaires.
Il est évident que l'autonomie de la recherche et de l'enseignement défendue
ici n'a pas grand-chose à voir avec l'autonomie de l'OCDE, de la Commission
européenne ou du gouvernement - leur nouvelle gouvernance cherche
beaucoup plus à renforcer les pouvoirs du président ou du directeur du
laboratoire pour l'autoriser à signer des contrats, à embaucher (et à
débaucher) un personnel contractuel et surtout à exercer un pouvoir hiérarchique
grâce à une évaluation élargie, ou, mieux encore, à accorder à un «super-président»
de «pôle d'excellence» les pouvoirs d'un ministre régional de l'Enseignement
supérieur et de la Recherche. Cette autonomie de la recherche que nous
proposons vise à permettre à chaque établissement (l'Université étant assurée
de la stabilité d'un budget plus conséquent qu'il ne l'est aujourd'hui) de
décider de manière démocratique des actions à entreprendre et de l'équilibre à
garantir entre les différentes fonctions de l'enseignement supérieur pour
faire ce qu 'aucune autre institution ne sait et ne saura jamais faire: trans-mettre
un ensemble de modes de penser pour amener non seulement à une synthèse
critique des savoirs académiques (et des savoirs extra-académiques) mais aussi
à une compréhension des formes nouvelles d'organisation du monde et de
l'existence et à une participation aux dynamiques de création opposées aussi
bien aux fanatismes de l'irrationalisme qu'aux manipulations techniciennes
hyper-rationalisantes.
Une Université autonome et ouverte sur le monde devrait
être à même de décider, après des débats démocratiques, de la pondération à
accorder (et de la répartition des moyens qui s'ensuit) aux multiples
fonctions qu'elle remplit. Une telle Université - qui existe déjà partiellement,
à l'initiative des universitaires il faut le dire, mais qui manque
dramatiquement des moyens de ses ambitions - est à l'opposé de la « tour
d'ivoire» dans laquelle on la suppose enfermée. Cette critique est non
seulement à la limite de la diffamation (puisque l'Université d'aujourd'hui est
largement ouverte sur son environnement social du fait de l'augmentation de la
taille et de la diversité des publics étudiants qu'il a bien fallu maîtriser
sans moyens nouveaux, de la présence d'artistes, de savants étrangers, d’ingénieurs
invites, de l'usage généralisé de nouvelles technologies - largement inventées
d'ailleurs par des universitaires -, de la création à partir de recherches
universitaires d'entreprises scientifiques et culturelles, de l'intégration
dans nombre de disciplines des apports des sciences sociales et de la philosophie
qui permettent de penser, pour chaque technique, l'arbitraire qu'elle doit à
son histoire118), mais aussi totalement erronée puisque construite
sur des prémisses fausses : rien en effet ne montre que le monde économique -
le premier à formuler vivement cette critique - serait plus ouvert. On pourrait
tout aussi bien retourner la proposition et voir dans le monde économique une
conception monomaniaque entièrement centrée sur la logique du profit au point
d'y subordonner toutes les autres fins. Ensuite, et par définition,
l'Université ne peut pas être « coupée du monde», « enfermée dans sa tour
d'ivoire», puisque le monde est de plus en plus construit à partir des savoirs
que des chercheurs de toutes disciplines liés à l'Université ou issus de
l'Université ont élaborés. Affirmer à partir de cette prémisse que le monde économique
est le plus apte à énoncer les « besoins en formation » pour éviter le
chômage est, faut-il encore le rappeler, une aberration puisque les industriels
sous l'emprise aujourd'hui de la finance mondialisée ne font plus guère de
plans de développement, tout occupés qu'ils sont à défendre le cours des
actions, et sont à la merci des frisions de la délocalisation concurrentielle
en ô.' amont et de l'emprise du
marketing en aval. Spéculer enfin sur la « déréalisation» d'une Université qui
serait, aux dires de ses contempteurs, trop éloignée des préoccupations des
nouveaux étudiants qui, parce qu'ils sont plus nombreux et, pour certains,
issus de groupes sociaux moins bourgeois qu'autrefois, réclameraient du
concret» relève d'un « racisme de l'intelligence » assignant à une
sous-culture tous ceux qui ne possèdent pas les codes de la «grande culture».
Les critiques de la « tour d'ivoire » universitaire oublient d'ailleurs
trop vite que le système dual (grandes écoles, Université), sans doute parce
qu'ils sont issus des premières pour leur grande majorité, est en grande partie
responsable de la misère universitaire : les grandes écoles aspirant une partie
du budget de l'enseignement supérieur sans proportion avec le nombre d'étudiants
qu'elles accueillent et drainant les étudiants les plus mobilisés par la
connaissance pour les détourner de la recherche et les orienter vers des
activités d'exercice du pouvoir.
L'autonomie de la recherche n'est pas non plus, comme le
répètent pourtant nombre d'industriels, un repli sur une recherche « pure»
condescendante vis-à-vis des autres formes de recherche. Vouloir une recherche
autonome, c'est revendiquer pour les chercheurs de chaque spécialité la
possibilité d'élaborer des problématiques spécifiques sans avoir à se soucier
de la commande et des utilisations, et ceci parce que les chercheurs, étant
donné l'étendue des connaissances et le degré d'ajustement de plus en plus
grand des « espaces de vérité approchée » qui ont été construits en enserrant
le réel dans un réseau de plus en plus dense d'observations et
d'expérimentations, sont aujourd'hui les seuls à même de formuler ces problématiques.
Cette autonomie passe donc par la mise en place de conditions nécessaires à sa
réalisation, dont la plus importante est, sans aucun doute, l'existence de
centres de recherche, financés par des ressources budgétaires publiques, à
même de réunir des équipes des chercheurs à plein temps autour de projets
scientifiques. Vouloir, comme la Conférence des présidents d'université
l'affirme aujourd'hui, réunir les chercheurs et les enseignants du supérieur
dans un seul corps uniformiserait, en réduisant les démarches originales, les
pratiques de recherche. Seul un corps de chercheurs à plein temps permet à la
recherche de ne dépendre ni des fluctuations des intérêts des étudiants, ni des
rythmes et normes de l'enseignement. Mieux, les systèmes de progression de
carrière des chercheurs doivent être conçus de telle sorte qu'ils ne détruisent
pas la solidarité des équipes de recherche dans une compétition incessante pour
des avantages individualistes (en termes de carrière comme en termes d'«accompagnement
scientifique»). Reste que si la séparation entre les organismes de recherche et
des organismes d'enseignement supérieur est nécessaire, elle doit être orientée
de telle sorte que la recherche à l'Université bénéficie de meilleures
conditions de réalisation non seulement en réduisant le temps d'enseignement
(par des recrutements et par une contribution des
chercheurs) mais surtout en permettant des détachements
en grand nombre et de longue durée (de deux à sept ans) des enseignants dans
des établissements de recherche.
Au moment où l'offensive néo-libérale contre l'investissement
public est sans précédent, ces propositions peuvent paraître anachroniques ou
utopiques, pourtant elles seules seraient susceptibles de susciter une
mobilisation collective à même d'aider l'Université à sortir de l'alternative
dans laquelle la placent les politiques publiques actuelles : la spirale du
déclin ou le salut par le management entrepreneuriale qui, l'une et l'autre,
enclenchent une régression inévitable de la connaissance.
6
NOTES
1. P. Bourdieu, Contre-feux, Paris Raisons d'agir
2001.
2 Pour les lecteurs peu familiers du système
universitaire il faut préciser que l’élection y est une tradition aujourd’hui
les enseignants-chercheurs les étudiants et les personnels techniques élisent
les conseils des unîtes de formation et de recherche qui disent a leur tour le directeur
ils élisent aussi leurs représentants au conseil d administration au conseil
scientifique et au conseil des études et de la pédagogie qui élisent le
président de l’université et son bureau. Par ailleurs les universitaires sont
recrutés par concours organises par des commissions d’universitaires élus par
leurs pairs chargées aussi de gérer les carrières. Ce système électif a
démontré son efficacité (et sa supériorité sur les organisations hiérarchiques)
en permettant à l’Université de faire face à la hausse du nombre des étudiants
alors que les investissements en postes et en crédits de fonctionnement ne
suivaient pas.
3. B Belloc Les Echos, 27-28 février 2004.
4. Pour une critique des effets probables des mesures
voir Abélard Universitas Calamitatum : le livre noir des réformes universiraires,
Broissieux, Éd. du Croquant 2003.
5. Les Echos, 15 mars 2OO2.
6. On pourrait exposer d'autres exemples dont Bertelsmann
qui en Europe et aux Etats-Unis est engage dans une stratégie d’achat
d’éditions soumis dès lors à des normes draconiennes de rentabilité (voir D.
Lepape, « La dictateure de la « World Literature », Le Monde
diplomatique, mars 2004).
7. Les transformations très rapides du monde de l’édition
témoignent de I importance accrue de la logique de profit Si dans un premier
temps pour réaliser des « économies d’échelle », VU (Vivendi
Universal) réussit la concentration d’éditeurs comme Nathan Bordas Larousse
Dalloz Armand Colin et quelques autres bien implantes sur le marche du livre
scolaire et universitaire en créant le groupe Editis dans un deuxième temps la
Commission européenne oblige Arnaud Lagardère, héritier du groupe Hachette
Filipachi Médias et acquéreur du groupe Editis après la chute de J2M (Jean
Marte Messier), à « vendre par appartements » des éléments dont Editis
était composé. Reste que, même divisée en deux ou trois blocs concurrents, la
concentration déjà opérée n'en continue pas moins ses effets, ce dont Ernest-Antoine
Seillière, le nouvel acquéreur de la partie cédée, espère bien profiter.
8. G. Scarpetta, « Le grand retour des intermittents
du spectacle », Le Monde diplomatique, mai 2004.
9. « Le grand écart des conservateurs soumis à des pressions économiques et
politiques le musée est-il encore un lieu de recherche ? », Journal des
arts, 179, 2003 ; « La gestion de la culture confiée au privé », Journal
des arts, 181, 2003 ; « Sombres perspectives pour la RMN », Journal
ries arts, 184, 2004.
10. Comme le disait Jean-Luc Godard : « l'argent est
devenu le premier critère d'évaluation: tel film a rapporté tant, donc il vaut
ceci ou cela. Le cinéma français s'est rallié à cette optique, ceux qui
marchent sont bons. »
11. J. Bouveresse, Prodiges et vertiges de l'analogie,
Paris, Raisons d'agir, 1999.
12. Voir C. Laval et L. Weber (éds.), Le Nouvel Ordre éducatif
mondial, Paris, Syllepse, 2002.
13. La réforme du statut des intermittents s'inscrit dans
cette logique.
14. La 'c mondialisation 'c économique est beaucoup plus
limitée qu'on ne le dit: on peut observer trois grandes zones (l'une en
Amérique autour des États-Unis, l'autre en Asie autour du Japon et la troisième
en Europe occidentale). Les trois quarts des échanges ont lieu à l'intérieur de
ces c économies monde comme aurait dît Braudel. Voir N. Fligstein, « Rhétorique
et réalités de la « mondialisation », Actes de la recherche en sciences
sociales, 119, septembre 1997.
15. Le Monde diplomatique, juin 1998.
16. L’ERT (qui a d'abord été une réunion d'industriels
chrétiens) regroupe quelque quarante PDG des plus grandes sociétés européennes,
dont Fiat, Volvo, Philips, Nestlé, Renault, etc.
17. Nombre de déclarations de Jacques Delors puis de
Santer ont été inspirées, et parfois phrase après phrase, par des rapports de
i'ERT (Jacques Delors comme Santer ont plus d'une fois remercié l'ERT) les
projets de routes rapides> autoroutes et autres systèmes de communication
(tunnels) ont été conçus par un lobby d'industriels l'AMCHAM (chambres de commerce américaines)
et l'AUME (Association pour l'union monétaire européenne créée en 1987 par
Fiat, Philips, Rhône-Poulenc, Solvay et Total) ont, dès 1988, conçu la monnaie
unique et milité pour sa réalisation : elles en attendaient une réduction des
coûts de transaction entre l'entreprise centrale <donneuse d'ordres) et ses
filiales et sous-traitants répartis dans des pays européens pour bénéficier des
différences du coût de la main-d'oeuvre elles espéraient aussi des économies
d'échelle (avec une monnaie unique> une entreprise peut fonctionner avec un
seul centre de production et de diffusion). Comme l'écrivait P. Bourdieu: « l'Europe
néo-libérale avance à grands pas alors que l'Europe sociale piétine. »
Voir aussi l'Observatoire de l'Europe industrielle, Europe Inc. : liaisons
dangereuses entre institutions et milieux d'affaires européens, Marseille,
Agone, 2000.
18. Il est vrai que le développement de la formation
permanente dans les années 1960> en France, s'est fait autour de la même
opposition privé/publie et s'est appuyé sur les mêmes jugements négatifs
prononcés à l'encontre des systèmes d'enseignement (C. de Montlibert L’institutionnalisation
de l'éducation permanente, Strasbourg, PUS, 1995).
19. B. R.
Clark, Creating Entrepreneurial Universities: Organizational Pathways of
Transformation, New York, Pergamon Press, 1998.
20. M.
Gibbons, C. Limoges, H. Novotny, S. Schwartzman, P Scott et M. Trow, The New
Production of Knowledge : the Dynamics of Science and Research in Contemporary
Societies, Londres, Sage, 1994.
21. H.
Novotny, M. Gibbons et P. Scott, Rethinking Science: Knowledge Production
in Age of Uncertainty, Oxford, Polity Press, 2001.
22. « Si les universités ne s'adaptent pas, on se
passera d'elles », déclarait Gibbons pour ajouter que la nouvelle université
doit produire des connaissances pour les industries du savoir et du personnel
hautement qualifie bien adapte a leurs besoins.
23. T Shinn, « Nouvelle production du savoir et
triple hélice Ten dances du prêt a penser les sciences », Actes de la
recherche en sciences sociales 141 142 mars 2002.
24. P Milot c' La reconfiguration des universités selon
l’OCDE. Économie du savoir et politique de l’innovation », Actes de la
recherche en sciences sociales 148 juin 2003.
25. La théorie de la « gouvernance » en vogue à
la Commission européenne se défie des institutions et partis politiques. Elle
préfère un État modeste se contentant d'acter les accords contractuels qui se
dessinent après avoir consulté les instances patronales supposées
représentantes des intérêts économiques et les associations et ONG supposées
représentantes de la société civile, tant elle repose sur une défiance des
services publics.
26. J.-L. de Meulemeester et D. Rochat, « Les
politiques européennes d'éducation et de formation à travers les textes »,
Agone, 29-30, 2003.
27. V Reding, Éducation de formation 2010.
L'urgence des reformes pour réussir la stratégie de Lisbonne, Bruxelles,
Commission européenne, 2003.
28. Ces tentatives de transformation de l'enseignement en
marché (le département d'audit de la société de placements financiers Merril
Lynch évalue le marché à 2 000 milliards de dollars) ont aussi suscité une
forte mobilisation protestataire d'enseignants canadiens et étasuniens (Le
Figaro, mai 2000>.
29. Stendhal, D'un nouveau complot contre les
industriels, suivi de Stendhal et la querelle de l'industrie (éd.
établie, annotée et présentée par Michel Crouzet), Joigne, La Chasse au
Snarck, 2001.
30. P Bénichou, Le Sacre de l’écrivain, Paris,
José Corti, 1973.
31. Commission des Communautés européennes, Investir
efficacement dans l'éducation et la formation: un impérative pour l’Europe, Bruxelles,
2003, COM (2002) 779 final.
32. Nicole Fontaine, ministre de l’Industrie, déclarait
le 10 octobre 2003 que l'accord signé entre l'ESSEC et l'université de Mannheim
était le modèle à suivre pour faire de « l'Union européenne l'économie de
la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive du monde ».
33. Source : ministère de l'Éducation nationale, 2003.
34. En langue anglaise Administrative Science Quarterly,
American Economic Review, Academy of Management Journal Academy of Management
Review, British Journal Management, Human Resource Management Review,
Industrial and Labor Relations Review,
Journal of Occupational Psychology,
Harvard Business Review, Journal of Applied Psychology, journal of Management,
journal of Supply Chain Management, The International Journal of logistic
Management, Strategie Management Journal; en langue française :
Économies et sociétés, Cahiers fiançais, Le Ravail humain, Revue européenne de
psychologie appliquée, Revue de gestion des ressources humaines, Revue des
sciences de gestion.
35. M. E. Chessel et E Pavis, Le Technocrate, le
patron et le professeur: une histoire de l'enseignement supérieur de gestion, Paris,
Belin, 2001.
36. P Bourdieu, « Variations et invariants Éléments
pour une histoire structurale du champ des grandes écoles », Actes de
la recherche en sciences sociales 70 novembre 1987.
37. G Lazuech, « Une science à part ? Les sciences
de gestion ou la tentation du mondialisme », communication à l’université
de Nantes 2002.
38. Les écoles de gestion et les filières universitaires
soutiennent, par exemple les 17 000 étudiants qui participent au jeu de stratégie
d'entreprise « e-strat challenge » lancé par L’Oréal.
39. On ne dit pas, pour le moment, ce que deviennent les
cours peu choisis, mais on peut penser qu’à terme ils seront supprimés.
40. G Lazuech op. cit. Que les anciens (plus
souvent issus du commerce) s'opposent aux plus jeunes (plus souvent issus des
milieux dirigeants), les hommes (plus souvent centrés sur la gestion et les
entreprises multinationales) aux femmes (plus souvent centrées sur les
relations humaines et les petites et moyennes entreprises locales), les
« universalistes » (défenseurs de la culture d’entreprise et de la
flexibilité) aux culturalistes (défenseurs des spécificités des entreprises
nationales) ne fait que renforcer les enjeux investis dans l’univers de la
gestion.
41. Y. Dezalay, « Les courtiers de l’international.
Héritiers cosmopolites mercenaires de l'impérialisme et missionnaires de l’universel »,
Actes de la recherche en sciences sociales, 151-152, mars 2004.
42. Le benchmarking consiste à exiger des
organisations qu’elles atteignent la performance de celle qui a le mieux réussi
dans les mois précédents. Le Conseil d’Etat recommande le développement de
cette « culture de la performance », in Perspectives pour la fonction
publique, Paris, La Documentation française 2003.
43. M. Villette Sociologie du conseil en management Paris
La Découverte 2003.
44. S. Ebersold et C. de Montlibert, « Les
consultants et la transformation du champ économique », Regards
sociologiques, 8, 1994.
45. P. Bourdieu et L. Wacquant, « La nouvelle
vulgate planétaire », in P. Bourdieu Interventions 1961 2001,
Science sociale et action politique, Marseille, Agone, 2002.
46. M. Gollac et S. Volkoff, « Citius, altius, fortius.
L’intensification du travail », Actes de la recherche en sciences
sociales, 114, septembre 1996.
47. C. Dejours, La Souffiance au travail. La banalisation
de l'injustice sociale, Paris, Seuil, 1998.
48. G. Balazs et J.-P. Faguer, « Une nouvelle forme de
management, l'évaluation », Actes de la recherche en sciences
sociales, 114, septembre 1996.
49. Commission des Communautés européennes, Plan
d'action et e- learning. Penser l'éducation de demain. Communication de la
Commission au Conseil et au Parlement européen, Bruxelles, 2001, COM
(2001)172 final; Commission des Communautés européennes, Proposition de
décision du Parlement européen et du Conseil arrêtant un programme pluriannuel
(2003-2006) pour l'intégration efficace des technologies de l’information et de
la communication (TIC) dans les systèmes d'éducation et de formation en Europe
(Programme e-learning), Bruxelles, 2002, COM (2002) 751 final.
50. Des sociétés européennes comme Nokia, Siemens,
Ericsson se montrent particulièrement intéressées par ces travaux.
51. F. Poupeau et S. Garcia, « L’école de la
remédiation. De l'internationalisation des systèmes d'enseignement à la gestion
institutionnelle des flux scolaires », Agone, 29-30, 2003.
52. S. Garcia, « Croyance pédagogique et innovation
technologique. Le marché de la formation à distance au service de la
"démocratisation" de l'enseignement supérieur », Actes de la
recherche en sciences sociales, 149, septembre 2003.
53. P. Marguerat, Banque et investissement industriel:
Paribas, le pétrole roumain et la politique française 1919-1939, Genève,
Droz, 1987.
54. Seuls les savoirs théoriques les plus poussés (et en
même temps les plus contextualisés par une histoire sociale de ces savoirs)
peuvent permettre de faire face à des situations de crise. (Les pilotes
d'avions n'ont apparemment plus besoin de connaître la trigonométrie puisque
des ordinateurs de bord se chargent de tout calculer, jusqu'au moment où
l'appareil est pris dans un orage magnétique qui dérègle tous les calculateurs.
Alors, et en quelques secondes, les pilotes doivent mobiliser pratiquement tout
leur savoir mathématique.>
55. A titre d'exemples, on peut citer l'université de
Lyon-III qui crée une filiale de 'vente de ses expertises en s'associant à
France Telecom et Groupama, et Toulouse-I qui est liée à Pernod-Ricard et FADS
(voir Les Échos, 7-8 mars 2003).
56. On sait qu'aujourd'hui, à la suite de contestations
diverses, le contenu de l'enseignement de l'économie est devenu un enjeu : l'économie
néo-classique qui sert de base aux enseignements est remise en cause. Ce n'est
pas à des philosophes, historiens, littéraires que l'on fera accepter la
fiction de l'homo oeconomicus capable, après s'être informé et avoir calculé
les conséquences, de décider rationnellement entre toutes les alternatives
possibles. Les présupposés sur lesquels repose l'économie classique sont en
contradiction avec les interrogations des disciplines relevant des sciences
humaines et des sciences sociales pour que cette matière soit enseignée sans la
moindre interrogation critique. Quant aux sciences sociales, de l'histoire à la
sociologie, il n'est pas possible d'admettre leur réduction à l'apprentissage
des techniques d'entretien la relation entre le chargé de clientèle et le
client met en jeu aussi bien l'histoire de la banque, l'histoire de l'institutionnalisation
des placements financiers, l'histoire des rapports à l'argent que des
mécanismes sociaux d'influence, aussi bien les rapports de domination
économique que la reproduction des inégalités sociales, ce qui suppose une
psychologie et une sociologie plus complexes.
57. E. Jacob, P. Kourilsky, J.-M. Lehn et P.-L. Louis, « Du
nerf! Donner un nouvel essor à la recherche française », www.pasteur.fr/lpasteur/dunerf.html,
mars 2004.
58. J.-P Raffarin, Pour une nouvelle gouvernance. Paris,
L’Archipel, 2002.
59. C. Laval, L'école n'est pas une entreprise: le
néo-libéralisme à l’assaut de l'enseigiiementpubli4 Paris, La Découverte,
2003.
60. L’expérience allemande devrait donner à réfléchir:
confrontées à un déséquilibre financier important, certaines régions ont coupé
dans les dépenses universitaires en exigeant une réduction du nombre d'heures
enseignées ou une réorganisation des filières, ce qui a introduit plus de
différences encore entre les formations d'un Land à l'autre.
61. En France, le CNESER a obtenu grâce à un amendement
que l'application des ECTS soit modérée par la création, durant les cinq
premières années de fonctionnement du système, de " parcours recommandés
i. Au-delà, la liberté de choix de l'étudiant devient totale : à lui d'arbitrer
entre le « présentiel » et le " nonprésentiel », entre tel
ou tel élément de formation offert, entre telle ou telle université européenne,
puisque son objectif est d'obtenir les 180 points de la licence ou les 240
points du master.
62. M. Weber, Essais sur la théorie de la science,
Paris, Pion, 1965.
63. Encore faudrait-il créer des institutions (inexistantes
en France) pour cela. La Conférence des présidents d'université et le CNESER ne
remplissent que très partiellement cette fonction. Seule, une sorte d'Assemblée d'universitaires complètement
indépendante du ministère pourrait tenir ce rôle de constat, d'adresse et représentation
auprès des instances administratives
- Direction de l'enseignement
supérieur et Direction du budget du ministère des Finances.
64. R. Bourdieu, Science de la science et réflexivité,
Paris, Raisons d'agir, 2002.
65. P. Bourdieu, La Noblesse d’État,
grandes écoles et esprit de corps, Paris, Minuit, 1989, p. 471.
66. T. Blöss et V.
Erlich, « Les nouveaux «acteurs" de la sélection universitaire les
bacheliers technologiques en question i, Revue française de sociologie, 14,
2000, p. 41.
67. B. Convert, « Des hiérarchies maintenues. Espace des
disciplines, morphologie de l'offre scolaire et choix d'orientation en France, 1987-2001
», Actes de la recherche en sciences sociales, 149, septembre 2003.
111. Le campus de Grenoble regroupant tous les
établissements d'enseignement supérieur a créé une « Maison de
l'entrepreneuriat » qui organise des conférences et des enseignements d’entrepreneuriat
inclus dans les cursus (Les Échos 25 mars 2004).
conclusion .
. .
112. Comme l’écrivent P. Bourdieu et J.-C. Passeron, « dans une for formation sociale déterminée
la culture légitime i.e. la culture dotée de la légitimité dominante,
n’est autre chose que l’arbi traite culturel dominant » et « les
principes de l’arbitraire culturel qu’un groupe ou une classe impose comme
digne d’être reproduit (. .) impliquent un travail pédagogique comme travail
d'inculcation qui doit durer assez pour produire une formation durable, i.e.
un habitus f...] et par là perpétuer dans les pratiques les principes de
l'arbitraire intériorisé », P. Bourdieu et J.-C. Passeron, La
Reproduction, éléments pour une théorie du système d'enseignement, Paris,
Minuit, 1970).
113. Cette transformation du poids respectif du capital
économique et du capital culturel était déjà un des éléments à même de soutenir
les grèves et manifestations de 1995 contre le projet Juppé de reforme des
retraites (C. de Montlibert, « La mobilisation sociale de décembre 1995 », Regards sociologiques, 11 1996).
114. P. Bourdieu Méditations pascaliennes, Paris,
Minuit 1997.
115 Merton a bien montré que ce dévouement désintéressé à
l'avance ment de la connaissance avait des sources historico-religieuses (« les
sectes protestantes ascétiques eurent une prédilection pour la recherche
scientifique ") et que cette orientation demeure après avoir été séparée
de son origine théologique (R. K. Merton, r Le puritanisme, le piétisme et la
science », in Éléments de théorie et de méthode sociologique, Paris,
Pion, 1965; 1er éd.
1953).
116. P. Bourdieu, Science de la science et réflexivité,
Paris, Raisons d'agir, 2001.
117. ARESER, Quelques diagnostics et remèdes urgents
pour une université en péril Paris, Raisons d'agir, 1997.
118. Les sciences sociales, tant pressées aujourd'hui de
se limiter à la description des réactions aux politiques initiées (ou envisagées)
par les commanditaires les plus divers, peuvent craindre une régression de leur
capacité à rendre compte et expliquer le monde social acquise par un siècle de
travaux alors qu'elles devraient être appelées à jouer un rôle majeur dans on
enseignement renouvelé puisque « le seul fondement universel que l'on
puisse donner à une culture (y compris la culture scientifique) réside dans la
reconnaissance de la part d'arbitraire qu'elle doit à son historicité » (Proposions
pour l’enseignement de l’avenir, Collège de France, Paris, 1985).